Centre d'appels téléphoniques
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Le Défenseur des droits et l’INC-60 millions de consommateurs ont testé les plateformes téléphoniques de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), l’Assurance maladie et Pôle emploi. Résultat : un niveau d’information insuffisant, doublé d'un renvoi trop fréquent vers les sites internet. Dans un contexte de dématérialisation des relations administratives, l’enquête pointe du doigt le risque de renforcer l’exclusion des personnes victimes de la fracture numérique. A prendre en compte aussi pour les services publics locaux…
A l’heure de la dématérialisation administrative, domaine dans lequel la France est devenue en 2014 la nation la plus avancée en Europe et la 4e au rang mondial, une enquête menée par Le Défenseur des droits et l’INC-60 millions de consommateurs critique les services téléphoniques de trois grands services publics nationaux : l’Assurance maladie (CNAMTS), la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et Pôle emploi.
Pourquoi s’intéresser cela ? Parce que, soulignent les auteurs de l’enquête, avec l’accueil en agence, c’est le mode de communication qui permet ou, plutôt, qui est censé permettre encore à de nombreux usagers d’obtenir des informations et de conduire leurs démarches administratives.
En effet, selon le baromètre numérique du Crédoc, 17 % des habitants n’ont pas d’accès internet chez eux, car ils n’en ont pas les moyens, qu’ils vivent dans des zones blanches et/ou qu’à leur âge avancé, ils sont passés à côté de cette technologie. Une petite part d’entre eux se connecte avec des outils mobiles.
Dématérialiser, c’est exclure ?
Selon la même enquête, 16 % des personnes n’utiliseraient jamais internet (les non-internautes) et 21 % en auraient un usage très limité, ne se sentant pas assez à l’aise. Une mauvaise maîtrise de langue française à l’écrit explique une part de cette sous-utilisation. Au final, 37 % des usagers ne recourent probablement pas à Internet pour réaliser leurs démarches. Un chiffre qui doit interroger tous les services publics qui se dirigent à grands pas vers une dématérialisation quasi-complète.
37 % des usagers ne recourent probablement pas à Internet pour réaliser leurs démarches.
Dans ce contexte, l’enquête du Défenseur des droits et de l’INC-60 millions de consommateurs a consisté à tester les services téléphoniques des trois opérateurs. Le résultat est mauvais.
Trois types d’usagers au "profil fragile" ont passé leur appel :
- des malentendants ;
- des personnes privées d’internet ;
- et des personnes avec un fort accent étranger, en l’occurrence, africain ;
- un quatrième groupe d’usagers "lambda" a permis de mesurer les éventuelles différences de traitement au téléphone.
Entre réponses incomplètes et mauvais aiguillages
L’enquête fait état de près de 50 % d’appelants estimant n’avoir pas obtenu de réponses à leurs questions de la part de l’Assurance maladie, pourtant le meilleur des trois élèves. Ce taux montre à 61 % pour les personnes avec un accent étranger. Mais il redescend à 32 % pour les malentendants qui font l’objet d’une attention plus forte. Les appelants de tous bords étaient en majorité renvoyés vers le web et les personnes sans accès au web, vers les agences.
Chez Pôle emploi, la question posée fut, somme toute, banale : "Ai-je droit à une allocation et si oui, en suivant quelle procédure ?" Les réponses ont été souvent incomplètes au regard des attentes des appelants.
Par exemple, seuls 10 % des conseillers contactés ont proposé de réaliser une simulation des droits au chômage auxquels pourraient prétendre les appelants. De même, un seul conseiller sur cinq a expliqué de manière détaillée les formalités à effectuer pour s’inscrire. Au total, 57 % des appelants estiment ne pas avoir reçu de réponse à leurs questions, chiffre qui monte à 77 % chez les appelants "avec accent", mais descend à moins de 30 % pour les appelants malentendants.
Quelle égalité d’accès aux services publics ?
A la CNAF, 9 appelants sur 10 ont été invités à se connecter sur leur compte en ligne pour connaître les conditions d’obtention de l’allocation sociale de logement. Seul 1 appelant sur 5 est parvenu à se faire expliquer les démarches à suivre.
Là encore, on constate de fortes inégalités en fonction du profil : les appelants à accent étranger sont beaucoup plus mal traités que les autres.
Les services téléphoniques de ces trois organismes laissent donc plus qu’à désirer, alors qu’en même temps les services en agence (de moins en moins nombreuses) sont souvent contingentés.
Impossible, par exemple, de s’inscrire au chômage autrement que sur le site internet de Pôle emploi. De même, la demande de prime d’activité auprès de la CNAF est exclusivement dématérialisée depuis le 1er janvier 2016.
Face à ce constat, les auteurs de l’étude, qui reconnaissent l’intérêt de la dématérialisation, non seulement pour une majorité d’usagers (information et démarche immédiates et sans déplacement, accès aux archives de son compte, etc.), mais également pour les services publics en terme d’économies, appellent à la vigilance.
Varier les canaux d’information
"Cette évolution vers le 'tout-numérique' interroge le principe de l’égalité d’accès aux services publics, en particulier pour les publics qui ont un accès difficile à internet qui représentent une partie non négligeable de la population", soulignent les auteurs de l'enquête.
L’INC-60 millions de consommateurs et Le Défenseur des droits insistent : "De tels résultats rappellent la nécessité d’offrir des modalités d’informations variées et l’importance de conserver des lieux d’accueil physique sur l’ensemble du territoire." Ils soulignent l’importance d’une meilleure information des usagers sur l’existence d’un accès multicanal, afin que chacun trouve la voie la plus adaptée à son profil.
Les auteurs de l’étude appellent à meilleure articulation des canaux, afin que leur complémentarité permette d’éviter l’exclusion des populations les "moins connectées". "A cet égard, termine l’étude, la qualité de l’accueil téléphonique doit rester un enjeu majeur, à l’instar des accueils physiques". Des conclusions qui pourraient servir également la réflexion sur la dématérialisation des services publics locaux.