Lier sécurité et urbanisme n’a pas toujours bonne presse. N’y a-t-il pas un risque d’aboutir à un espace sécuritaire, bardé de clôture, potelets, vidéosurveillance, sans recoins ni confort ? Cet antagonisme est en passe d’être dépassé.
En rendant obligatoire les études de sécurité publique pour certaines opérations d’aménagement, la loi relative à la prévention de la délinquance, en 2007, puis le décret du 24 mars 2011, qui étend cette obligation, ne sont pas étrangers à cette évolution.
Auparavant, les études étaient facultatives. Ne s’engageaient dans la démarche que des élus et concepteurs convaincus. Avec l’obligation et la mise en place de la sous-commission départementale pour la sécurité publique, présidée par le préfet, qui examine les études de sûreté et de sécurité publique (ESSP), l’approche sécuritaire, policière, a eu tendance à prendre le dessus. Toits plats, gouttières, auvents, haies, recoins sont proscrits. Vitres blindées, barrières et caméras vidéo sont exigées.
Après des excès, le balancier a tendance à revenir vers une position médiane. Les membres de la sous-commission, mieux formés, n’imposent plus de tout-répressif. Maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre comprennent qu’il vaut mieux intégrer les exigences de la sécurité en amont pour favoriser le bon usage des équipements et aménagements.
Le Plan urbanisme, construction, architecture (PUCA) vient de publier le résultat de 11 expérimentations à travers la France, démontrant que la réponse à l’insécurité n’est pas défensive, mais architecturale et urbaine.
L’espace rassure s’il est fréquenté, ce qui suppose de le rendre attractif. Les mots clés, dans ce domaine sont confort, qualité urbaine, tranquillité. « Derrière la question de la sécurité, se profile celle de la qualité de vie », explique Bertrand Vallet, responsable du programme Qualité et sûreté des espaces urbains au PUCA. Il appartient aux collectivités locales de créer un espace propice à la prévention.
Cette approche correspond aux compétences des collectivités : la lutte contre la délinquance, le trafic de drogue, le banditisme ne relève pas d’elles. Il leur revient, en revanche, de créer un cadre propice à la prévention. Cela s’obtient par une attention au confort d’usage, la propreté, l’entretien des espaces verts et des équipements, une bonne accessibilité, une réduction des nuisances sonores et olfactives, le maintien d’une vie sociale, mais aussi l’action sociale, éducative…
« L’entrée par la sécurité lors de la conception d’un projet urbain est la meilleure manière de prendre en compte la vie quotidienne », estime Bertrand Vallet. Elle permet aussi à des intervenants qui s’ignorent de se rencontrer enfin : services de l’urbanisme et de la prévention, de l’environnement et de l’action sociale, de l’éducation et de l’entretien, mais aussi police, architectes, urbanistes et paysagistes.
L’espace rassure s’il est fréquenté
Concrètement, comment l’espace peut-il rassurer ? Tout d’abord, en étant fréquenté. Ce qui suppose de le rendre attractif, confortable, animé à toutes heures de la journée. D’où l’intérêt de réfléchir à l’implantation d’activités aux horaires complémentaires. La présence d’une population diversifiée empêche la prise de possession d’un territoire par une bande.
Elle assure aussi une surveillance sociale dissuasive pour les incivilités, la petite délinquance, aidée en cela par des intervenants qui ne doivent pas toujours être la police : les agents des espaces verts ou d’entretien, par exemple, peuvent être formés à ce type d’intervention, comme au parc de La Villette.
La qualité de l’espace public révèle celle de la démocratie. «L’organisation de l’espace doit être lisible, compréhensible», conseille l’urbaniste Anne Faure. «Les échappées visuelles sont cruciales, précise Christian Brulé, psychiatre, responsable de la sécurité du parc de La Villette. Le regard doit pouvoir se projeter, et non se heurter contre des murs.»
Fondamentale, la propreté
Tous les spécialistes s’élèvent contre la systématisation des dispositifs répressifs : pose de barrières, plots, sas, suppression des bancs dont la conséquence est de désertifier l’espace, et donc de le rendre moins sûr. «Les regroupements d’individus inquiétants sont un problème humain. A cela, il faut une réponse humaine et non technique», remarque Christian Brulé. La qualité de l’espace public dépend aussi de son entretien. Il faut donc en prévoir la gestion.
«La propreté est un élément déterminant pour le sentiment d’insécurité. Si le quartier est sale, la population se sent abandonnée et pense qu’on s’intéresse plus aux délinquants qu’à eux. Les agents d’entretien doivent comprendre qu’ils ne travaillent pas que sur la propreté, mais pour la qualité de l’espace de tous», estime le juriste Denis Moreau, pour qui «l’espace public révèle la qualité de la démocratie».
Paul Landauer, architecte :
"En privilégiant les clôtures et en organisant les flux pour faciliter les mobilités, on se trompe. Une ville où l'on ne se croise plus est inhospitalière. A cela, je préfère un peu d’insécurité. On n’organise pas l’espace pour les forces de l’ordre. Au contraire, il faut multiplier les cheminements, les croisements, les frottements. Il ne faut rien sacrifier à la multiplicité des usages de l’espace public. Il doit être accueillant et permettre de s’y arrêter. Et il ne doit exclure personne, y compris les jeunes, les personnes âgées, les SDF. Il n’y a pas de meilleure sécurité que de mettre des gens dans l’espace."
• Paul Landauer est l'auteur de "L’Architecte, la ville et la sécurité", éditions PUF