Une défiance vis-à-vis des médias pas prête de s'arrêter chez les élus locaux

Une défiance vis-à-vis des médias pas prête de s'arrêter chez les élus locaux

Presse locale, presse régionale

© Adobe/ savoieleysse

Mis en éveil par la couverture éditoriale jugée médiocre des dernières élections locales, des maires et des parlementaires s'inquiètent d'un débat politico-médiatique à la dérive, depuis quelques mois. Ils craignent de subir les échéances électorales majeures qui se profilent en 2022... Et n'hésitent plus à faire part de leur désarroi à voix haute. Le personnel politique interroge ouvertement la responsabilité de certains journalistes et industriels des médias dans la crise démocratique actuelle.

Et si la crise de la presse était aussi, voire avant tout, une crise de l’offre ? La question n'a rien de farfelue, dans l'esprit de nombre d’élus de terrain n’ayant pas de carrière politique nationale à proprement parler, ni leurs ronds de serviette sur les plateaux de télévision de la région-capitale. Le traitement des élections régionales et départementales 2021 mais aussi des municipales 2020 – peu couverts d'ordinaire par une presse nationale hyper-centralisée, et contée cette fois-ci sous la forme de « mid-terms » à l’américaine - leur a laissé un goût particulièrement amer.

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 « Faire de la politique ne peut se réduire à l’évocation de simples destins personnels. Que les journalistes parisiens n’aient d’yeux que pour Xavier Bertrand, Anne Hidalgo, Valérie Pécresse ou Laurent Wauquiez lors des dernières régionales, passe encore. Mais, à un an de la présidentielle, même la presse locale s’est focalisée sur les alliances et rapports de forces propres à chaque camp » raconte, las, le président (PS) de Quimperlé Communauté, Sébastien Miossec.

Débats abscons 

Bilan des majorités sortantes, compétences des mairies, intercommunalités ou conseils régionaux, enjeux locaux à arbitrer dans le cadre de ces scrutins, projets et propositions des différents candidats : rien de tout cela n'était présent, ou alors en quantité négligeable. Hors des grandes villes, très peu d’élus disent s’y être retrouvés en allumant la radio ou en lisant la presse. « Et ne parlons même pas des élections départementales, littéralement occultées par les journalistes faute d’avoir lieu dans le même temps à Paris » regrette le maire (LREM) d’Autun, Vincent Chauvet.

Si certains élus ont pu, par le passé, se consoler de ne pas faire les gros titres des journaux, en mettant en œuvre leurs politiques à l’abri des regards, une limite a été franchie. Incontestablement. « L’agenda médiatique n’a, à aucun moment, laissé de place aux sujets de fond, ni cherché à se raccrocher aux compétences des différentes institutions. Est-ce la faute aux candidats ou aux journalistes concentrés sur les mêmes polémiques nationales ? C’est le fameux débat entre l’œuf et la poule… » poursuit, sans parvenir à trancher, le breton Sébastien Miossec.

Une critique plus fine et nuancée que chez les anti-système

Quoi qu'il en soit, même les médias locaux – épargnés jusqu'à peu par la vindicte - n’échappent plus aux critiques acérées du personnel politique. Un passage dans les colonnes du journal, tout comme sa lecture quotidienne, leur demeurent indispensables, mais cela ne les empêche pas de contester certains choix éditoriaux et industriels

La défiance qu’exprime ces décideurs à l'égard de la presse n’a que peu à voir, toutefois, avec celle manifestée par les Gilets jaunes ou les militants anti-vaccins, qui accusent les rédactions françaises de ne résister ni aux « pressions du pouvoir politique » ni aux « pressions de l’argent ». En dépit du comportement ambivalent de certains irréductibles dénonçant la bien-pensance ou le politiquement correct d'une « caste médiatique », l'immense majorité des élus – à commencer par ceux témoignant dans ce dossier du Courrier des Maires - n'en sont pas à faire huer les journalistes lors de leurs déplacements ou réunions à la manière d'un Donald Trump ou d'Eric Zemmour...

Les récriminations des maires ainsi que des parlementaires ont bien plus à voir avec la dégradation des conditions de travail dans de nombreuses rédactions, qui ne disposent plus pour beaucoup des moyens financiers ni du temps nécessaire à la réalisation de décryptages et d'enquêtes fouillées ainsi que de reportages au long-cours. En cela, elles visent finalement davantage les actionnaires et propriétaires de médias – les Arnault, Bolloré, Drahi, Křetínský, Niel ou Pinault qui ont fait main basse sur les principaux médias nationaux et remodelé le paysage de l'audiovisuel et de la presse en quelques années à peine -, que les journalistes en tant que tels – faisant plutôt figure, dans cette affaire, de victimes collatérales.

Concentration accentuée des médias 

Des sénateurs ont d'ailleurs commencé, dans le cadre d’une commission d’enquête dont les travaux viennent tout juste de débuter, à évaluer l’impact de ces bouleversements et chamboulements économiques sur la démocratie. Largement commenté à l’échelle nationale, ce phénomène de « concentration accrue » des médias trouve également une traduction locale moins connue. La presse quotidienne régionale (PQR), « désormais aux mains de cinq ou six acteurs – dont deux groupes bancaires – qui ont cassé le système pluraliste issu de la Libération », décrit l'exposé des motifs, devrait passer sous les fourches caudines du Sénat.

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Plusieurs membres de la Chambre haute participant à cette commission d’enquête craignent que les mutualisations, restructurations et plans de rationalisation des dépenses qui s’enchaînent dans le secteur menacent non seulement l’autonomie des rédactions vis-à-vis de leurs actionnaires comme de potentiels annonceurs, mais aussi l’indépendance et la liberté de pensée des journalistes n’ambitionnant pourtant au quotidien que d’exercer convenablement leurs métiers. Les sénateurs Assouline, Lafont ou Robert vérifieront également ce que cette fragilisation de la profession produit sur la vie démocratique du pays : affaiblissement du pluralisme de la presse, diminution du maillage journalistique, montée en puissance de la communication et du journalisme d'opinion, perte de diversité et de qualité de l’information délivrée aux citoyens, etc.

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La couverture des élections, passées et à venir, au cœur des préoccupations

Ces différents reproches émanant d'élus locaux comme de parlementaires ne surprennent pas Raphaël Nivoit, maire (SE) de Gambais et professionnel de la radio. « C'est voir ces organes faisant partie intégrante de la société - au même titre que les institutions - épargnés par la critique qui serait étonnant ! » balaie l’élu des Yvelines, réalisateur de la matinale de RTL.

Alors qu’approchent les élections présidentielle et législatives 2022, la réconciliation des journalistes et du personnel politique n’a rien d’évident. Les commentateurs parviendront-ils à sortir la tête des petites phrases, des provocations et des sondages – mode de traitement jusqu’ici privilégié pour ce type d’échéances -, pour se muer en reporters et se rendre (enfin) sur le terrain prendre le pouls des citoyens et de leurs maires ? Sauront-ils faire remonter les préoccupations et problématiques concrètes de la société dans toute sa diversité, en haut de l'agenda politico-médiatique ? Ou, au contraire, faute de garanties accordées aux rédactions soucieuses de livrer une information de qualité, les insuffisances entrevues en 2020 et 2021 risquent-elles de se répéter, contribuant plutôt à tirer le débat vers le bas ? S’il est trop tôt pour répondre de façon définitive à ces questionnements, les élus espérant encore infléchir la tonalité entendue au cours de cette pré-campagne doivent s’attendre à une bataille de longue haleine.

Politique politicienne

Quelques signaux faibles font certes état d'une timide prise de conscience de patrons de presse, à la recherche d'un ancrage territorial manquant terriblement à leurs rédactions et d'une légitimité retrouvée. Certains dirigeants de médias locaux semblent avoir entendu leurs journalistes et prêts à proposer une information à haute valeur ajoutée avec plus de long-formats. Autant d’initiatives qui, bien qu’elles demeurent marginales, pourraient contribuer à faire atterrir le débat public national et donner une autre image du pays, plus proche et respectueuse des diversités locales.

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Pour autant, nombre de commentateurs à l’audience exponentielle continuent à participer à l'hystérisation des débats sur les chaînes d’information en continu, semblant avoir déjà oublié les niveaux exceptionnels d'abstention en 2020 et 2021. Incapables de faire vivre des débats contradictoires sur des enjeux de fond, ils continuent de réduire la vie politique en une sous-émission de télé-réalité…

« La focalisation des médias sur les jeux d'alliance ou des polémiques stériles, plutôt que les enjeux territoriaux, du quotidien, qui concernent la majorité de nos concitoyens, est délétère », s'inquiète Bernard Combes, maire(ex-PS)  de Tulle et ancien conseiller de François Hollande à l’Elysée. « Lorsque les journalistes ne s'intéressent pas aux problèmes des habitants, ils donnent l'impression que les politiques ne les calculent pas. Rien d'étonnant que les électeurs finissent, à leur tour, par ne plus nous calculer. »

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