La responsabilité sans faute de la commune pour rupture d’égalité devant les charges publiques est retenue par le Conseil d’Etat.
L’arrêt rendu le 4 octobre 2010 par le Conseil d’Etat, « Commune de Saint-Sylvain-d’Anjou » (req. n° 310801), illustre le cas assez particulier d’une responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques.
Les circonstances des litiges
Par arrêté du 17 juillet 2001, le maire de Saint-Sylvain-d’Anjou a interdit la circulation des véhicules d’un tonnage supérieur à 3,5 tonnes sur le chemin rural dénommé « route communale n° 7 » dans sa portion comprise entre la route départementale n° 94, carrefour des Six Chemins et la route départementale n° 52, utilisé comme voie de desserte de la maison d’habitation et des constructions à usage d’atelier et de garage dont M. et Mme Seillery sont propriétaires au lieudit « La Fontaine Brûlon » ; M. et Mme Seillery avaient donné à bail, le 17 avril 2001, pour une durée de neuf années, à la société Anjou Froid Logistique, cet ensemble immobilier, qui a fait l’objet d’une extension en 1991 après permis de construire et dont la seule voie d’accès est constituée par la « route communale n° 7 ». Par suite de l’arrêté municipal du 17 juillet 2001, cette société, qui exerce une activité de transports nécessitant l’usage de véhicules d’un tonnage supérieur à 3,5 t, a résilié le bail et quitté les lieux le 31 décembre 2001. La commune se pourvoit en cassation contre l’arrêt par lequel la CAA de Nantes l’a condamnée à verser une somme de 142 381,14 euros à M. et Mme Seillery en retenant sa responsabilité sur le fondement du principe d’égalité devant les charges publiques.
La responsabilité pour faute
Le Conseil d’Etat considère que la « route communale n° 7 » qui correspond à l’ancien chemin vicinal n° 7 n’a fait l’objet d’aucune décision de classement dans la voirie communale et constitue un chemin rural sur lequel le maire pouvait compétemment prendre, en application de l’article L.161-5 du Code rural, des mesures temporaires ou permanentes d’interdiction de la circulation ; l’arrêté du 17 juillet 2001 n’a pas été pris en méconnaissance des dispositions de l’article 4 de la loi du 12 avril 2000. La mesure, rendue nécessaire par les exigences de la sécurité publique, n’a pas, en l’espèce, porté une atteinte excessive aux libertés d’aller et venir et du commerce et de l’industrie ni au droit de propriété, et la possibilité laissée aux véhicules agricoles de circuler sur le chemin litigieux ne porte pas une atteinte illégale au principe d’égalité devant la loi. La circonstance que d’autres voies communales présentant des caractéristiques similaires ne feraient pas l’objet d’une mesure identique d’interdiction de la circulation est sans influence sur la légalité de l’arrêté contesté ; aucune illégalité fautive de nature à ouvrir droit à indemnité n’a été commise.
La responsabilité sans faute
Les mesures légalement prises, dans l’intérêt général, par les autorités de police peuvent ouvrir droit à réparation sur le fondement du principe de l’égalité devant les charges publiques au profit des personnes qui, du fait de leur application, subissent un préjudice anormal, grave et spécial ; l’arrêté du maire du 17 juillet 2001 a eu pour effet d’obliger la société Anjou Froid Logistique, alors qu’elle venait de prendre à bail le terrain de M. Seillery pour ses propres activités de transport, à quitter les lieux ; cet arrêté, qui a été la cause directe de la résiliation du contrat de bail et non, seulement, d’une perte de chance des propriétaires de voir le bail s’exécuter jusqu’à son terme, a causé un préjudice aux époux Seillery. Ce préjudice est constitué de la privation des loyers attendus et des impôts et charges qu’ils n’auraient pas supportés si le contrat de bail s’était poursuivi ; il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux époux Seillery ; il doit être évalué, compte tenu des justifications produites par M. et Mme Seillery, lesquelles ne sont pas utilement contestées par la commune, à la somme totale de 142 381,14 euros.
Commentaire
Cette affaire revient opportunément sur les différents fondements de la responsabilité encourue par les élus usant de leurs prérogatives de police. L’arrêté pris par le maire interdisant aux véhicules d’un tonnage de plus de 3,5 t de circuler sur la voie communale est régulier mais une décision administrative non fautive peut engendrer un préjudice. En l’espèce, le préjudice est fondé sur la rupture de l’égalité devant les charges publiques. On se souvient notamment de l’arrêt du Conseil d’Etat du 31 mars 1995, « Lavaud », où un office public d’HLM décide de fermer une dizaine de tours dans le quartier des Minguettes provoquant le départ de la quasi-totalité de la clientèle d’un pharmacien. Malgré sa légalité, la décision administrative cause un préjudice. Le Conseil d’Etat estime juste que celui-ci soit indemnisé. Dans le cas présent, la victime supporte, dans l’intérêt général, des charges que les autres membres de la collectivité ne supportent pas. Le préjudice doit être anormal et spécial à la victime.