Rapahaël Liogier, philosophe et professeur des Universités
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Depuis 2019, Sciences-Po Aix propose un cycle de formation continue à destination des élus locaux, des maires et des cadres de la fonction publique territoriale, sur la responsabilité sociétale des organisations (RSO). Pour Raphaël Liogier, philosophe et professeur des Universités, qui vient de prendre la direction de ce certificat, le vrai pouvoir transformateur est aujourd’hui au niveau des communes.
Courrier des maires : Qu'est-ce que c'est que la responsabilité sociétale des organisations ? Et en quoi les collectivités, notamment les communes, sont-elles concernées ?
Raphaël Liogier : Le mot « sociétal » signifie ici que la société dans son ensemble est actuellement en train de changer en raison de toute une série de phénomènes qui sont liés notamment à la globalisation et à la suppression des distances (rapidité des flux et des informations), aux nouvelles technologies qui modifient l’espèce humaine et à l’environnement. Nous devons donc faire face à de nouveaux défis, de nouveaux enjeux politiques, sociaux, économiques mais aussi à de nouveaux risques. Quand on dit « responsabilité sociétale », cela veut dire que face à cette transformation de la société dans son ensemble et donc aux nouveaux enjeux et risques, on ne peut plus agir comme avant. Et les collectivités font partie, au même titre que les entreprises ou les familles, de l’organisation de notre société et sont donc concernées par cette transformation : elles doivent aussi gouverner autrement et elles sont mêmes en première ligne ! Comment séduire les citadins en quête de « mieux-vivre » et gérer les connexions avec la ville ? Comment industrialiser sans mettre en péril le développement durable ? Comment attirer des entreprises créatrices d’emplois… mais pas n’importe quel emploi ? C’est pour cela que notre certificat s’adresse en priorité aux décideurs et aux personnes qui sont en responsabilité dans les collectivités, notamment dans les communes.
Aujourd’hui les citoyens sont très sensibles à ces questions de « responsabilité sociétale » …
Tout à fait ! Un maire ne peut plus faire l’économie de la responsabilité sociétale. Les communes, comme toutes les organisations et entreprises, sont évaluées par les citoyens en fonction de leur responsabilité sociétale. C’est pour cela que nous travaillons également beaucoup sur les enjeux éthiques qui sont très importants. Par exemple, sur la question de la sécurisation des communes et le fait de placer des caméras de surveillance : jusqu’où peut-on aller dans la surveillance sans déprivatiser la vie des habitants ? Idem avec la ville intelligente, la « smart city » : quelles sont les limites ? En fait, nous explorons des notions dont on entend tout le temps parler mais dont on a du mal à savoir exactement de quoi il s’agit.
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Et selon vous, quels sont les leviers aux mains des élus pour faire vivre concrètement cette responsabilité sociétale dans les territoires ?
Déjà une connaissance pointue du l’environnement institutionnel complexe qui les entoure. Bien sûr il y a le maillage territorial, les communautés de communes qui permettent aux communes membre, sans rien leur imposer, de choisir ce cadre en fonction de projets communs. Mais aussi d’autres cadres : une commune peut aussi se lier avec une commune limitrophe européenne, il faut donc aussi intégrer le cadre européen. Certaines institutions internationales peuvent également offrir des possibilités pour des petites communes ! Il y a en fait tout un paysage institutionnel et de subventions à découvrir et à connaître pour pouvoir agir.
Cette formation s’adresse particulièrement aux maires, mais beaucoup d’entre eux ont l’impression que depuis 2015 que le pouvoir n’est plus en mairie… mais à l’intercommunalité !
Oui ils le pensent, mais on remarque aussi que le pouvoir passe des mairies à l'intercommunalité en raison de l'ignorance par les maires des pouvoirs qu’ils ont encore entre les mains. Si vous ne savez pas que vous avez cette compétence, vous ne la mobilisez pas et effectivement, elle n’existe pas ! Au cours de la formation, on va les aider à prendre conscience des compétences qu’ils ont et comment les mobiliser. Par exemple, on va travailler sur les communes qui poussent à l’installation de « hubs » sur leurs territoires, ces espaces économiquement, technologiquement et culturellement attractifs où se rencontrent les projets, les investissements, et étudier leurs stratégies afin de s’en inspirer. Le développement de demain n’est plus seulement urbain mais lié à la multiplication de ce type de « hubs ». Les maires sont aux premières loges et aujourd’hui, le vrai pouvoir transformateur, lié à la responsabilité sociétale, il est au niveau des communes.