Edouard Philippe, Albéric de Montgolfier et Nathalie Loiseau le 12 juillet à Paris au centre de conférence du Quai d'Orsay pour la Conférence nationale des territoires
© @SebLecornu
Après seulement quinze mois de vie, la « CNT », espace de dialogue entre Etat et collectivités instauré par le nouvel exécutif en juillet 2017, s’est vue démonétisée, boycottée par les trois grandes associations d’élus. A la veille du Congrès des maires du 20 au 22 novembre, la reconfiguration de cette Conférence des territoires par le Gouvernement, soucieux de renouer avec les élus locaux, se précise peu à peu…
La Conférence nationale des territoires est morte… vive la CNT ! C’est en résumé la formule qui devrait bientôt le mieux qualifier la mue que s’apprête à prendre le rendez-vous de discussion entre Etat et collectivités territoriales, transformation que désormais les deux parties s’accordent à vouloir mener de concert... après une longue période d'incompréhension et de frustrations.
Dès son instauration, la CNT fonctionne avec plusieurs « instances de dialogue », au nombre de participants - associations d’élus, parlementaires et ministres- restreint, et censées préparer les deux grandes sessions annuelles, trois à ce jour. Mais dèsla première édition en juillet 2017, pourtant en grande pompe au Sénat et conclue par un discours du chef de l’Etat, la CNT a du plomb dans l’aile, affaiblie par l’annonce en pleine conférence que l’effort demandé aux collectivités ne serait pas de dix milliards comme promis par le candidat Macron mais 13 milliards.
Bon an mal an, la session suivante à Cahors, qui finit de dessiner les contours des grands contrats financiers limitants les dépenses de fonctionnement des grandes collectivités, fonctionne. Mais l’après-midi, constitué essentiellement de tables rondes sur l’action du Gouvernement sur le haut-débit et autres politiques publiques, apparait comme une longue séquence de promotion où les ministres monopolisent la parole, et sème à nouveau le doute dans l'assistance. Six mois plus tard, c’en est trop pour les trois principales associations d’élus qui annoncent le boycott de la troisième CNT qui se déroulera sans l’AMF, l’ADF ni régions de France qui, entre autres récriminations, ne veulent plus entendre parler de cette « grand-messe ».
Entre "grand-messe" et "liturgie gouvernementale"
Depuis cette date, le trio associatif n’a en effet pas eu de mots assez durs pour qualifier cette CNT qu’elles avaient pourtant demandée aux candidats à l’Elysée durant la campagne présidentielle : « simple colloque », « cours magistral », « leçon gouvernementale »… « La CNT ressemblait plus à une liturgie qu’à une conversation ! » enrage le très laïc André Laignel, premier vice-président de l’AMF. Patron de l’Assemblée des départements de France, Dominique Bussereau n’y est pas allé non plus par quatre chemins lors du dernier congrès de l’association à Rennes : « qu’est-ce qu’on s’emmerder à la CNT, à écouter des discours de ministres, même sympathiques », lâchait-il devant la ministre des relations chargés des collectivités, Jacqueline Gourault. « On n’y croyait plus. Il faut bosser à la CNT ! », abjurait-il au Couvent des Jacobins, au cœur de la cité rennaise.
Car au-delà des dossiers, nombreux, sur lesquels les associations d’élus ne sont pas sur la même ligne que le Gouvernement – taxe d’habitation, contrats aidés, contractualisation financière, etc. – l’organisation de cette rencontre avait fini par hérisser plus d’un participant : « Pour nous, la CNT est caduque dans sa forme, assénait François Baroin à quelques jours du Congrès des maires. Et le maire (LR) de Troyes de pointer du doigt « une litanie de discours ministériels. Les sujets proposés sont soit décalés dans le temps, soit évacués… » Ce faisant, le président de l'AMF disait tout haut ce que les participants à la CNT - hors gouvernement- brûlaient de dire depuis plusieurs mois, remontés contre par un ordre du jour défini exclusivement par le Gouvernement. A ce titre, la dernière CNT de juillet consacré à la seule politique de cohésion européenne, sujet important au demeurant mais évacuant les débats sur la réforme de la TH, avait échaudé plus d’un élu local…
Un long passif d'échecs dans le dialogue Etat-collectivités
Et les associations d’élus de bénéficier du soutien du président du Sénat dans leur fronde « La Conférence nationale des territoires telle qu’elle a été mise en œuvre pendant un an a été un échec : elle devait permettre de réinstaurer un dialogue confiant entre l’Etat et les collectivités ; elle a conduit l’AMF, l’ADF et Régions de France à quitter la table, glisse Gérard Larcher au Courrier des maires. Tel qu’il a été pratiqué, le "dialogue" promis s’est transformé en "leçon gouvernementale". Si le Gouvernement veut faire revivre la CNT, il faut que cette instance fonctionne autrement et devienne une vraie instance de négociation, co-construite avec les associations d’élus », assène l’élu des Yvelines.
Mais comment alors pour l’exécutif reconfigurer cette instance là où d’autres gouvernements avant lui ont tout autant échoué ? Car avant la CNT, la Conférence des exécutifs locaux du Gouvernement de Villepin fut jugée insuffisante et le Dialogue national des territoires sous François Hollande ne trouva jamais son rythme. Sans compter que le Haut Conseil des territoires prévu par le projet de loi Notre ne put jamais voir le jour, le Sénat ne voulant pas entendre parler d’une quelconque assemblée des territoires qui l’aurait concurrencée… « Aujourd’hui nous n’avons pas d’information sur la nouvelle forme de ce qui ne pourra plus s’appeler Conférence nationale des territoires », assurait François Baroin le 7 novembre au siège de l'AMF.
"L'instance de dialogue", nouveau pivot des discussions
Quelques heures plus tard, la ministre de la Cohésion des territoires et chargées des relations avec les collectivités locales dévoilait toutefois, via une communication en Conseil des ministres, les contours de cette CNT nouvelle version : « La conférence nationale des territoires va aussi voir son mode de fonctionnement évoluer, pour favoriser, entre les réunions de l’instance de dialogue qui seront présidées chaque trimestre par le Premier ministre, la discussion dans le cadre de groupes de travail animés par les ministres ». Ce faisant, Jacqueline Gourault privilégie un cadre qui a fait ses preuves sur certains dossiers spécifiques et avec d’autres associations d’élus qui avaient fait le choix de ne pas quitter leur siège autour de la table des négociations. Ainsi en allait-il de la redynamisation des centres-villes via la construction du « Plan action cœur de ville » loué par Villes de France, ou encore de la politique de la ville et du pacte de Dijon co-construit avec l’AdCF et France urbaine.
« Au bout de dix-huit mois, l’expérience montre qu’il faut réformer car quelque-chose cassait un peu les pieds à tout le monde : la séance plénière », concédait ainsi volontiers de vive voix Jacqueline Gourault, invitée de dernière minute au Congrès de l’ADF. « Nous nous sommes mis d’accord pour que l’instance de dialogue soit maintenue mais que des concertations soient organisées par niveau de collectivité territoriale avec un reporting devant l’ensemble des collectivités territoriales. C’est la raison pour laquelle il faut des réunions régulières, complétait-elle : des rencontres à peu près tous les deux mois et que Premier ministre soit présent à ces réunions trois fois par an ».
C’est l’autre enseignement de la brouille de l’été avec le trio associatif : ces dernières voulaient aussi être reçues séparément et de manière régulière pour évoquer des dossiers spécifiques à leur strate de collectivités : transferts de compétences aux intercos pour l’AMF, allocations de solidarité et mineurs non accompagnés pour l’ADF, formation professionnelle et fonds européens, par exemple, pour Régions de France. Un format ainsi inspiré de la réception par Matignon le 19 octobre d’une délégation de régions de France, rencontre qui porta ses fruits. « Le Gouvernement proposera aussi de rencontrer à échéances régulières les représentants des différents niveaux de collectivités », confirmait ainsi la ministre dans sa communication et se référent à cette entrevue entre le Premier ministre et plusieurs présidents de conseils régionaux.
Un calendrier qui reste flou
Reste désormais à fixer les étapes calendaires de ces « instances de dialogue » et rencontres bilatérales association-gouvernement. « On n’a pas encore de calendrier, nous ne verrons aucun membre du Gouvernement d’ici le Congrès », lâchait François Baroin au siège de l’AMF le 7 novembre, bien décidé à ne pas donner trop vite un blanc-seing au gouvernement après cette reconfiguration annoncée de la CNT.
Et l’ancien ministre de poursuivre avec le Congrès des maires en ligne de mire, congrès « où nous définirons notre base de négociation. C’est sur ces bases-là que nous verrons ensuite comment, de manière très républicaine, nous répondrons aux invitations, comment les membres du Gouvernement ou le président de la République souhaitera travailler ». Rendez-vous est donc pris Porte de Versailles pour finir d’acter la reprise pérenne des négociations entre Paris et « les territoires ».