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Les candidats aux élections locales de 2014 intègrent-ils l'interco dans leurs stratégies électorales? Comment ? Et quelle en sera la traduction dans leurs discours de campagne ? Les enjeux de pouvoir, alors que les EPCI absorbent de plus en plus de compétences, sont-ils de nature à infléchir la structuration des communautés, la gestion locale et les relations entre ville-centre et communes périphériques ? Autant de questions auxquelles la rédaction a cherché à répondre dans le dossier de septembre du "Courrier des maires et des élus locaux". En voici un large extrait... pour engager le débat.
Introduction - « En dehors de quelques cas singuliers, l’intercommunalité apparaît comme l’un des parents pauvres des récentes élections municipales », écrivait, au lendemain des municipales de 2008, Nicolas Portier, délégué général de l’AdCF, en conclusion d’une étude sur « l’intercommunalité en campagne ».
Les facteurs à l’origine de cette « logique d’occultation » de l’interco étaient alors nombreux : « Son éclipse résulte bien d’un compromis tacite pour la tenir à distance et la protéger des affrontements politiques, tout en cherchant à municipaliser les enjeux intercommunaux. [L’intercommunalité] n’a ressurgi en tant qu’enjeu politique majeur qu’au mois d’avril, lors du troisième tour et des négociations serrées » pour la composition des exécutifs intercommunaux des EPCI, déplorait-il.
Six ans plus tard, les hérauts de l’intercommunalité ont des raisons de croire qu’un meilleur sort lui sera réservé lors de la campagne des municipales 2014.
→ D’abord parce que, durant ce mandat, les communautés ont élargi leurs champs de compétences et leur surface financière, là où les communes n’ont plus toujours les moyens d’intervenir seules. De là, la multiplication des cas où un maire, solidement implanté depuis plusieurs mandats, décide de se retirer en douceur du paysage politique local, tout en conservant la tête de la communauté vers laquelle s’est déplacé le centre de gravité des politiques publiques locales (lire dans notre dossier, partie 1 : "L'interco, un objet de pouvoir plus que de campagne").
→ Autre élément de nature à intégrer les projets intercommunaux dans les programmes des candidats : le contexte institutionnel favorable aux communautés.
- Avec la mise en œuvre, depuis la réforme de 2010, de périmètres élargis qui de facto étendent géographiquement leurs prérogatives.
- Du fait des différents projets de loi de décentralisation en cours de discussion au Parlement, dont la logique est de faire passer à un niveau supérieur d’intégration chaque statut intercommunal, des communautés de communes aux futures métropoles en passant par les communautés d’agglomération et urbaines.
« Nous prendrons le pouls là où des reconfigurations de périmètres sont contestées, mais aussi là où des projets communautaires engendrent des tensions, comme celui du tramway amiénois », annonce ainsi Sébastien Vignon, maître de conférences en science politique à Amiens et coordonnateur de l’édition 2014 de l’étude sur « l’intercommunalité en campagne » pour l’AdCF...
... Car l’intercommunalité pourrait aussi prendre place dans la campagne d’une manière inattendue, les pourfendeurs des fusions de communautés et du pouvoir croissant donné aux exécutifs intercommunaux sachant parfois se faire particulièrement bien entendre (lire notre dossier, partie 2 : "Quand métropolisation et intégrations forcées font de l'interco un repoussoir").
Le fléchage, enjeu de campagne ?
L’instauration d’un mode d’élection plus démocratique, avec l’extension du fléchage aux communes de plus de 1 000 habitants, favorisera-t-elle une emprise plus grande des enjeux intercommunaux dans la campagne ? L’influence de ce mode de scrutin divise les élus comme les chercheurs.
Dès 2008, l’AdCF estime « qu’en imposant des déclarations préalables de candidature aux sièges de conseillers communautaires, le scrutin fléché aura pour effet de faciliter l’interpellation des candidats en campagne sur certains enjeux intercommunaux ». Mais c’est pour aussitôt rappeler que « nombre d’observateurs et d’élus doutent de la capacité de ce seul mode de scrutin à modifier en profondeur les logiques institutionnelles qui prévalent », écrivait Nicolas Portier (lire ci-dessous).
L’interco, relais du discours municipal ?
Si les facteurs institutionnels sont désormais réunis, rien ne pourra se faire sans la volonté des candidats de rendre à l’interco ce qui appartient à l’interco.
Ainsi, en 2008, les thèmes du logement, des transports, de l’environnement, du développement économique et de l’emploi prédominaient. « Pour autant, ces thématiques, au cœur de compétences gérées par les intercommunalités, [n’avaient] pas constitué l’occasion d’expliciter les changements d’échelle en cours », déplorait l’AdCF. D’où ce risque, à nouveau en 2014, « de voir se multiplier des engagements de campagne lors des élections municipales, mais que seule l’intercommunalité sera en capacité juridique et financière de concrétiser par la suite ».
Reste l’hypothèse de l’affiliation des candidatures municipales à des programmes communautaires. Des listes fédérées à un candidat déclaré à l’intercommunalité auraient le mérite de la clarté. Mais cette option de « plateformes communes » entre candidatures à la mairie et à l’EPCI semble encore loin d’être adoptée.
Dans l’intention du législateur, intercos et métropoles doivent monter en puissance d’ici à 2020. Mais les enjeux de proximité des municipales et les stratégies électorales des candidats pourraient bien bousculer ce scénario.
ALAIN FAURE, directeur de recherche au CNRS en science politique : « La proximité est privilégiée »
« Certains leaders politiques locaux construisent une partie de leur rhétorique de campagne sur l’intercommunalité, comme on l’a vu en 2008 à Rennes. Ce phénomène est amplifié par l’arrivée d’une jeune génération d’élus. Mais dès que se durcissent les campagnes et que la dimension émotionnelle prend le pas, l’interco repasse à la marge. Il devient alors difficile d’intégrer des enjeux intercommunaux à la campagne. D’où un certain flottement sur le sujet, surtout en l’absence de suffrage direct pour les communautés. Et les candidats qui s’engagent pour la première fois n’ont pas les clés pour repérer les enjeux intercommunaux, car ils ne les découvrent qu’en cours de mandat. Pendant la campagne, ils se positionnent surtout sur des enjeux de proximité, privilégiant leur capacité d’être à l’écoute du local. »
[sur le terrain...]
Châlons-en-Champagne : un tandem pour faire campagne… et se répartir les sièges
Près de dix-neuf ans après son accession à la tête de la ville, Bruno Bourg-Broc quittera son fauteuil de maire en 2014, quels que soient les résultats des élections. Le premier magistrat ne briguera pas un quatrième mandat et veut passer la main à l’un de ses adjoints, le député Benoist Apparu.
Pour autant, le maire est encore loin de quitter la scène politique locale. Car celui qui y est entré il y a quarante ans en devenant conseiller général de la Marne, veut conserver la direction de l’agglomération. « Je la préside depuis 1995. Le district d’alors est devenu communauté en 2000, passant de 9 à 14 communes, raconte le maire. Or la communauté va passer à 38 communes, en majorité rurales. Il y a donc un choc à éviter », justifie-t-il.
[caption id="attachment_23432" align="aligncenter" width="380"] Le "deal" est officiel : à Bruno Bourg-Broc (à gauche) la présidence de l’interco, à Benoist Apparu (à droite) la mairie.[/caption]
Campagne en tandem - Le « deal » est donc officiel : à Bruno Bourg-Broc la présidence de l’interco, à Benoist Apparu la mairie, chacun soutenant l’autre dans une campagne menée en duo.
« Il est bon de faire un tandem électoral pour faire ensuite un tandem de gestion, car il est plus compliqué de s’entendre pendant six ans que pendant trois mois de campagne ! », s’amuse Benoist Apparu. Avec ce pacte, chacun des deux candidats peut ainsi élargir son discours à l’ensemble des deux institutions, ville et EPCI. Quand l’aspirant maire rappelle qu’il veut travailler à une métropole plus large avec Reims et Epernay, le candidat à sa propre succession à l’EPCI évoque la nécessité de travailler main dans la main avec la ville. « Entre une communauté d’agglomération et sa ville principale, surtout dans un cas comme le nôtre où la ville centre représente les deux tiers de l’agglomération, il faut un lien étroit entre le maire et le président sur les dossiers stratégiques », justifie Bruno Bourg-Broc.
Ce dernier rejoint donc la liste croissante de ces maires plusieurs fois réélus qui ne souhaitent pas arrêter trop brutalement leur carrière politique locale en conservant un (dernier ?) mandat exécutif au sein d’un EPCI aux compétences croissantes. Et l’élu d’évoquer sa longue implantation sur le territoire, après ses « mandats de conseiller régional, conseiller général, député et maire », pour mieux justifier sa candidature à la plus étendue des deux administrations du bloc local.
Tout pour Châlons ? - Dans l’opposition, on reconnaît « une stratégie politique intelligente de Bruno Bourg-Broc : même en cas de défaite de l’UMP aux municipales à Châlons, il garde un espoir de conserver l’agglomération… », glisse le conseiller municipal Rudy Namur. Mais le candidat à l’investiture PS pour les municipales conteste l’utilité de voir l’ancien maire conserver la présidence de l’agglomération : « Avec le redécoupage à 38 communes dont 37 rurales, les choses vont se compliquer. Un schéma où le président de l’interco serait issu d’une des communes périurbaines permettrait de mieux les représenter, de produire plus de consensus », juge-t-il.
L’élu PS observe également que le cumul mairie-présidence de l’EPCI donne aujourd’hui « l’impression aux communes rurales que tous les deniers vont à Châlons. Ainsi, elles ont préféré bloquer un projet de pépinière d’entreprise porté par la CA et prévu sur la ville de Châlons ». Or, la constitution d’un tandem exécutif dont le président de l’EPCI reste l’ancien maire de la ville centre risque d’enraciner la suspicion. Enfin, Rudy Namur pointe du doigt une communication interne défaillante : « Tous les conseillers communautaires n’ont pas toutes les informations ». Même candidat à un poste qu’il a déjà occupé, Bruno Bourg-Broc sait d’ailleurs qu’il devra faire preuve d’une pédagogie redoublée s’il est réélu à la tête de la CA : « Un maire est à la tête d’une majorité municipale, d’une équipe qu’il a choisie, avec un programme ; un président d’interco fait lui face à des maires d’obédiences politiques variées. Un maire doit savoir entraîner ses troupes alors qu’un président d’interco n’en a pas ! »
[Le fléchage, enjeu de campagne, partie 3 de notre dossier "Quelle place pour l'intercommunalité dans la campagne des municipales ? ]
Conseillers communautaires : du fléchage en 2014 au suffrage direct en 2020 ?
En mars 2014, les électeurs des communes de plus de 1 000 habitants trouveront sur leurs bulletins de vote deux listes distinctes de candidats : l’une pour le conseil municipal et l’autre pour le conseil communautaire. Ce dispositif concernera 26 % des communes. Même si celui-ci reste très encadré, il s’agit d’une nouvelle étape franchie dans un mode de désignation des conseillers communautaires se rapprochant d’une démocratie directe.
Cette progression du fléchage constitue-t-elle un ballon d’essai pour une élection, à terme, directe des élus siégeant dans les différentes communautés de communes, d’agglomération et urbaine ? Le vote surprise en première lecture, à l’Assemblée nationale, d’une élection directe de 50 % des futurs conseillers métropolitains dans chaque assemblée semble le confirmer.
Le bloc local scindé en deux
Le dispositif est cependant loin d’être adopté, tant il suscite de réactions négatives d’une partie non négligeable de l’échiquier politique (une majorité de l’UMP, les parlementaires radicaux et du Front de gauche) et de l’AMF.
« S’il y a un suffrage universel dans une métropole, c’est la mort des communes, c’est la mort des maires. C’est le tissu démocratique français qui est mis à mal », affirmait son président, le député (UMP) Jacques Pélissard, en séance. A rebours des associations d’élus urbains (AMGVF, Acuf) et intercommunaux (AdCF) qui s’en félicitent, l’APVF également fait part de ses réserves sur une « élection de conseillers métropolitains déconnectés de tout lien avec leur commune ». Et la réforme, introduite au palais Bourbon, doit encore obtenir l’assentiment du Sénat, souvent plus prompt à défendre les intérêts des élus communaux.
Peut-être assistons-nous à une réforme incrémentale où le scrutin direct ne serait intégré que pour les communautés les plus intégrées », avance Thomas Frinault, chercheur en sciences politiques et auteur du "Pouvoir territorialisé en France".
L’hypothèse d’une autre offensive des élus favorables au scrutin direct en faveur de l’adoption de ce scrutin pour l’ensemble des communautés aux élections de 2020 semble d’ailleurs peu probable. « Tout le monde jette un voile pudique sur cette hypothèse. C’est encore trop tôt. Il vaut mieux procéder par étape et montrer d’abord tout ce que peut apporter l’interco », estime Marc Fesneau, président (Modem) de la communauté de communes de Beauce et Forêt (41).
Une solution de compromis ?
L’avenir d’une élection directe des conseillers communautaires étant loin d’être assuré, c’est une solution médiane, déjà évoquée bien avant la création en cours des métropoles, qui ressurgit : l’élection directe du seul président de l’exécutif intercommunal. Un scénario intermédiaire évoqué de longue date par le coprésident de l’Institut de la décentralisation, Jean-Pierre Balligand. Le député (PS) et président de la CU de Bordeaux, Vincent Feltesse, milite, pour sa part, pour une identification du candidat à la présidence sur la liste.
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