Vincent Descoeur, président de l'ANEM : "Le fil rouge doit rester la loi Montagne"

Marion Esquerré

L'Association nationale des élus de montagne tient son congrès les 25 et 26 octobre, en Corse. Au programme : le nouvel acte de décentralisation. Vincent DESCOEUR, président de l'ANEM, du conseil général du Cantal et maire de Montsalvy, en détaille les enjeux pour les élus locaux qu'il représente.

© S. Gautier
"En montagne, au-delà de la cohésion sociale, nous avons besoin de cohésion territoriale"

Qu'est-ce que les collectivités de montagne ont à perdre et à gagner ou, en tout cas, à défendre avec le prochain acte de décentralisation ?

Vincent Descoeur. L’échelle à laquelle sont prises les décisions de développement et d'aménagement des territoires est importante. Pour organiser les territoires, il faut tenir compte de la notion de projet, d'intérêt et de contexte communs, non pas du seul le paramètre démographique. Or, aujourd'hui, le modèle "qui tient la corde" dans les débats correspond à une maille territoriale encore plus large, qui se traduit par une fusion des cantons, une concentration régionale et le développement de métropoles. "En périphérie des régions, les territoires de montagne risquent de se trouver éloignés des centres de décision." Nous ne sommes pas hostiles à ce que les régions aient des compétences importantes. Ce qui nous préoccupe, c'est que les territoires de montagnes, souvent en périphérie des régions, risquent de se retrouver encore plus éloignés des centres de décision publics et privés, et moins bien représentés. Quant aux métropoles, la question est de savoir s'il y aura une vie économique, culturelle, universitaire... possible entre deux métropoles ?

Nous sommes, en tout cas, très attachés aux départements en tant qu'aménageurs du territoire. On ne parle plus de leur suppression, mais de renforcer leur spécialisation sociale.

En montagne, au-delà de la cohésion sociale, nous avons besoin de cohésion territoriale. Ce sont les départements qui y ont porté le haut débit et permis de résorber les zones blanches de téléphonie mobile. Ce sont eux qui investissent pour permettre la déconcentration de l'enseignement supérieur. Ils participent aussi à l'économie.

Vous défendez donc aussi le maintien des financements croisés ?

— V. Descoeur. Nous réfutons l'idée que les financements croisés seraient synonymes de complexité pour les porteurs de projets et les élus. En revanche, il n'y a pas de beaux projets sans eux.

Dans le très haut débit, par son incapacité à proposer un modèle de déploiement qui ne fasse pas appel aux collectivités, l'Etat lui-même fait la démonstration que les financements croisés sont nécessaires. Et il n'est pas prouvé qu'un financeur unique, un chef de file, serait capable d'un financement équivalent à celui que nous apportons en nous groupant.

Quel rôle l'Etat doit-il jouer dans le cadre de la réorganisation territoriale ?

— V. Descoeur. Il est clair que le terme de RGPP  [révision générale des politiques publiques, ndlr] va changer, mais que l'orientation demeurera. On va continuer à réduire les effectifs de l'Etat. Dans ce contexte, nous devons être vigilants dans plusieurs domaines, à commencer par l'école. Ce n'est pas le taux d'encadrement qui doit décider de l'avenir d'une classe ou d'une école. C'est le temps de déplacement, surtout à un moment où l'on parle des rythmes scolaires.

Nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans une caricature qui laisserait à penser que nous sommes conservateurs. Nous ne luttons pas pour le maintien d'une classe dès lors que l'effectif est trop réduit et que les conditions pédagogiques ne sont pas réunies. Mais nous avons montré au ministère des exemples d'enfants de primaire, voire de maternelle, exposés à des trajets, allers et retours, de presque deux heures. "C'est une question d'égalité d'accès aux services." La question se pose aussi pour l'accès aux soins ou aux services de l'Etat, que menacerait une éventuelle suppression des sous-préfectures. Encore une fois, c’est une question d'égalité d'accès aux services.

Le fil rouge doit rester la loi "montagne" de 1985, qui impose la prise en compte des spécificités de nos territoires. Même si nous en demandons la révision.

Le déploiement du très haut débit est aussi l'une de vos préoccupations. Qu'attendez-vous de l'Etat ?

—  V. Descoeur. J'ai eu l'occasion de rappeler au PDG de France Télécom que la "mamie du Cantal" qu'il avait maladroitement prise en exemple avait au moins autant besoin des technologies que son petit-fils du XVe arrondissement. Comme le jeune Cantalien a autant besoin du très haut débit que son cousin du XIVe arrondissement.  "Nous demandons le très haut débit en même temps que les autres, voire avant les autres." Le très haut débit apporte des réponses en termes d'éducation, de santé, d'emploi et d'économie. Sur ces questions, la montagne n'est pas un conservatoire. Elle est un laboratoire. Dans le Cantal, on a fait des expériences de la télémédecine ou encore de télécentres pour savoir si le télétravail pouvait nous permettre d'entreprendre une reconquête démographique.

Aujourd'hui, nous demandons de pouvoir bénéficier de cette technologie en même temps, voire avant les autres. C’est une opportunité historique. L'enclavement physique ne sera pas effacé d'un trait. Mais, il nous appartient de veiller à ce que cela ne devienne pas une fracture supplémentaire, un handicap supplémentaire.

Seulement, la démonstration est encore faite que c'est dans les territoires où l'offre privée est la moins rentable, donc la moins présente et performante, que l'on va solliciter le plus les collectivités. Elles constituent des solutions, mais elles ne pourront pas financer cette technologie, bien plus coûteuse que les précédentes, sans le concours de l'Etat.

Vous sentez-vous entendus sur tous ces sujets?

— V. Descoeur. Tout cela demande de la persévérance... Et encore plus dans ce contexte d'austérité. Des arbitrages budgétaires vont être faits. Et ils seront faits au bénéfice du plus grand nombre. C’est une tentation presque naturelle mais qui met de côté nos spécificités. Il va falloir que la montagne se mobilise.

L'Association nationale des élus de montagne tiendra son 28e Congrès les 25 et 26 octobre 2012 à Bastelica (Corse-du-Sud).
Au programme, le nouvel acte de décentralisation, l'accès aux soins, les perspectives européennes de financement et la PAC ou encore le très haut débit.
Comme l'imposent les statuts de l'association, Vincent Descoeur  sera remplacé à cette occasion à la tête de l'association par un élu issu de la gauche.

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