Jacques de Maillard, professeur de science politique à l’université de Versailles-Saint-Quentin, spécialiste des questions de sécurité intérieure
© cesdip
C'est le 8 février que le ministre de l'Intérieur devrait - enfin- dévoiler les contours précis et missions de la police de sécurité du quotidien. Jacques de Maillard, professeur de science politique à l’université de Versailles-Saint-Quentin, spécialiste des questions de sécurité intérieure, lève le voile sur la nouvelle doctrine à l'origine de cette "PSQ", qui ne fonctionnera selon lui que si l'Etat et les collectivités parviennent à coopérer efficacement.
Mais à quoi ressemblera donc la future « PSQ », cette « police de sécurité du quotidien » ? Malgré plusieurs mois de retard, peu d’informations filtrent. Ayant participé à la concertation lancée par le ministère de l’Intérieur, en tant que directeur adjoint du laboratoire de recherches du Cesdip, Jacques de Maillard avance quelques pistes. Et égrène les conditions de réussite de cette réforme.
Au-delà des termes de proximité et de partenariats locaux qui lui sont associés, quels contours prendra la « PSQ » ?
Il est encore un peu tôt pour évoquer ses caractéristiques puisqu’elle est amenée à évoluer suivant les résultats de l’expérimentation et les retours des territoires. Mais l’histoire récente des réformes policières, en France comme ailleurs, laisse présager des idées générales que nous devrions retrouver dans la police de sécurité du quotidien. La présence des forces de police nationale sera renforcée dans une logique de résolution des problèmes des habitants et de réponse à une demande sociale accrue de sécurité. Autre axe fort : le travail des policiers ne se résumera plus à la lutte stricto sensu contre la délinquance ou à des tâches de contrôle. Il devra intégrer des enjeux de prévention, de production d’informations avec divers partenaires institutionnels ou non, de participation citoyenne, etc.
Répondra-t-elle aux problématiques que rencontrent les élus locaux en matière de sécurité ?
Beaucoup d'élus semblent inquiets. Au delà des incertitudes qui accompagnent toute réforme, leurs réactions s’expliquent largement par les relations actuellement tendues entre Etat et collectivités territoriales. La PSQ me semble cependant de nature à répondre partiellement à une situation dont beaucoup d’entre eux se plaignent. Tous les élus dénoncent en chœur le retrait du terrain de la police comme de la gendarmerie, ainsi que la relégation au second rang du traitement des incivilités et du sentiment d’insécurité des habitants.
Comment imposer aux policiers ce passage d’une police d’intervention d’Etat à une police plus soucieuse de la qualité de service rendu aux citoyens ?
La réforme de la PSQ verra le jour alors que beaucoup de policiers ont l’impression qu’être déjà surchargés, que leur hiérarchie ne les comprend pas, et qu’une partie de la population les menace. Bon courage, dès lors, pour convaincre tous ces policiers s’imaginant comme des guerriers luttant contre la délinquance de s’engager dans des missions qui, dans leur esprit, sont assez peu valorisantes…
Le ministère de l’Intérieur ne pourra pas éviter une réorganisation de ses modes de management et de formation, ainsi qu’une refonte de son fonctionnement centralisé. Différentes pistes s’offrent à lui : responsabilisation et autonomisation à tous les échelons, des gardiens de la paix aux chefs de service, intégration d’indicateurs alternatifs dans l’évaluation intégrant confiance de la population et services aux usagers, gouvernance partagée avec les collectivités qui pourraient être amenées à donner leurs avis sur le travail des chefs de service, etc.
Le ministère de l’Intérieur devra-t-il déléguer certaines tâches dévolues à la police nationale aux polices municipales ?
C’est un point à surveiller de près, car l’autre enjeu, pour l’Intérieur, sera de faire en sorte que les acteurs de terrain s’approprient aussi cette réforme. Qui dit résolution des problèmes de la population - qu’il s’agisse de propreté, de stationnement ou de tranquillité publique - dit nécessairement diagnostics de sécurité, collecte et échange d’informations, contacts de qualité avec les habitants et donc, fonctionnement efficace du partenariat local.
Le succès de la police de sécurité du quotidien ne repose pas uniquement sur le ministère de l’Intérieur, mais implique l’élaboration d’une vraie stratégie d’action entre les polices nationale et municipales, les collectivités, les bailleurs sociaux, les transporteurs publics, voire même les conseils de quartier.
Mais l’élargissement des tâches des polices locales, de plus en plus armées, à des missions répressives ne se fait-il pas, justement, au détriment de la proximité et du lien social ?
Le positionnement des collectivités est à la fois ambivalent et contradictoire. Si certains élus sont attentifs à ne pas aligner leurs polices municipales sur la nationale malgré le désengagement de cette dernière, d’autres maires ont décidé de verser dans un style plus répressif. Rappelons que certaines associations comme France Urbaine demandent même que les agents de police municipale soient habilités à procéder à des contrôles d’identité.
Les maires et les préfets devront s’accorder, localement, sur la répartition des tâches entre polices. Il n’y a pas de réponse nationale sur le sujet, et c’est toute la logique de la PSQ. Les élus devront faire valoir, lors de cette négociation, leurs ressources stratégiques pour la réussite de la PSQ, comme la connaissance fine du territoire et de ses habitants.
Pourquoi l’implication des collectivités est-elle à ce point nécessaire ?
De par leurs liens quotidiens avec les habitants, les polices municipales, les services de propreté, de voirie ou même d’aménagement si l’on songe à la prévention et à la médiation, les élus sont des partenaires absolument essentiels pour l’Intérieur. Mais leur implication au quotidien n’est pas acquise : tout dépendra de l’organisation concrète de ce partenariat interservices.
A mon sens, la police nationale doit réellement investir les dispositifs de dialogue et de coopération existants. Et cela ne doit pas se résumer à une réunion à la fin du mois de décembre dans les bureaux de la direction départementale de sécurité publique…
Justement, faut-il réviser et revoir de fond en comble le fonctionnement des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance ?
Oui, mais ne créons pas de nouveaux dispositifs institutionnels, n’alourdissons pas l’existant sous peine d’essouffler les acteurs qui y participent. L’insuffisante connexion entre les services œuvrant au partenariat et les forces de police, sans compter la création de structures de concertation supplémentaires, avaient été de vrais problèmes pour l’ancrage de la police de proximité.
L’enjeu, aujourd’hui, est plutôt de réinvestir ces dispositifs : quand cela n’est pas fait, les différents partenaires des CLSPD devraient recommencer par établir un diagnostic partagé, à la fois quantitatif et qualitatif, afin d’engager une dynamique de travail partenariale pour faire remonter les informations puis favoriser la mise en place d’une action collective de résolution des problèmes. Les conseils de quartiers et autres conseils citoyens pourraient être utilisés pour mieux associer les habitants.
Êtes-vous optimiste, après l’échec de la police de proximité et face à la défiance des policiers de terrain dont un nombre croissant vote pour le Front national ?
Toutes ces contraintes, aussi fortes soient-elles, ne sont pas insurmontables. D’abord, le Président de la République a parlé clairement de ce sujet, et le ministère de l’Intérieur l’a relayé. Il y a donc un message politique relativement fort, même s’il nous faut être attentif à l’opérationalisation de ces orientations. De plus, rien ne sert de nier leur adhésion à des idées « défensives » mais elles doivent être dissociées de leurs pratiques professionnelles. D’autant plus que, s’ils sont évidemment inquiets de l’avenir, les policiers ne se satisfont pas de la situation actuelle.
Tout dépendra vraiment de comment la réforme va être conduite par le ministère de l’Intérieur et de la façon dont se l’approprieront les acteurs de terrain, policiers comme élus. Il ne faudra pas hésiter à s’inspirer des réformes des polices anglaises ou encore de celles de Montréal et Chicago. Une des principales conditions de la réussite de la PSQ sera d’assumer justement le processus d’apprentissage, d’ajustement, de correction et d’essai-erreur pour que cette réforme et la philosophie qui lui est associée puisse véritablement s’inscrire dans la durée et survivre aux alternances.