Un plan Très haut débit au bon vouloir du privé

Aurélien Hélias
Un plan Très haut débit au bon vouloir du privé

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© CD Vendée

Alors que la Cour des comptes s'alarme dans un rapport diffusé le 31 janvier d'une accumulation de retards dans le déploiement du programme France Très haut débit, qui ne devrait pas aboutir avant 2030 au lieu de 2022, le Courrier des maires avait dès novembre souligné les failles d'un plan où les zones les plus intéressantes vont au privé et les moins rentables échoient aux acteurs publics locaux. Raison pour laquelle, comme pour la téléphonie mobile, la continuité territoriale risque de ne pas être assurée.

Article issu de l'enquête "Très haut débit : inégales connexions territoriales" du Courrier des maires n°306, novembre 2016

Lancé au printemps 2013, le plan France très haut débit (PTHD) vise à couvrir l’intégralité du territoire avec une connexion supérieure à 30 mégabit/seconde (Mbit/s) avant fin 2022. Le projet porte sur l’installation de 35 millions de lignes, pour un investissement total de près de 30 milliards d’euros. L’Etat invite tous les départements à se mobiliser pour que tous les Français disposent d’un accès performant à l’internet depuis leurs logements, dans les entreprises et les administrations.

Voilà pour le principe. Dans la pratique le montage est complexe, et les résultats aléatoires. Du côté des 3 600 grandes agglomérations et capitales départementales baptisées zones denses, et représentant 55 à 57 % de la population totale, pas de souci. Les opérateurs privés (notamment Orange, SFR, Free, Numericable, etc.) se déploient ou ont déjà déployé des réseaux de câble ou de fibre optique. Ils opèrent généralement de leur propre initiative ou sous forme conventionnée avec les élus. En 2015, ils ont promis d’investir directement plus de 10 milliards d’euros qu’ils rentabiliseront directement et rapidement ; ils sont assurés de se rembourser en commercialisant directement les accès auprès des nombreux clients potentiels.

12 à 14 milliards d’argent public

Mais dans les zones moins denses la problématique est autre puisque la rentabilité des connexions n’est pas assurée ou longue à obtenir. Les départements sont donc sollicités pour opérer et financer des « réseaux d’initiative publique » uniquement publics ou mixtes (public/privé) de raccordement en investissant directement 12 à 14 milliards d’euros en travaux d’équipement. Dans le plan, 6,5 milliards d’euros sont financés par des subventions publiques dont 3 milliards d’euros issus de l’engagement financier direct de l’Etat. La seconde moitié devant être bouclée par les recettes d’exploitation et le cofinancement des opérateurs.

La palette des technologies mises en œuvre est très variée (voir lexique en fin de dossier). Leur prix varie du moins cher au plus cher : d’abord avec l’ADSL (VDSL et VDSL2), les connexions câble ou fibre existant ou à poser, les ondes radio par bornes wifi, wimax ou antennes 4G, enfin la coûteuse liaison par satellite. Comme toujours, plus la connexion est éloignée du réseau, plus son raccordement est dispendieux.

Des conventions déséquilibrées ?

Tel est le plan. Sur le principe les élus sont d’accord, mais restent partagés sur ses modalités et notamment la grande part d’initiative laissée au privé. « C’est un choix politique : est-ce au marché de piloter un tel projet ? », s’alarme Laurence Comparat, maire adjointe de Grenoble. En témoigne le maire d’Aujac, une commune de moins de 200 habitants au cœur des Cévennes (Gard), délaissée par les opérateurs. Certes, son principal commerce (café-restaurant, épicerie, hôtel) s’est équipé d’une connexion par satellite, mais elle pèche souvent par un mauvais débit en cas de mauvais temps.
Pour éviter que le privé ne trahisse ses promesses, le gouvernement incite les élus locaux à contractualiser leurs relations avec les opérateurs sous la forme donnant-donnant : une zone dense échangée contre des raccordements éloignés. Cela donne lieu à quelques bras de fer, comme dans l’Ain où le conseil départemental a réussi à faire jouer la concurrence Numericable contre Orange, et dans les Hauts-de-Seine, où il menace de rompre le contrat de délégation à cause du retard pris dans les zones les plus éloignées. Mais ailleurs cela peut mieux se passer. Comme à Annecy où l’agglomération a découpé le marché entre plusieurs opérateurs complémentaires ou concurrents, selon les zones. « Dans la convention, Orange s’est engagé à ce que d’ici le 31 décembre 2020 l’ensemble des points de mutualisation soit réalisé. Ensuite, et sous le contrôle de l’Arcep, il devra le déployer et rendre raccordable tous les logements ou locaux à usage professionnel pour 2022 au maximum.

Comme pour la téléphonie mobile

Autres temps, autres mœurs. Alors que dans les années 1970, le plan téléphonique pour tous était conduit avec un seul opérateur public - ce qui a permis de raccorder tous les Français au réseau commuté via un câblage en cuivre en un temps record de 5 ans -, aujourd’hui le gouvernement préfère laisser au privé l’installation des réseaux à très haut débit les plus rentables. Il l’a déjà fait pour la téléphonie mobile dans les années 1990, créant alors des zones blanches où la connexion est mauvaise, voire impossible. Pour les élus les plus pessimistes, il est probable que le THD suive le même chemin avec les mêmes conséquences : une discontinuité du territoire vis-à-vis d’une connexion rapide à l’internet.

Sous-équipés à 20 kilomètres de Montpellier

En matière de très haut débit, Arnaud Moynier, maire de Beaulieu, a le sentiment d’avoir été négligé. Tant au niveau du département que de la métropole montpelliéraine. Beaulieu fait pourtant partie des 31 communes et des 400 000 résidents de Montpellier Méditerranée métropole, et l’ex-capitale régionale, Montpellier, n’est qu’à 20 kilomètres. Son avis est tranché : « Comme pour la plupart des communes périurbaines, la ville est, là encore, confrontée à un problème de sous-équipement. »

Télétravail et cotravail en berne. Paradoxalement, alors qu’une part importante des habitants est composée de cadres qui désirent télétravailler à distance ou d’entrepreneurs individuels qui cherchent à développer leurs activités depuis un bureau local, ils ne disposent pas encore de connexion de qualité. Tout juste ont-ils une connexion ADSL classique. De même, dans le passé la mairie a lancé plusieurs projets de création de centre de cotravail qui n’ont pas pu voir le jour, faute de très haut débit et de soutien réel de la part de l’agglomération. « Pis encore : nous n’avons même pas accès au réseau de fibre optique NumHer@ult qui passe pourtant sur le territoire de notre commune, cela pour des raisons encore inexpliquées », confirme le maire.
Finalement, la solution est venue du privé. C’est SFR qui l’a présentée en proposant d’équiper la commune de fibre dans les fourreaux téléphoniques actuels d’Orange. « Nous sommes favorables à cette solution, SFR cherche à être un opérateur leader autour de Montpellier et plusieurs autres communes ont aussi été contactées. »

Droit de regard.
Pour la collectivité, le coût est nul, l’opérateur amortissant son équipement sur les abonnements. Arnaud Moynier reste toutefois vigilant et négocie un droit de regard sur le raccordement des zones les plus éloignées de la commune où tirer la fibre ne sera pas forcément rentable pour l’opérateur. Finalement, d’ici deux à trois ans, soit bien avant l’échéance de 2022, Beaulieu disposera d’un accès à très haut débit grâce à cette opération entièrement privée.

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