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La réforme de la taxe d’habitation (TH) – à savoir la promesse de sa totale suppression à l’horizon 2021 – a donné lieu ces derniers jours à un nouvel imbroglio gouvernemental. Pour Guillaume Protière, maître de conférence en droit public à l'université Lumière-Lyon 2, le gouvernement pourrait trouver la solution juridique permettant de maintenir cet impôt pour les 20% de Français les plus riches. Mais un tel choix serait socialement contestable, et donc politiquement dangereux.
Maintien partiel ou suppression totale ? La question de l'avenir de la taxe d'habitation n'est toujours pas arbitrée. Après avoir expliqué que l’exécutif réfléchissait à un maintien partiel de la TH, pour les 20% des Français les plus riches, le ministre de l'économie Bruno Le Maire a finalement « rétropédalé » quelques heures plus tard à la demande de l’Élysée… tout en affirmant, quand même, que le sujet restait à discuter lors du Grand Débat National ! Le flou est total.
Pour Guillaume Protière, maître de conférence en droit public et doyen de la faculté de droit et science politique, le maintien partiel de cet impôt sur une tranche de la population serait un choix « risqué » pour le gouvernement, sur le plan juridique mais pas seulement. Un dispositif pourrait être trouvé pour convaincre les Sages du Conseil Constitutionnel, d'après lui. Mais il sera bien plus compliqué d'emporter l'adhésion des contribuables concernés.
Si le gouvernement décide de maintenir une taxe d’habitation pour les 20 % des Français les plus riches, ne risque-t-il pas de créer une rupture d’égalité devant l’impôt ?
Guillaume Protière : "En décembre 2017, le Conseil Constitutionnel s’était déjà penché sur cette question et il avait répondu qu’en l’état, à savoir un dégrèvement accordé à 80% de la population, il n’y avait pas de rupture d’égalité constituée. Mais les Sages avaient également replacé ce maintien partiel dans le cadre d’une réforme globale de l’imposition. Ils considéraient donc qu’il ne s’agissait que d’une étape d’un processus non abouti.
D’ailleurs, le Conseil Constitutionnel avait apporté une mention complémentaire - qui n’est pas fréquente - pour expliquer qu’il resterait très attentif aux changements de droit et de fait qui interviendraient dans le futur. Un moyen de se laisser l’opportunité de revenir sur la décision rendue. D’ordinaire, pourtant, une décision du Conseil Constitutionnel a une valeur définitive.
Vous semble-t-il possible, dans ces conditions bien particulières, de maintenir une imposition sur une partie seulement de la population ?
Juridiquement, cela me semble compliqué même si rien n'est pas impossible en droit. Mais même si le gouvernement peut toujours techniquement « inventer » un nouveau dispositif visant à contourner l’accusation de rupture d’égalité, cette hypothèse ne me paraît de toute façon pas socialement envisageable.
[caption id="attachment_71754" align="alignright" width="230"] Guillaume Protière[/caption]
La taxe d’habitation est en effet un impôt peu intelligible pour une grande majorité des Français, notamment parce qu’on lui a greffé la taxe sur l’audiovisuel. Elle apparaît globalement comme un impôt injuste. Son maintien pour une tranche de la population considérée comme « riche », c’est-à-dire pour les célibataires gagnant plus de 2500 euros et les familles gagnant plus de 4000 euros, risquerait de crisper toute une frange de la population et de faire croître son sentiment d’injustice fiscale. D’autant plus, que ce sont globalement les mêmes qui supportent également l’impôt sur le revenu. Les « Gilets jaunes » pourraient donc se trouver, alors, des alliés inattendus dans cette frange de la population !
En outre, maintenir partiellement la taxe d’habitation serait un choix contre-productif car le bénéfice financier attendu est finalement assez faible : 10 à 15 milliards d’euros rapporté à un PIB qui tourne autour de 2200 milliards d’euros.
Que se passerait-il si le Conseil constitutionnel confirmait une rupture d’égalité face à l’impôt, dans l'hypothèse où le gouvernement maintenait partiellement la taxe d'habitation ?
Il existe plusieurs scénarios possibles et autant de conséquences imaginables. Mais l’un des plus probables serait que le Conseil Constitutionnel fasse une déclaration d’inconstitutionnalité en retenant comme motif un changement de circonstance – puisqu’il s’est laissé cette opportunité de regard dans sa décision de décembre 2017. Il sanctionnerait alors la loi en vigueur et pourrait alors en conséquence décider de supprimer cet impôt pour tous les Français, afin de supprimer l’inégalité constatée.