Après l'annulation par la justice du PPRT de la ville de Toulouse, Yves BLEIN, président de l'Association nationale des communes pour la maîtrise des risques technologiques majeurs, Amaris, et député-maire de Feyzin (Rhône), revient notamment sur les insuffisances de la loi Bachelot de 2003 sur les risques industriels, loi "émotionelle", prise après la "catastrophe AZF" en 2001.

"La loi Bachelot de 2003 pose des problèmes de désindustrialisation et de développement territorial", Yves Blein
Le Courrier : Pourriez-vous nous rappeler ce qu'est un plan de prévention des risques technologiques (PPRT) ?
Yves Blein. Un PPRT organise les mesures de sécurité autour des entreprises classées "Seveso seuil haut" (ndlr: ou Seveso AS), c'est-à-dire des entreprises manipulant des produits susceptibles de dégager des émanations toxiques ou de provoquer des explosions.
Ces entreprises doivent d'abord analyser les risques qu'elles génèrent et imaginer toutes les solutions pour en limiter les effets – ce qui impose, en général, des travaux sur leurs installations. Puis, lorsque malgré toutes ces dispositions, ces activités présentent encore des dangers pour la population environnante, le PPRT prévoit des mesures autour des sites.
De mémoire, il y a environ 600 sites Seveso seuil haut, donc potentiellement autant de PPRT. Mais tous n'ont pas encore été prescrits. Et ils concernent bien plus de communes, de toutes les tailles. Par exemple, pour une raffinerie comme celle de Feyzin, le PPTR porte sur 4 ou 5 communes.
— Le 9 novembre, un amendement au projet de loi de finances (PLF) 2013 a augmenté la prise en charge, par l'Etat, des travaux sur les habitations des sites Seveso AS. Vous bataillez, depuis longtemps, pour que les résidents de ces zones bénéficient d'aides pour les travaux imposés par la loi de 2003. Quel est l'enjeu ?
Y. Blein. La loi "Bachelot" votée en 2003, après l'accident d'AZF à Toulouse, impose aux riverains de réaliser des travaux de sécurisation de leur habitation. Quand le risque est d'ordre toxique, les travaux sont minimes, et la facture s'élève à 2 000 à 3 000 euros. Lorsque le risque est l'explosion, les travaux sont plus lourds, il faut compter entre 10 000 12 000 euros.
Pour aider ces riverains, la loi institue un crédit d’impôt correspondant à 15 % du coût des travaux. Autrement dit, pour 10 000 euros de travaux, l'aide n'est que de 1 500 euros... Sachant que l'on se trouve souvent dans des zones de résidence plutôt populaires, les habitants ne peuvent pas assumer de tels frais. Par ailleurs, l'idée même de payer pour notre sécurité face à un danger qui ne nous est pas imputable est contestable.
Le risque est donc que les habitants ne fassent pas les travaux. C'est pourquoi nous réclamions que l'Etat augmente sa participation et que les industries à l'origine du risque et les collectivités locales qui, d'une certaine façon, bénéficient de la richesse créée par ces activités, s'associent à cet effort.
— Désormais, cette aide devrait s'élever à 90 %. Mais comment garantir que les travaux seront adaptés aux besoins ?
Y. Blein. En effet, le projet de loi de finances fixe un crédit d'impôt de 40 % et prévoit que les industriels et les collectivités participent aux frais, à hauteur de 25 % chacune. Des collectivités avaient déjà passé des conventions en ce sens avec des industriels, mais il s'agissait d'une démarche volontaire.
Concernant la mise en œuvre de la loi Bachelot, il n'existe aucun cadre pour le moment. Nous y travaillons avec les services de l'Etat et les industriels au sein un comité de pilotage national.
Car il faut savoir diagnostiquer les besoins, accompagner les habitants dans le montage d'un dossier financier, la gestion de leur trésorerie, dans le choix des entreprises prestataires, etc. Nous aimerions qu'une agence comme l'Agence nationale de l'habitat (Anah) soit saisie de cette question.
— Récemment, le PPRT de Toulouse a été annulé par un tribunal administratif. Pourquoi la ville a-t-elle saisi la justice et quels ont été les motifs retenus par le juge ?
Y. Blein. Il s'agit d'un dépôt de carburant ESSO situé en zone urbanisée. Le PPRT prévoyait notamment des mesures de déplacement des entreprises environnantes.
Le point de vue de la ville de Toulouse est plutôt fondé : elle a demandé que le PPRT soit annulé et une nouvelle concertation pour étudier toutes les possibilités, y compris l'éloignement du dépôt.
Il faut dire que, s'il est appliqué au pied de la lettre, le dispositif de concertation prévu par la loi Bachelot est pauvre. Or, ce sont des sujets qui ne se satisfont pas d'une concertation réglementaire.
Les dossiers de dépôt de carburant sont toujours complexes et sensibles. Ce type d'activités présente très peu d'intérêt en termes d'emplois – un dépôt, c’est une dizaine d'emplois, au mieux –, tout en ayant un fort impact sur leur environnement car les risques d'explosion sont réels.
Mais en même temps, ces produits sont indispensables à l'activité urbaine. Et les éloigner des lieux où se concentre la consommation pose aussi des problèmes de sécurité, lors du transport.
Entre ces deux issues, il s'agit d'étudier les nombreuses solutions techniques qui permettent de neutraliser le danger, comme l'allègement du stockage, la "mise sous talus", l'enfermement dans des coques de béton...
— La loi "Bachelot" s'intéresse-t-elle aux impacts économiques des PPRT ?
Y. Blein. C’est malheureusement une loi "émotionnelle", rédigée après l'explosion d'AZF, et qui a fait une impasse totale sur les activités économiques. C'est-à-dire qu'aujourd'hui les entreprises implantées sur une zone Seveso AS, celles qui ne sont pas à l'origine du risque, se voient imposer des prescriptions lourdes, comme les habitants, mais sans bénéficier d'aucune aide. Si on l'applique en l'état, la loi Bachelot "coule" des entreprises. Cela pose des problèmes de désindustrialisation et de développement territorial.