Revitalisation commerciale : « aux collectivités d’accompagner les plateformes digitales locales »

Aurélien Hélias
Revitalisation commerciale : « aux collectivités d’accompagner les plateformes digitales locales »

Olivier Badot, docteur en anthropologie et en économie industrielle

© Vod Assemblée nationale

Black Friday, fraude à la TVA sur les marketplace, destruction d’emplois dans les commerces de centre-ville…. La défiance à l’encontre des grandes plateformes de e-commerce ne cesse de grandir en France. D’où cette table ronde organisée par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, mercredi 11 décembre, afin de débattre des complémentarités à imaginer dans l’avenir entre le commerce physique et le e-commerce. Parmi les invités, le professeur Olivier Badot, docteur en anthropologie et en économie industrielle. Entretien.

Courrier des maires : Le e-commerce est-il responsable des difficultés que connaît aujourd’hui le commerce physique en France ?

Olivier Badot : On ne peut pas nier qu’il existe une cannibalisation des parts de marchés du commerce physique par le e-commerce, mais s’arrêter là serait trop simpliste. Pour prendre l’exemple des hypermarchés, la loi de modernisation de l’économie de 2008 - en régulant le crédit-fournisseur- a modifié le business model des grandes surfaces de périphérie. Dans le même temps, on constate - depuis des années - une baisse constante du budget des ménages sur le non-alimentaire, hormis sur les télécom (smartphone, box) et les voyages. Dans les hypermarchés, on assiste donc à une baisse en valeur de ce secteur de l’ordre de 5% tous les ans ! Ces deux facteurs, associés à la montée en puissance du e-commerce, ont effectivement fragilisé le secteur des hypermarchés.

Lire aussi : Doit-on limiter l’expansion des surfaces commerciales en périphérie ?

On pointe souvent du doigt les élus locaux comme responsables de la paupérisation du commerce de centre-ville, notamment en ayant favorisé la création de grandes surfaces en périphérie…

Là encore ce n’est pas mono-factoriel. Pourquoi les commerces sont-ils allés s’installer en périphérie ? Parce qu’à l’après-guerre, les gens sont allés s’installer en périphérie ! Parce que les villes étaient détruites, et parce que c’était le baby-boom. Donc le premier facteur est vraiment la sociologie des années 50-60. Et pourquoi les surfaces sont-elles devenues plus grandes ? Parce que les gens, dans les années 60, voulaient plus de choix, cela s’appelle la « dilatation des envies ». Au départ les pouvoirs publics ont été très favorables aux grandes surfaces car cela modernisait le pays. Si je caricature, il y avait dans la France de De Gaulle, Beaubourg, le Concorde et les grandes surfaces ! Par ailleurs, ces grandes surfaces ont permis de lutter contre l’inflation dans les années 70-80.

Les élus ont donc largement accompagné ce mouvement… sans en être la cause première. Alors est-ce que ces grandes surfaces érodent le commerce de centre-ville ? Oui évidemment, il y a un transfert de valeurs et de clientèles. Mais il y a désormais d’autres facteurs qui amplifient ce phénomène. Nos représentations collectives nous conduisent à avoir des villes dépolluées, donc à avoir moins de volume de transactions en centre-ville. Dit autrement, on met moins de choses dans ses mains que dans son coffre de voiture). Les questions d’accessibilité du centre-ville jouent également un rôle, tout comme celles du loyer des commerces. Donc tout cela, ajouté au e-commerce, explique le déclin du commerce de centre-ville.

Le e-commerce peut-il néanmoins être une opportunité pour les commerces physique ?

Oui. Dans les enseignes de grande distribution, on voit d’ailleurs se développer le commerce « phygital » qui allie le commerce « physique » au « digital ». Ce sont les « Click and Collect » ou les « Drive ». Ces nouveaux usages correspondent aux besoins des consommateurs qui aspirent à réduire « leurs efforts » dans une vie qui va vite, et qui est parfois compliquée.

On voit aussi que de nombreux consommateurs utiliser les réseaux sociaux pour consommer. Il existe donc un nouvel enjeu pour les commerces physiques à être sur les réseaux sociaux et à écouter ce qui se joue dessus pour recréer du trafic en magasin avec des événements thématiques par exemple ; il s’agit du « Social Listening ».

Enfin, il y a les plateformes digitales locales. On les voit se développer notamment dans les centres-villes. Le but ici est également de récréer du trafic en magasin via le digital ou même de la vente s’il y a des livraisons.

Justement, ces plateformes digitales locales sont-elles bénéfiques pour les commerçants de centre-ville ?

Selon le constat d’une de mes doctorantes, Anne-Sophie Clément, qui a analysé une soixantaine de plateformes locales, les premières conclusions sont plutôt relatives. Elle a en effet observé beaucoup de freins à l’adoption chez les commerçants, notamment chez ceux qui ne sont pas accompagnés dans cette démarche par une structure consulaire et/ou municipale.

Anne-Sophie Clément propose d’ailleurs trois pré-recommandations : d’abord, un accompagnement des commerçants, dans la sélection des dispositifs. Ils ont en effet le sentiment que s’ils ne sont pas toujours accompagnés, ils ont peur de se faire « manipuler » par des sociétés de services en ingénierie informatique (SS2I) qui les démarchent en direct.

Ensuite, un accompagnement financier : c’est ici la question de savoir s’il faut prendre ou non en charge ou non l’abonnement mensuel des commerces, car cela a un coût de s’abonner à ces plateformes locales. Enfin, un accompagnent en termes de communication. Il s’agit ici pour les collectivités de se faire le relai auprès des consommateurs de ce que sont ces plateformes locales et surtout de ce qu’elles offrent.

Ces plateformes nécessitent pour réussir un accompagnement en matière d’expertise, de finance et de communication et cela peut être le rôle des communes, des EPCI ou des CCI.

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