Table ronde AMF, ARF, ADF sur la gouvernance et la subsidiarité

La rédaction

L'Association des maires de France, l'Assemblée des départements de France et l'Association des régions de France ont exposé les enjeux de l’acte III de la décentralisation lors d'une table ronde organisée début septembre par le "Courrier des maires" et "la Gazette des communes". Clarification des compétences, gouvernance territoriale, réforme de l’Etat… forment le noyau de leurs attentes et propositions, alors qu'un projet de loi est attendu pour 2013, au terme d’une large concertation avec les représentants des collectivités territoriales.

Le Courrier des maires : Quel est votre état d’esprit au moment d’aborder le nouvel acte de la décentralisation ?

Jacques Pélissard : La décentralisation a été depuis trente ans une réussite. Mais nous avons besoin d’aller vers une meilleure efficacité de la marche de l’Etat et des dépenses publiques. La décentralisation, c’est aussi une grande responsabilisation des élus locaux et des citoyens. Le dialogue est engagé avec le gouvernement. Nous sommes au début du processus de concertation. Nous y participerons de manière constructive, exigeante mais loyale.

Claudy Lebreton : Il faut un approfondissement de la décentralisation qui apporte des réponses aux questions sur la clarification des compétences, sur les nouveaux transferts, sur les moyens financiers (réforme de la fiscalité, dotation de fonctionnement, etc.). Et puis l’idée, cette fois-ci, est de faire la réforme de l’Etat en même temps. C’est consubstantiel.

François Bonneau : Les régions sont très favorables et très engagées dans cette nouvelle étape de décentralisation. Dans un monde qui bouge beaucoup, avec des besoins des citoyens et des territoires en rapide évolution, les décisions doivent être prises au bon niveau de façon à être réactives. Un nouveau rapport entre l’Etat et les collectivités doit se développer. C’est une priorité pour l’efficacité.

Clarification des compétences

Souhaitez-vous l’achèvement de certains transferts et acquérir de nouvelles compétences ?

J. P. : Nous souhaitons le maintien de la clause de compétence générale pour les communes car nous sommes en prise directe avec les problèmes et les attentes des habitants. Sur la base du volontariat des communes, il faut aussi une plus grande liberté quant aux possibilités de transferts de compétences vers l’intercommunalité. Nous sommes pour une meilleure mutualisation des moyens. Par contre, nous souhaitons revenir sur l’insécabilité des compétences car ce principe jurisprudentiel, et non pas légal, est parfois préjudiciable, notamment en matière de politique de la ville où l’intervention concertée des collectivités est nécessaire. Il est cependant important que les communes restent en prise directe avec cette politique qui se fait sur le terrain. Même chose en matière de voirie. Je ne suis pas pour l’automaticité des transferts de compétences car la gestion doit être adaptée aux territoires qui sont différents. Il faut laisser la liberté de choix aux élus locaux.

F. B. : Nous sommes favorables à ce que l’organisation de cette troisième étape de la décentralisation se fasse autour de la notion de blocs de compétences. Certaines choses sont aujourd’hui mal délimitées.

C. L. : Les départements ont un préalable. Le gouvernement doit apporter des réponses sur le financement. S’il est rempli, nous demanderons un nouveau transfert de compétences. Mais avec les principes de subsidiarité, de responsabilité, de liberté, de spécificité des territoires. Nous demandons une certaine autonomie.

Dans quels domaines souhaitez-vous une clarification ?

C. L. : Le social, pour certains minima sociaux notamment, le handicap. La politique du logement et des aides à la pierre pour laquelle nous aimerions passer de la délégation à la compétence. Le conseil et l’ingénierie auprès des communes car le mouvement est enclenché : cinquante départements ont créé des agences. Et puis au titre de l’aménagement du territoire, nous demandons la gestion de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) gérée par les préfets.

J. P. : Nous devons sortir de l’émiettement des compétences par exemple en matière de monuments historiques pour lesquels il y a des financements issus de cinq niveaux (Etat, département, région, intercommunalité et commune) sans compter les financements européens. Il faut désigner un chef de file pour mieux rationaliser et accélérer la réalisation des travaux. Autre exemple : l’intercommunalité doit être le chef de file de l’animation culturelle sur son territoire.

F. B. : Sur un sujet comme l’économie, un transfert des responsabilités de l’Etat aux régions s’avère nécessaire. Nous gérons déjà le développement de pôles de compétitivité avec les autres collectivités et en inter-région. Nous souhaitons une gestion des fonds structurels plus réactive avec un pilotage par les régions. L’élaboration d’un schéma régional de développement économique doit être portée par la région dans le dialogue avec l’Etat, avec les partenaires sociaux, avec les autres collectivités territoriales. Sur l’innovation et le transfert de technologie, il faut aller plus loin dans la simplification. Ce travail n’a pas besoin du filtre de l’Etat pour la mise en œuvre. Le plan de formations doit aussi être monté dans les régions pour pouvoir l’articuler en temps réel avec les problèmes, par exemple quand il y a des plans sociaux, des entreprises qui connaissent des difficultés. L’orientation des politiques de l’emploi mérite que la région soit représentée dans les instances qui vont décider et que nous soyons localement dans un partenariat plus actif avec Pôle emploi.

Les régions doivent-elles devenir chefs de file pour le champ de compétences orientation, formation, apprentissage, lycée, enseignement supérieur ?

F. B. : Oui bien sûr. La réalité est aujourd’hui absurde. Plusieurs autorités élaborent une carte de formations professionnelles alors que cela concerne au même moment, les mêmes diplômes, les mêmes qualifications, le même territoire, le même développement économique et social. Nous avons là une décentralisation inachevée. Nous proposons qu’il n’y ait qu’une seule responsabilité pour élaborer ce schéma et cette carte. Cela doit valoir pour la formation initiale, ou la formation tout au long de la vie, les demandeurs d’emploi, l’orientation.

Politiques territoriales

Comment faut-il organiser cette gouvernance ?

J. P. : Il faut de vrais chefs de file. La région en est un incontournable en matière de développement économique. Mais elle doit faire équipe avec les collectivités de terrain, notamment les intercommunalités, pour partager et porter les sujets. Ce tandem me paraît essentiel. Il faut inventer une gouvernance infrarégionale avec la région, les agglomérations mais aussi avec les zones rurales qui sont actuellement un peu oubliées.

F. B. : Il faut en effet un chef de file sur les différents projets (culturels, sportifs…) qui nécessitent un tour de table financier et pour lesquels il y a dans la réalité déjà des contractualisations. Nous devons mieux organiser nos responsabilités en recourant à une conférence permanente des collectivités territoriales pour faire le point sur les dossiers que nous portons… Le très haut débit, la création des maisons de santé pluridisciplinaires imposent d’agir ensemble en rassemblant nos capacités financières pour relever les défis.

C. L. : Sur cette notion de chef de file, nous sommes prêts à discuter. Il y a des possibilités sur la culture, le sport, le tourisme, la jeunesse… mais le débat va porter sur la compétence économique. Le spectre est large entre la création des zones d’activités, les "nurseries » d’entreprises, les politiques de cluster, les infrastructures, la politique de l’emploi, etc. Cela ne concerne pas que l’Etat, le département, la région. Les communautés d’agglomérations, les grandes villes ne vont pas se désintéresser de la question.

La région doit-elle être chef de file en matière de développement économique ?

C. L. : Sur la politique de l’emploi, très certainement. Mais que fait-on de l’économie sociale et solidaire ? Derrière la solidarité et les allocations, c’est de l’économie et de l’emploi. Je ne pense pas que les régions aient envie de s’occuper de cette politique de l’emploi-là. Par contre, on a besoin des régions sur la formation professionnelle, où l’on sera sur une politique contractuelle.

Ce chef de file doit-il être prescripteur ?

F.B. : Si la région est chef de file sur le développement économique, elle doit être prescriptrice sur les schémas, mais après toutes les concertations nécessaires. Aux élus locaux de fixer ensuite l’échelle sur le terrain.

J. P. : Ce schéma doit être issu d’une négociation infrarégionale forte. Il ne sera incontestable que s’il est issu d’une concertation avec les différentes collectivités de la région concernée. Il faut un schéma en matière économique, pour la formation. Dans les autres champs de compétences, laissons l’initiative et l’imagination opérer.

C. L. : Tout se négocie. Que la région soit chef de file sur le développement économique et l’emploi, cela me paraît aller de soi. L’intérêt est que l’on ne fasse pas la même chose d’une région à une autre. Utilisons l’expérimentation. Il faut nous donner une liberté de manœuvre. Un schéma prescriptif renvoie à la notion de tutelle. Le département est chef de file sur les solidarités, je ne demande pas pour autant de schéma prescriptif. Il faut avant tout désigner un chef de file. Et après, élaborer un schéma.

Quelles peuvent être les marges de manœuvre ?

J. P. : Selon le principe de subsidiarité, une commune ou une intercommunalité doivent pouvoir "faire appel » sur une compétence qu’elle souhaite exercer, par exemple en matière d’ingénierie pour assumer le rôle de bureau d’études. Si elles ne veulent pas, que cela remonte au département et ainsi de suite. Respectons ce principe de subsidiarité pour nous adapter aux spécificités des territoires.

C. L. : Je partage totalement l’avis de Jacques sur le principe de subsidiarité. Avec un bémol. Prendre la compétence, par exemple sur les aides à la pierre, implique des moyens importants. Je ne suis pas sûr que toutes les communautés de communes en aient la capacité.

F. B. : On demande que la loi prévoie l’expérimentation qui n’a pas été suffisamment mise en œuvre, sauf sur la gestion des trains express régionaux (TER). Le principe est tout à fait intéressant.

Seriez-vous favorable à une remise en cause du principe de non-tutelle pour fluidifier la gestion locale ?

J. P. : Je ne crois pas que cela soit une nécessité. Nous avons une clause de compétence générale que l’on souhaite garder. Il faut que l’on puisse faire appel à tel ou tel partenaire en fonction des compétences attribuées.

C. L. : Si l’on voulait instaurer une tutelle, voire supprimer un des trois niveaux de collectivités, il faudrait d’abord modifier la Constitution…

Faut-il instaurer un organe de concertation à l’échelon local ?

C. L. : Le bon niveau géographique de cette discussion est le niveau régional. Je ne dis pas qu’elle doive être organisée par le conseil régional. Mais il faut un endroit, dans la région, où l’on retrouve la commune, qui est le cœur de la République car elle est la "porte d’entrée » du service public local pour le citoyen, le département et la région. Pour la gouvernance, je laisserais liberté à celui ou celle qui va animer la conférence mais qui ne serait pas de facto le maire, le conseiller général, régional… Je suis sûr que les élus se mettront d’accord.

J. P. : Il faut effectivement une structure de gouvernance infrarégionale, dans laquelle l’Etat ne soit pas présent, et qui regroupe les différents niveaux de collectivités.

Réforme de l’Etat

Le Courrier : Le gouvernement a annoncé la fin de la RGPP et le retour de l’Etat coproducteur de l’action publique locale. Qu’attendez-vous de lui ?

—  J. P. : Il faut un Etat qui apporte du conseil financier, urbanistique, juridique… au niveau de chaque département, et qui soit contrôleur des règles.

—  C. L. : J’attends de l’Etat qu’il soit visionnaire sur l’analyse de la société, de l’Europe et du monde dans laquelle s’inscrit son action, qu’il donne les grandes orientations. Qu’il soit stratège et nous dise comment il compte atteindre ses objectifs. Et qu’il soit garant de la sécurité des citoyens, de l’égalité citoyenne et territoriale à travers la péréquation. Sur le reste, l’Etat est un partenaire.

—  F. B. : L’Etat doit poursuivre sa modernisation avec une déconcentration suffisamment forte pour jouer son rôle de conseil auprès des collectivités dans les champs où il a une expertise. Il doit se recentrer sur ses missions régaliennes, de contrôle, d’équité sur le territoire. Et prendre en compte les effets de la décentralisation, savoir se mettre en retrait et ne pas doublonner lorsque des compétences ont été décentralisées.

L’Etat doit-il réorganiser ses services déconcentrés ?

— F. B. : Bien évidemment, notamment pour disposer de la technicité nécessaire par rapport aux matières qu’il traite. On peut avoir à la fois un souci de présence territoriale à un niveau suffisamment fin mais aussi une technicité grâce à des regroupements nécessaires, notamment aux échelons régionaux, lorsqu’il y a une matière complexe ou qui demande une vision régionale.

— C. L. : Oui, l’Etat doit se réorganiser. Car il ne peut y avoir de décentralisation sans réforme de l’Etat. Nous sommes prêts à participer à la maîtrise des dépenses publiques dans un partenariat et un climat de confiance. Par exemple avec des maisons des services publics qui abriteraient des services de l’Etat et des services territoriaux, la mutualisation d’actes de gestion (RH, comptabilité, finances, fonctions de front office). J’attends aussi du préfet qu’il soit le représentant de tous les services de l’Etat.

— J. P. : Le rôle de l’Etat est d’être un partenaire local.

Comment le "Haut conseil des territoires » devrait-il fonctionner ?

— J. P. : Sous l’égide du Premier ministre, il doit réunir les trois associations d’élus (régions, départements, maires) sans être une grand-messe car il faut pouvoir discuter en petit comité. Sa mission doit être de dialoguer sur tout sujet ayant un impact sur les collectivités. Mais il ne doit pas être une instance de négociation. Le gouvernement et le Parlement décident.

— F. B. : Ce Haut conseil des territoires doit reconnaître la compétence de chacune des instances (Etat, collectivités). Il devrait être l’endroit où l’on observe et fait vivre la décentralisation, où l’on repère par rapport à des pratiques émergentes le bon partage des responsabilités, la bonne répartition des rôles de façon à avoir une bonne efficacité.

— C. L. : Il devient déterminant s’il y a une loi sur le cumul des mandats. Il faut un lieu de rencontre entre les élus locaux, le Parlement et le gouvernement, où les collectivités territoriales parlent d’une seule voix. Peut-être cette instance de concertation doit-elle intégrer le CFL, la CCEN, la CCEC, les mouvements sociaux, les experts… Mais les choses peuvent aussi se construire dans le temps.

Propos recueillis par Bénédicte Rallu, Philippe Pottiée-Sperry et Xavier Brivet

AMF - AGENDA - Le 95e congrès des maires et des présidents de communautés de France se déroule du 20 au 22 novembre 2012, à Paris-porte de Versailles. "Décentralisation acte III : qui fera quoi et comment ? » sera le thème du premier débat.

 
Article publié dans le Courrier des maires, n° 0261, du 4 octobre 2012

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