Laurent Davezies, économiste, professeur au Cnam
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Auditionné le 3 juin par les députés de la délégation aux collectivités locales, Laurent Davezies, économiste et professeur au Centre national des arts et métiers (Cnam), n’a pas mâché ses mots sur « cette guerre contre les inégalités, sorte de maladie névrotique » qui conduit, à tort selon lui, les parlementaires à voter depuis les années 90 des lois contre-productives en matière de finances locales. Attention, propos décapants...
C’est son dernier ouvrage « L’État a toujours soutenu ses territoires » (voir ci-dessous) qui a valu à Laurent Davezies, son invitation à l’Assemblée nationale par les députés de la délégation aux collectivités territoriales. Un livre qui agite ces dernières semaines élus et parlementaires dans la mesure où comme l’a constaté le président de la délégation, Jean-René Cazeneuve (Gers, LREM) dans son préambule : « Monsieur Davezies s’inscrit en faux sur ce qui se dit beaucoup à savoir que nos territoires ont été abandonnés par l’État et que nous assistons à une explosion des inégalités territoriales depuis des décennies ».
« Armée de démagogues » au Sénat...
Conscient de nager à contre-courant en abordant ces thèmes, l’économiste n’a d’ailleurs pas caché pas son agacement quant au développement « d’une armée de démagogues » dans certains hémicycles, ce qui le conduit à désormais refuser toute invitation du Sénat, faute de pouvoir y débattre, a-t-il annoncé. La défiance est de mise avec la Haute assemblée…
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Pour Laurent Davezies, ce sont bien « les chiffres, les données » qui sont la base de sa réflexion et non « la recherche d’une quelconque démonstration ». « Je récupère toutes les données publiques disponibles (Insee, impôts, etc.) et j’observe : c’est tout ! » insiste-t-il. Un travail de recherches concret qu’il veut indiscutable (« sauf à dire que les données de l’Insee ne valent rien ») et qui faute d’être mis systématiquement en œuvre par la représentation nationale peut conduire à des effets pervers insoupçonnés… comme ce fut le cas avec la taxe professionnelle unique.
L’exemple de la Taxe professionnelle unique
En effet, selon l’économiste, la décision de regrouper la taxe professionnelle au sein des intercommunalités à un taux unique a eu pour effet de « transférer des ressources de Montfermeil à Vaucresson ». Arguant qu’en matière de TP, les communes les plus modestes étaient finalement bien mieux dotées que les communes plus aisées - et ce malgré des taux d’imposition plus élevés mais qui ne compensaient pas la faiblesse du prix du sol – cette fausse-bonne idée visant à instaurer plus de péréquation et de solidarité a donc été dévastatrice pour les communes les plus pauvres.
Un exemple qui doit, selon le professeur, conduire désormais les parlementaires à lutter contre « cette recherche frénétique d’égalité des territoires qui, si elle part souvent d’une bonne volonté, a fait reculer depuis les années 90 l’égalité interterritoriale en matière de finances publiques locales ». Puis de lâcher cette pique : « cela me fait penser aux Pieds Nickelés, c’est terrifiant ».
La « France périphérique » rattrapée par la manche
Les inégalités territoriales ? Quelles inégalités territoriales ? S'inscrivant à contre-courant des thèses ruralistes accusant le pouvoir national d'avoir « abandonné » les campagnes et les villes petites ou moyennes, Laurent Davezies analyse les effets concrets du jeu de la redistribution opéré par l'Etat-Providence. La concentration des activités économiques et des richesses dans les grandes villes, réelle, ne se reflète guère dans le niveau de vie des citoyens français, observe cet économiste spécialiste du développement territorial. Preuve en est, selon lui : la réduction continue des inégalités de revenus en dépit des écarts du PIB/habitant. Loin de nuire à une « France périphérique » fantasmée, les métropoles seraient de véritables « poules aux œufs d'or » pour les autres territoires en perte de vitesse.
« L'Etat a toujours soutenu ses territoires », éd. du Seuil, 112 p., mars 2021, 11,8 €.