Travaux publics : ouvrage public illégal et action en démolition

Bernard Poujade

Sujets relatifs :

L’ouvrage public irrégulièrement construit peut être démoli à moins que cette démolition ne porte, selon le juge, une atteinte excessive à l’intérêt général.

Cet arrêt du 13 février 2009 « Communauté de communes du canton de Saint-Malo-de-la-Lande » (n° 295885) constitue une illustration de la jurisprudence récente relative aux conséquences à tirer de la construction irrégulière d’un ouvrage public.

Les circonstances du litige

La commu­nauté de communes du canton de Saint-Malo-de-la-Lande a fait construire, en 1999, sur le territoire de la commune d’Agon-Coutainville, une cale d’accès à la mer. Par un jugement du 20 janvier 2004, le tribunal administratif de Caen, après avoir jugé que cet ouvrage avait été irrégulièrement construit, a, par son article 2, condamné la communauté à verser à l’association « Manche Nature » une indemnité de 1 500 € en réparation du préjudice subi du fait de l’édification de cet ouvrage. Mais il a rejeté les conclusions de l’association tendant à la démolition de la cale ; par un arrêt du 18 avril 2006, la cour administrative d’appel (CAA) de Nantes a annulé la décision de rejet de la demande de démolition de la cale et prononcé l’injonction demandée par l’association. Le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la CAA et rejette la demande de démolition de la cale.

Le principe de droit applicable

Lorsque le juge administratif est saisi d’une demande tendant à l’annulation d’une décision rejetant une demande de démolition d’un ouvrage public dont une décision juridictionnelle a jugé qu’il a été édifié irrégulièrement et à ce que cette démolition soit ordonnée, il lui appartient de rechercher, pour déterminer en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date où il statue, s’il convient de faire droit à cette ­demande :

– si, eu égard à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible ;

– dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d’une part, les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage. D’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

L’illégalité de la construction

La cale d’accès à la mer a été édifiée dans le site classé du ­havre de Regnéville, dans un secteur inscrit à l’inventaire des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique, et à l’inventaire des zones importantes pour la conservation des oiseaux, établi en application de la directive du 2 avril 1979, espace préservé au sens des dispositions de l’article R.146-1 (C. urb.), pris pour l’application du 1er alinéa de l’ar­ticle L.146-6 (C. urb.) ; en application de l’article R.146-2 du même code, ne peuvent être implantés dans un tel secteur qu’un certain nombre « d’aménagements légers ». Mais la cale liti­gieuse – une ­dalle en béton coulée sur enrochement d’une longueur de 100 m et d’une largeur de 6 m – ne saurait être regardée comme un aménagement léger. Elle a donc été implantée irrégulièrement.

Le refus de la démolition

L’activité conchy­licole du secteur occupe une place importante dans l’économie locale et représente une part notable de la production conchylicole natio­nale. Aucune autre cale d’accès à la mer n’étant située à moins de 2 km à vol d’oiseau de l’ou­vrage litigieux, celui-ci est de nature à faciliter l’exploitation des nombreux parcs situés à proximité ; en permettant d’éviter les mouvements fréquents de tracteurs et autres engins sur l’estran et sur des cales utilisées pour la navigation de plaisance, il présente un intérêt certain pour la sécurité des exploitants, des plaisanciers et des estivants ; enfin, eu égard à sa configuration, la cale d’accès, qui est une simple rampe, n’a qu’un impact limité sur le paysage, la faune et la flore du site. Par suite, sa démolition porterait une atteinte excessive à l’intérêt général. .

Commentaire

Le Conseil d’Etat a mis fin au principe de l’intan­gibilité de l’ouvrage public, selon lequel l’« ouvrage public mal planté ne se détruit pas ». Désormais, le juge administratif peut ordonner la démolition d’un ouvrage public construit de façon irrégulière (Conseil d’Etat, section, 29 janvier 2003, Syndicat départemental de l’électricité et gaz des Alpes-Maritimes, req. n° 245239). Mais il ne pourra le faire que si la régularisation est impossible et si la démolition de l’ouvrage public ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général. On se souvient que le juge a ainsi enjoint à une commune de déposer une ligne électrique. Dans la présente espèce, le Conseil d’Etat met en balance avec une précision extrême les avan­tages et inconvénients pour en déduire que le maintien ne porte pas atteinte à l’intérêt général.

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