Sur le terrain, des clefs pour réparer les fractures culturelles

Hugo Soutra
Sur le terrain, des clefs pour réparer les fractures culturelles

Culture

© Adobe/EdwardSamuel

Face à la prégnance, sur le terrain, des inégalités culturelles avec des catégories populaires aux abonnées absentes, certains élus se sont approprié l’objectif gouvernemental. Et cherchent les clefs pour combler les écarts spatiaux comme sociaux.

Comment attirer de nouveaux publics au-delà des habituels passionnés ? Voilà l’épineuse question posée par Emmanuel Macron à sa ministre de la Culture. Pourtant, à l’appui de la tâche assignée à Françoise Nyssen, les réflexions sur l’accès à la culture ne sont pas l’apanage du gouvernement. Elles recoupent les interrogations de plus en plus d’élus, bien décidés à résorber le fossé entre une population au fort capital culturel peuplant les centres-villes et des populations plus excentrées, souvent reléguées en périphérie dans des déserts culturels.

Dans leur esprit, la culture ne doit plus seulement être un outil visant à attirer des cadres ou des touristes. « La concentration des équipements structurants dans les centres-villes denses, dans les cœurs d’agglomération, est un vrai problème pour les habitants des banlieues enclavées comme pour ceux des zones rurales isolées. La fracture culturelle entre les Français se creuse », avertit Marie-Jeanne Béguet. La maire (Modem) de Civrieux (Ain) est particulièrement investie sur ce dossier au sein de l’Association des maires ruraux.

Une solidarité territoriale nécessaire... mais pas suffisante

En réponse, Nantes brandit une alliance inédite des territoires pour la culture. « La municipalité supporte clairement des fonctions de centralité profitant à l’ensemble du département. Elle accueille et subventionne 97 % des compagnies chorégraphiques locales par exemple, alors que celles-ci ne jouent pas seulement dans la ville centre », témoigne David Martineau, adjoint (PS) à la culture.
Le festival nantais de musique classique « La Folle Journée » sort lui aussi, dorénavant, des frontières municipales. « Cela permet à l’ensemble des habitants, du centre-ville comme des quartiers ou des zones périurbaines, de se retrouver au milieu de la fête », se félicite l’adjoint, également conseiller métropolitain.
Une solidarité évidemment bienvenue, mais encore insuffisante aux yeux de Gilles Leproust, maire (FI) d’Allonnes (Sarthe). L’émergence de médiathèques ou d’écoles de musique flambant neuves dans plusieurs communes populaires, grâce à la rénovation urbaine, n’empêche pas le vice-président de l’association Ville et banlieue de s’interroger : « Ne serait-il pas temps de délocaliser certains équipements structurants des centres-villes plus loin dans nos agglomérations ? »

La médiation plus que jamais nécessaire

Mais il ne se fait pas d’illusions. Et enchaîne rapidement sur le nécessaire travail de médiation culturelle à mener. Car les fractures territoriales recoupent bien souvent des écarts économiques et culturels. « La question des infrastructures doit impérativement être liée à celle de l’accès des populations fragiles. Beaucoup d’Allonnais considèrent que la musique classique ne leur est pas destinée. Seul un travail préalable de pédagogie auprès des enfants scolarisés sur le territoire et, à travers eux, des parents d’élèves a permis à Zahia Zouhani et son orchestre de faire salle comble », illustre l’édile.
« Vous pouvez étendre autant que vous le souhaitez les horaires d’une bibliothèque, un enfant dont les parents sont illettrés et qui a une image négative des livres ne viendra pas naturellement. Après avoir noué des partenariats avec des centres sociaux, des maisons de jeunes ou des maisons de quartier intervenant dans les quartiers populaires, nos médiathèques ont ouvert leur offre et organisent des tournois de jeux vidéo pour faire tomber les a priori. C’est une façon d’attirer de nouveaux publics et de les familiariser avant la culture », présente, dans la même veine, l’adjoint au maire (LR) de Saint-Etienne, Marc Chassaubéné.

Un manque de cohérence dans les annonces gouvernementales

Les marges de manœuvre pour marier culture et inclusion sociale existent. Encore faut-il allier imagination et volonté politique pour ne pas concentrer tous les crédits « culture » sur les grands établissements budgétivores ou les équipements grandiloquents. Pêle-mêle, cela passe par l’organisation de résidences artistiques et d’opérations de « création partagée » avec les publics peu mobiles, la mise en place de dépôts de livres ou encore la structuration d’associations d’amateurs dans les petites communes.

Marie-Jeanne Béguet y ajoute le développement de l’enseignement artistique et culturel (EAC), même si elle regrette le quasi-abandon de la réforme des rythmes scolaires. Une « occasion perdue de donner l’envie et le goût de la culture aux élèves issus de milieux défavorisés ». C’est cela, finalement, que redoutent les élus interrogés : le manque de cohérence des décisions gouvernementale pour concrétiser la promesse présidentielle de l’élargissement de la culture au plus grand nombre.

Pour Gilles Leproust, « les ministères de la Culture et de l’Education nationale devraient aider, avec leurs moyens de droit commun, les enseignants et autres animateurs intervenant dans les quartiers ou les zones rurales. La garantie d’un accès de tous à la culture ne peut être laissée, comme aujourd’hui, à la seule appréciation des volontés locales. »

Budgets en berne : injonction paradoxale de l’Etat ou opportunité ?

Les acteurs du monde culturel sont sur le qui-vive. Comment Etat et collectivités parviendront-ils, à budget constant, à soutenir durablement la création artistique tout en incitant leurs acteurs à attirer des publics jusqu’ici exclus de l’offre actuelle ? L’équation semble insoluble aux yeux de beaucoup, notamment ceux qui peinent déjà à ne pas être déficitaires. Ils y voient une injonction contradictoire. Et la fin du dispositif des contrats aidés ne les a pas franchement rassurés.

Côté élus, l’idée de se servir de la baisse des dépenses publiques comme d’un levier politique fait progressivement son chemin. Education artistique tout au long de la vie, tarification, accessibilité, implication citoyenne : voici quelques-uns des nouveaux critères d’attribution et d’évaluation des subventions versées aux associations culturelles par la ville de Parthenay (Deux-Sèvres).
Objectif : pénaliser l’entre-soi de certaines troupes, réseaux et fédérations, pour pousser de nouveaux acteurs socioculturels à prioriser des actions relevant d’une autre philosophie, plus large que la seule qualité artistique. Une autre façon d’ouvrir la culture sur le monde.

A Autun (71), la culture pour redonner un second souffle à la ville

« La dépense culturelle ne peut plus continuer à être assimilée à une dépense de fonctionnement pure et simple, comme le sont les espaces verts ou l’état civil ; quand on paye des gens pour faire de l’animation culturelle ou de la lecture publique, nous sommes dans l’investissement en capital humain », défend Vincent Chauvet, le maire (LREM-Modem) d’Autun.

Place aux livres. Située au cœur de la Bourgogne, à plus d’une heure en voiture de la métropole dijonnaise, Autun est un exemple typique de ces villes moyennes en déprise. Un centre-ville historique qui se vide de ses habitants et de ses commerces, des charges de centralité toujours présentes et deux quartiers prioritaires situés en lisère qu’il faut impérativement garder amarrés à l’hyper-centre. Bref, beaucoup d’enjeux et des questions partagées par un certain nombre d’autres communes qui se battent pour rebondir et tenter d’exister malgré l’attractivité croissante des métropoles. Mais, pour le maire, une certitude demeure : la culture, et a fortiori l’accès à celle-ci, fait partie des solutions.

Il a ainsi été décidé de « doubler la taille de la bibliothèque intercommunale » et, mieux, de la déplacer dans l’hôtel de ville. Au-delà du symbole, « cela marque une volonté d’accessibilité au centre de la ville, au cœur d’un bâtiment historique. C’est un lieu où chacun va aller pour demander un acte de naissance, déclarer une situation à l’état civil, se renseigner, assister au conseil municipal et en même temps découvrir de manière un peu forcée les installations. On a joué sur la transparence et sur la lumière à l’intérieur ; ce qui fait que lorsqu’on pénètre dans l’institution, on voit les salles de lecture et d’autoformation. Cela incite à pousser la porte », détaille Vincent Chauvet.

Brasser les populations. La ville devrait par ailleurs porter un autre grand projet culturel courant 2018 : la réhabilitation d’un hôpital désaffecté en un centre artistique, artisanal, solidaire, coopératif et entrepreneurial. Sur le modèle des « Grands Voisins » à Paris, l’objectif serait de faire de cet espace culturel un trait d’union dans la ville, où pourraient se rencontrer les habitants du centre-ville - anciens comme nouveaux - et ceux des quartiers d’habitat collectif.

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