Education
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En abandonnant les ZEP au profit des REP, la réforme en cours de l'Éducation prioritaire redessine la carte scolaire... A moyens constants. La satisfaction des uns fait ainsi le malheur des autres. Des enseignants, parents et élus dénoncent des choix arbitraires.
Une trentaine de personnes forment un cercle devant le collège Paul-Eluard, dans le quartier République, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Un enseignant, debout sur un banc, hausse la voix pour essayer de couvrir le bruit des voitures. Il fait le compte rendu d'une rencontre organisée la veille, le 26 novembre 2014, entre une délégation des enseignants en grève, le recteur de l'académie de Créteil et la directrice des services départementaux de l'Education nationale (DSDEN).
A l'ordre du jour, la réforme de la cartographie de l'éducation prioritaire décidée dans la loi de Refondation de l'école. Sa présentation auprès des acteurs locaux a débuté depuis quelques jours dans les académies. Paul-Eluard a ainsi reçu confirmation de sa sortie du dispositif prioritaire.
"Je vous répète textuellement ce que la DSDEN nous a demandé, avec un ton un peu méprisant : 'Vous avez peur de quoi ? De passer de 24 à 25 élèves par classe ?' », relate l'enseignant. En réalité, ce que craignent profs et parents d'élèves, c’est d'arriver au plafond de droit commun : 28 élèves par classe.
Des projets attractifs
« Depuis que nous sommes en ZEP (1998, ndlr), nous avons joué le jeu. Nous avons mis en place des projets éducatifs importants », raconte Amandine Cormier, enseignante et représentante du SNU-FSU. Elle énumère, en vrac : « Des classes bilingues anglais-allemand dès la 6e, un programme d'apprentissage de la nage pour tous les élèves de 6e, de l'accompagnement renforcé en 4e et 3e. On peut faire encore du latin et du grec, ici, et il y a une classe de musique à horaires aménagés. »
Avant d'entrer en ZEP, Paul-Eluard faisait l'objet d'un fort évitement scolaire, au profit d'établissements privés ou publics de Paris ou des communes huppées de Saint-Mandé et de Vincennes. « C'est grâce à ces projets que le collège a retrouvé de la mixité sociale, insiste Belaïde Bedreddine, adjoint au maire, en charge de l'Éducation et conseiller général de la Seine-Saint-Denis. C’est comme quelqu'un atteint d'une maladie chronique qui prendrait bien son traitement et à qui on imposerait d'interrompre celui-ci, sous prétexte que son état serait satisfaisant. Le risque de rechute est fort. »
Pourquoi cet établissement devrait-il retrouver le droit commun ? « La nouvelle éducation prioritaire, c'est une nouvelle carte des réseaux pour que ce soient les territoires qui en ont le plus besoin qui bénéficient de cette mobilisation exceptionnelle », a expliqué Najat Vallaud Belkacem, qui met en place la réforme initiée par Vincent Peillon. L'objectif affiché est de réduire à 10 % les écarts de réussite scolaire entre les élèves.
Un classement par indice social
Les REP et REP+ correspondent aux « quartiers ou secteurs isolés qui connaissent les plus grandes concentrations de difficultés sociales ayant des incidences fortes sur la réussite scolaire », indique le ministère de l'Education nationale. Ses services ont classé tous les établissements par académies, en s'appuyant sur un « indice social » élaboré par sa direction de la statistique, à partir des taux de catégories socio-professionnelles défavorisées, de boursiers, d'élèves résidant en zone urbaine sensible et de jeunes en retard à l'entrée en 6e.
Selon ce calcul, le collège Paul-Eluard doit donc quitter l'Education prioritaire. « C'est vrai, l'évitement scolaire a baissé. Mais ce phénomène est encore important, défend Amandine Cormier. Lorsqu'on s'intéresse au revenu moyen des habitants du quartier, il ne reflète donc pas forcément la réalité du collège. »
Plus d'entrées que de sorties
En Seine-Saint-Denis, département le plus préoccupant en matière d'échec scolaire, 5 collèges doivent quitter l'Education prioritaire. Mais, le conseil général reste satisfait car il enregistre en même temps 13 intégrations. Au final, 62 % des collèges du "9-3" seront en REP ou REP +.
L'élu de Montreuil ne partage pas cette satisfaction. « L'école fonctionne mal, en particulier dans notre département, insiste Belaïde Bedreddine. Cette réforme à moyens constants déshabille Pierre pour habiller Paul. Ce n'est pas notre conception de l'Education nationale. » Dans les établissements et communes de Seine-Saint-Denis concernées, la pilule est d'autant plus amère que la même semaine, le 19 novembre, la ministre annonçait un plan de rattrapage pour ce département.
Le mécontentement ne s'exprime pas qu'en Seine-Saint-Denis. En Gironde, où l'on comptabilise 6 sorties de REP et 3 entrées, on reste mitigé sur la future carte de l'éducation prioritaire. « Le découpage des ZEP datait de trente ans. Il était temps de le revoir pour tenir compte des profonds changements démographiques et sociologiques du département », reconnaît Alain Marois, vice-président du conseil général, en charge de l'Education. Cependant, avec la redistribution de l'éducation prioritaire, le département a perdu des REP, au profit d'autres départements de l'Aquitaine. « C'est le cas des cantons de Guîtres et de Lussac, s'inquiète l'élu. Ils figurent pourtant dans la 'ceinture de pauvreté' de l'est du département. » D'où l'étonnement des élus.
Une cartographie partielle
D'ailleurs, en janvier 2014, l'organe d'études et de statistiques du ministère avait publié une cartographie de la France, répertoriant les cantons où les données socio-économiques étaient propices à l'échec scolaire. Les cantons de Guîtres et de Lussac s'y illustraient par une « précarité économique dans les petites et moyennes communes ». La même carte classe donnait l'ensemble de la ville Montreuil comme présentant « un cumul de fragilités économique, familiale et culturelle en milieu urbain ».
Comment certains collèges se trouvent-ils exclus de l'éducation prioritaire malgré des situations économiques et sociales reconnues comme difficiles ? Certainement, parce que leur indice social les situe, dans leur classement académique respectif, à une place inférieure au nombre de REP et REP+ budgétisés. C'est ce caractère arbitraire que nombre d'enseignants et délus locaux dénoncent.
Séparation des 1er et 2e cycles
Autre critique mêlée d'inquiétude : le sort des écoles primaires. Jusqu'alors, les ZEP étaient pensées comme des réseaux incluant l'enseignement primaire et secondaire, notamment pour accompagner au mieux le passage en 6e. Lorsqu'un collège était classé en ZEP, il embarquait avec lui toutes les écoles primaires de son secteur. Avec la réforme, il semblerait que le sort des écoles élémentaires et des collèges soient différenciés.
La carte des écoles en REP ou REP+ devrait être connue à la veille des vacances de Noël, selon le calendrier du ministère. Mais d'ores et déjà, parents, enseignants et élus municipaux sont mobilisés, comme à Montreuil, dans certains arrondissements de Paris, dans l'académie d'Aix-Marseille ou encore à Guîtres, craignant les effets d'une sortie de REP sur la structure des classe. La hausse des effectifs par classes peut conduire à en supprimer certaines ou à multiplier les classes à double niveaux.
Alors que la réforme n'a pas fait l'objet d'une concertation préalable avec les enseignants et les élus locaux, la contestation qui s'installe depuis deux semaines a fait bouger les lignes. Le ministère propose désormais aux établissements sortants un système de convention qui leur permettrait de conserver, en partie au moins, des moyens supérieurs à la normale pendant trois ou quatre ans. Les détails ne sont pas encore connus, mais pour certains, ces conventions font figure de soins palliatifs.