Régions et départements rechignent toujours à signer les contrats financiers avec l’Etat

Aurélien Hélias
Régions et départements rechignent toujours à signer les contrats financiers avec l’Etat

Les présidents de régions le 20 juin 2018 au siège de l'association à Paris

© @Regionsdefrance

Pour la plupart opposés par principe à voir leurs dépenses de fonctionnement plafonnées par l’Etat, les collectivités régionales et départementales fixent leurs conditions pour parapher un engagement. Mais les deux associations d’élus, Régions de France et ADF, sont bien conscientes qu’elles ne pourront empêcher certains de leurs membres de « toper » avec le gouvernement, ne serait-ce que pour éviter un « retour de bâton » sur les dotations ou les programmes co-financés par l’Etat…

Ultime coup de pression. A dix jours de la date limite pour parapher les contrats financiers Etat-collectivités limitant à +1,2 % l’évolution de leurs dépenses de fonctionnement, les régions de France sont venues dire à nouveau tout le mal qu’elles pensaient du principe même, deux mois après avoir fait de même de concert avec l’AMF et l’ADF. « Recentralisation massive, jacobinisme et bonapartisme semblent être devenus de rigueur dans le pays, en contradiction complète avec le sens de l’Histoire ! », enrageait le patron de Régions de France, Hervé Morin.

La contre-« convention" des régions sans effet auprès de l'exécutif

Si les arguments sur le refus de voir l’Etat régenter les dépenses des collectivités régionales et la dichotomie avec un Etat dont les dépenses de fonctionnement augmentent plus vite sont connus, Régions de France avait tenté ces derniers jours une dernière offensive sous la forme d’une contre-proposition : celle d’une convention-cadre plus large. Celle-ci, en échange du respect des +1,2% - parfois moins pour certaines régions -, aurait imposé à l’Etat de s’engager notamment sur ses financements des contrats de plan (CPER) et de compenser la suppression du fonds de soutien au développement économique. « Nous avons reçu une fin de non-recevoir jeudi dernier », regrette le patron de l’exécutif normand, qui dénonce « des dispositifs faits pour amuser la galerie », à rebours de l’inclinaison « girondine » des propositions de modification de la Constitution faites par l’exécutif lui-même.

Une seule région signataire à ce jour

A ce jour, seule la Bretagne, longtemps présidée par l’actuel ministre des affaires Etrangères, Jean-Yves Le Drian, a annoncé sa volonté de signer. Les autres régions métropolitaines se répartissent entre collectivités clairement frondeuses – Normandie, Occitanie, Corse et Paca ne parapheront pas – et celles qui se donnent encore « le temps de la réflexion » jusqu’au 30 juin.

Et parmi ces dernières, c’est un principe de réalité qui pourrait s’imposer, comme l’ont reconnue leurs présidents respectifs : « Ceux qui ont inscrit la décentralisation dans la Constitution doivent se retourner dans leur tombe. Mais le Conseil constitutionnel a validé le texte, et le retour de porte peut être violent », craint ainsi le Patron de la Nouvelle aquitaine, Alain Rousset. Car l’’exécutif pourrait alors user du bâton – la baisse des dotations à partir de l’année suivante – pour les collectivités non-signataires et ne respectant pas le plafond des +1,2%.

La crainte d'un retour de bâton

« Je suis indulgent avec feux qui signeront car des collectivités sont un passif à gérer », consent ainsi Hervé Morin en faisant référence à « la situation budgétaire de Poitou-Charentes », l’ex-région absorbée par la Nouvelle-Aquitaine. « Il y aura des pénalités plus faibles si on signe mais en contrepartie d’un contrôle renforcé », résume ainsi Etienne Blanc, le vice-président (LR) d’Auvergne-Rhône-Alpes, dont  le cœur balance entre signature et politique de la chaise vide. Car en cas de non-respect de la trajectoire d’évolution des dépenses fixée dans le contrat, les pénalités seraient plus importantes pour les non-signataires : 100 % de l’écart entre les dépenses exécutées et le plafond fixé, contre 75 % pour les collectivités ayant contractualisé.

D’autres attendent de voir ce qu’il en sera… des autres contractualisations Etat-région. Exemple dans les Pays-de-la-Loire où « la signature est interrogée…, selon son vice-président (LR) Martin André. S’y ajoute le problème du contrat d’avenir lié à l’aéroport qui ne se fera pas. Nous n’avons pas de réponse du Premier ministre et les deux signatures sont liées ». Cas de figure similaire dans le Grand Est où le président de région, Jean Rottner (LR), attend de voir ce qu’il en sera sur « les fonds de cohésion et la Pac ». Quant à la région Ile-de-France, Valérie Pécresse devrait annoncer sa réponse d’ici la fin du mois.

Un refus massif chez les départements

Côté départements, le refus de signer à ce jour est encore plus clair : « c’est une opposition à 77% des votants », a révélé Dominique Bussereau, patron de l’Assemblée des départements de France alors que l’association tenait son assemblée générale le matin-même. Dans son département, la Charente-Maritime, comme dans ceux du président du groupe de gauche, André Viola (Aube), ou DCI, François Sauvadet, Côte-d’Or, les trois patrons d’exécutifs départementaux ont convaincu leur assemblée délibérante de voter contre le principe même de signer avec l’Etat ces « lettres de cadrage financier », peste Dominique Bussereau.

[caption id="attachment_76145" align="alignleft" width="300"] André Viola, Dominique Bussereau et François Sauvadet lors de l'AG de l'Assemblée des départements de France le 20 juin 2018[/caption]

Malgré un accord trouvé avec le Gouvernement sur le financement de la gestion des mineurs non accompagnés (MNA, ex-Mineurs étrangers isolés), une proposition financière de l’Etat en-deçà de ses attentes s’agissant du financement des allocations individuelles de solidarité (AIS) et le principe même de voir leurs dépenses de fonctionnement limités par l’Etat poussent une large majorité des conseils départementaux à tourner le dos à l’Etat. « Mise sous tutelle », « discussion impossible avec les préfets », « objectifs intenables »… les raisons invoquées par le patron de la Côte-d’Or pour ne pas signer sont nombreuses. André Viola y ajoute lui l’accusation « d’atteinte à la libre administration des collectivités, même si beaucoup d’entre nous atteindrons les 1,2 % et même en deçà », prend-il soin de préciser.

Pas de ligne imposée par le bureau de l'ADF

Pourtant, en avril dernier, quelques jours après que les trois grandes associations d’élus s’étaient déjà élevées contre le principe même de la contractualisation, trois départements (Tarn-et-Garonne, du Loir-et-Cher et de la Seine-Maritime) avaient paraphé leur contrat avec l’Etat lors d’une réunion mise en scène par Matignon. Mais ce trio a fait peu d’émules chez les 101 autres départements (ou collectivités adhérentes) de l’ADF.  Reste que chez les départements également, des signatures de dernière minute pourraient intervenir. « L’ADF n’est pas une caserne et nous avons libéré les départements qui souhaitent signer. On verra au 1er juillet prochain… »

Conférence nationale des territoires : ira ou ira pas ?

Comme lors de la précédente CNT, la question est posée : les trois grandes associations d’élus boycotteront-elles le sommet bisannuel Etat-collectivités prévu pour le 13 juillet ? Il y a six mois, seule l’AMF avait choisi cette voie. Et encore, les maires avaient-ils envoyé une « observatrice » en la personne de la maire de Morlaix, Agnès le Brun... « Nous réservons cette décision que nos prendrons collectivement avec François Baroin et Dominique Bussereau », glisse Hervé Morin, laissant planer la menace d’une politique de la chaise vide. Le patron de l’ADF n’est pourtant pas sur cette ligne « on ne referme jamais le dialogue : on ira », tranche –t-il en évoquant uniquement l’idée d’en « parler » avec les deux autres associations d’élus. Quant à la troisième, l’AMF, son président aurait déjà décidé de s’y rendre…

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