« Une nouvelle étape de la décentralisation serait une réforme de la démocratie locale »

Denis Solignac

L’ancien président de l’Assemblée des départements de France, Claudy Lebreton, rendait le 2 juin son rapport sur la « refondation » de la relation entre l’Etat et les collectivités. Il y propose un conseil des collectivités de France, un vice-premier ministre chargé des territoires, mais surtout de dynamiser la démocratie locale en s’appuyant sur les citoyens, les élus locaux et les outils numériques. Jusqu’à prôner l’avènement d’une 6e République…

En clôture du Congrès des maires, le 2 juin dernier, Claudy Lebreton, ancien président de l’Assemblée des départements de France (ADF), ancien président des Côtes-d’Armor, a rendu le rapport « Une nouvelle ambition pour la France et l’Europe », au Premier ministre.

Parmi les principales propositions : un conseil des collectivités de France, regroupant les associations d’élus, dont le président serait l’alter ego d’un vice-premier ministre dédié aux territoires.

Courrierdesmaires.fr. Pourquoi proposer une refondation des relations entre les collectivités et l’Etat ?

Claudy Lebreton. D’abord, il faut rappeler qu’entre l’administration déconcentrée de l’Etat et les collectivités il y avait des relations de subordination. Et une sorte de déférence envers le pouvoir central.

On a vu un peu de tension avec la décentralisation, mais aujourd’hui, dans les territoires de France, les relations sont sereines, apaisées, entre les élus et le préfet et ses services.

Il y a eu un vrai progrès. En revanche, la relation avec l’administration nationale, la culture qui existe toujours dans les grandes administrations centrales, est une question plus prégnante. La DGCL, quoi qu’elle en dise, est encore dans cette posture. Cela tient au fait que l’administration centrale participe à la fabrication de la loi, des décrets et des règlements.

Le pouvoir local politique est plus présent que le pouvoir central politique. Au niveau national il y un cabinet qui fait tampon. Or, les cabinets ont été infiltrés par des fonctionnaires de l’administration centrale. Il s’agit donc de faire évoluer les mentalités par une révolution culturelle.

Il faudrait qu’il y ait une expression du pouvoir territorial, de ceux qui appliquent la loi dans les territoires. Ce serait la place du conseil des collectivités de France.

Pourquoi proposez-vous l’instauration d’un vice-premier ministre chargé des territoires et une évolution du Sénat ?

C. L. Un vice-premier ministre devrait être dans le dialogue permanent avec les élus locaux. Nous n’avons pas un interlocuteur privilégié au gouvernement. Il y a plusieurs secrétaires d’Etat, plusieurs ministres délégués. Si le Premier ministre pouvait avoir quelqu’un qui le déchargerait de la relation avec les collectivités territoriales, on aurait vraiment un alter ego.

Et en face on pourrait avoir le pendant, un président du conseil des collectivités, au lieu d’une kyrielle d’associations d’élus. Ces deux personnes seraient dans un dialogue permanent, dans l’animation d’un réseau. C’est ce qui se passe à l’échelle de l’Europe.

Enfin, il faudrait qu’il y ait une expression du pouvoir territorial, de ceux qui appliquent la loi dans les territoires. Ce serait la place du conseil des collectivités de France.

Est-ce que tout cela n’appelle pas une réforme constitutionnelle ?

C. L. Une nouvelle étape de la décentralisation serait une réforme de la démocratie locale. Les régions prendraient les universités, la santé, une partie du pouvoir réglementaire régalien, elles seraient ainsi le début d’états fédérés. Se poserait à ce moment-là une grande réforme constitutionnelle et l’avènement de la 6e République. Je fixe un délai de 10 ans.

Pourquoi faites-vous de la péréquation un enjeu majeur ?

C. L. Les mécanismes sont complexes, mais les modes de calcul sont là. La question, c’est qu’elle ne porte que sur 6% des dotations. Tant qu’on n’arrivera pas à une masse budgétaire significative, c’est à dire 20% des dotations, 20 milliards d’euros, cela n’aura pas l’impact souhaité.

Ce n’est pas normal de ne pas avoir une dotation minimale de fonctionnement qui permette d’avoir tous le même euro par habitant. Mais face à cela, il y a encore beaucoup de conservatismes, chacun s’accroche à son pré-carré. Si cela ne passe pas, il faudrait faire appel au peuple, un référendum.

Cela m’est arrivé de demander en aparté au président de la République ou au Premier ministre : quel est le sens de cette réforme ? Je n’ai jamais eu de réponse, à part les économies.

Vous parlez également de la force de la démocratie locale que représentent les élus locaux…

C. L. Au-delà des communes, il y a une “garde républicaine” composée de 500 000 bénévoles, à 90% sans aucune indemnité. Nous avons la chance d’avoir cette armée civique et citoyenne d’hommes et de femmes… pourquoi on se priverait de cela ?

Mais ces élus locaux ont été malmenés par les réformes territoriales, beaucoup n’apprécient pas l’agrandissement des périmètres des intercommunalités…

C. L. Les réformes qui ont été engagées sont du passé et dépassées. Elles sont très techniciennes et très financières. Quand vous prenez le calendrier des annonces sur les collectivités, cela a été fait trop vite. C’est un bouleversement !

Cela m’est arrivé de demander en aparté au président de la République ou au Premier ministre : quel est le sens de cette réforme ? Je n’ai jamais eu de réponse, à part les économies.

Il y a des efforts à faire sur la maîtrise des dépenses publiques et, parallèlement, on met des milliards d’euros pour créer des emplois dans le secteur privé. Or, le secteur public produit également des richesses.

Ce qui se passe dans le climat, le numérique, concerne chaque petit village, nous sommes tous dans la mondialisation. Les élus locaux n’y sont pas assez sensibles.

Vous prônez la participation, la co-construction des politiques locales, avec les élus et les citoyens, était-ce quelque chose que vous appliquiez quand vous étiez élu local ?

C. L. Non, nous avions déjà mis en place les commissions extra-municipales, mais à terme il y avait de la lassitude chez ceux qui n’étaient pas conseillers. J’ai fait des tas d’expériences, nous avons eu des succès et des échecs. Cela fait partie de la vie.

Il ne faut pas avoir peur de tâtonner. Je n’ai pas été exemplaire sur tout, mais j’ai toujours été à l’écoute, dans la concertation.

Mais il faut aller plus loin, profiter des outils numériques, comme nous l’avons fait avec la plateforme « Parlement et citoyens ». Je place mon rapport sous l’approche d’Edgar Morin : « Le temps est venu de changer de civilisation », le grand défi majeur est la préservation de notre planète. Réfléchir à cette révolution fulgurante qu’est le numérique…

Je dis aux élus locaux : intéressez-vous au monde qui vient, essayez de percevoir les grands enjeux pour comprendre le monde, car c’est vous qui allez le mettre en œuvre. Ce qui se passe dans le climat, le numérique, concerne chaque petit village, nous sommes tous dans la mondialisation. Les élus locaux n’y sont pas assez sensibles. Ce sont les idées qui précédent l’action.

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