Médias et élus locaux
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Plus férus de critique des médias qu’on ne le croit, des élus de villes petites et moyennes regrettent la concentration des organes de presse les plus influents à Paris. Et l’image tronquée du pays qu’en tirent la plupart des « journalistes politiques ». Centrés quasi-exclusivement sur les jeux de pouvoirs, déconnectés du terrain, ceux-ci délaisseraient les véritables enjeux et problématiques de fond auxquels sont confrontés au quotidien les collectivités territoriales – à rebours de la décentralisation partielle du pouvoir politique.
Gare aux effets d'optique ! Si le « 13H » de Jean-Pierre Pernault accordant une large place aux terroirs a longtemps été le JT le plus regardé de France, si le siège du quotidien le plus vendu du pays, « Ouest-France », se trouve bien à Rennes, les médias les plus prestigieux demeurent massivement concentrés à Paris. Et focalisés avant tout, si l’on songe à « L’Express », aux « Echos », au « Monde » ou à « L’Obs », sur l’actualité de la région-capitale.
Tous les quotidiens et hebdomadaires dit nationaux, frappés par la « crise de la presse », se sont progressivement coupés de leurs relais régionaux. A la recherche d’économies, ils ont fermé leurs antennes dans les grandes villes, licenciant leurs correspondants et réduisant leurs cahiers ou pages consacrées aux enjeux locaux. La plupart se contentent désormais du Congrès des maires, trois jours par an, pour appréhender les enjeux des collectivités territoriales.
Hypercentralisation politique… et médiatique
« Cette géographie médiatique est à l’image de l’organisation institutionnelle de notre pays. Le desserrement du pouvoir national est resté partiel », fait remarquer le sénateur (PS) du Gers, Franck Montaugé, qui plaide en faveur d’une « nouvelle vague de décentralisation politique et médiatique ». Un constat partagé par le maire (ex-PS) de Tulle, Bernard Combes : « L’hypercentralisation des organes de pouvoir à Paris est dommageable sur le plan démocratique. Nombre d’élus ressentent la consanguinité de la caste politique et médiatique. »
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« La presse nationale généraliste, et encore plus les médias audiovisuels, a une vue parfois un peu lointaine de ce qui se passe dans les collectivités. Mais attention à ne pas englober tous les médias dans le même panier ! Elus locaux et journalistes partagent en réalité une même méconnaissance des réalités de chacun », monte au créneau le premier édile (Horizons) de Fontainebleau, Frédéric Valletoux, qui a connu les rédactions des Echos ou encore de la Gazette des communes.
Le journalisme, une profession hétérogène
« Le clivage ne devrait pas se résumer entre journalistes de Paris et journalistes de province. C’est davantage un problème entre journalistes traitant des sujets de fond et ceux qui font du sensationnalisme », tente aussi d’aiguiller François Blanchet, maire (DVD) de Saint-Gilles-Croix-de-Vie et lui-même ancien journaliste.
Une différence qu’a pu appréhender de près le maire (SE) de Couthures-sur-Garonne, Jean-Michel Moreau, dont le village a été inondé début 2021. « Des fait-diversiers des chaînes de télévision en continu se sont agglutinés à la recherche de scènes spectaculaires, d’habitants pleurant devant les dégâts provoqués par cette catastrophe. Ils n’avaient pas grand-chose à voir, croyez-moi, avec les journalistes travaillant sur le temps long qui se réunissent lors du Festival international de journalisme que nous accueillons chaque été… Les deux se font appeler journalistes, mais ce sont deux métiers extrêmement différents. »
Misère du journalisme « politique »
Le maire (LREM) d’Autun, Vincent Chauvet, y voit avant tout un problème de culture, de formation : « Les journalistes des médias nationaux méconnaissent la nature de l’action publique locale. Le pire, c’est que rien n’est fait pour corriger ce biais parisianiste », se désole-t-il en référence à la focalisation des débats des élections régionales sur la sécurité, une thématique sur laquelle les conseillers régionaux n’ont pourtant pas de réelles marges de manœuvre.
« Les journalistes subissent la stratégie des candidats, qui croient eux-même subir la pression du corps électoral » tente de les défendre la députée (LREM) des Hauts-de-Seine, Lauriane Rossi. Sans convaincre Vincent Chauvet : « la seule chose qui semble les intéresser, c’est le moment où le pion bleu dépasse ou se fait rattraper par le rose dans la course de petits chevaux… » « Il est plus simple, pour les journalistes, de parler de politique politicienne que des politiques du quotidien que nous faisons vivre dans les 36 000 villes et villages de France » abonde Jean-Michel Moreau.
La « politique du quotidien » invisibilisée
« La presse nationale ne s’intéresse qu’aux barons locaux, pas aux politiques publiques », confirme l’ancien conseiller de François Hollande en charge des relations avec les élus, Bernard Combes. Il accumule les anecdotes : « les journalistes parisiens qui descendent jusqu’à Tulle donnent l’impression d’arriver dans une réserve ! Comme s’ils arrivaient au chevet d’un patient atteint d’une maladie incurable… » confie le maire de Tulle. « Lorsque “ Le Monde ” titre sur l’exode urbain et le retour en force des villes petites et moyennes, ses journalistes ne descendent pas dans le dernier kilomètre de l’action publique. Nous autres élus et habitants constatons bien une montée des prix de l’immobilier, mais pas une vague de déménagements », poursuit-il : « l’absence de médecins ou de perspectives économiques demeure prégnant ».
La difficulté d’arrimer les politiques locales avec les enjeux partisans d’une part, et les problématiques du quotidien de l’autre, pourrait expliquer cette relative invisibilisation de l’échelon local.
Une décentralisation démocratiquement inaboutie
Cette situation interroge la députée (LREM) des Hauts-de-Seine et questeure de l’Assemblée nationale, Laurianne Rossi, qui doute que les conditions démocratiques soient réunies en l’état pour approfondir la décentralisation. « Je suis profondément girondine dans l’âme, mais la délégation de nouvelles compétences de l’Etat vers les collectivités ne devrait pas pouvoir se faire sans une presse forte couvrant l’ensemble du territoire. Ni les médias nationaux ni la presse quotidienne régionale ne jouent véritablement leurs rôles de contre-pouvoirs aujourd’hui, alors que les Chambres régionales des comptes ne font plus que des enquêtes inopinées, et que le contrôle de légalité des préfets n’atteste pas de la sincérité budgétaire des collectivités ni ne nous prémunit de potentiels abus… »
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« La classe politique doit également s’interroger sur la clarté de notre système institutionnel », enchaîne Laurianne Rossi. Elue locale à Montrouge et vice-présidente de l’Observatoire de l’éthique publique (OEP), elle souhaiterait voir l’Etat, les exécutifs locaux comme les rédactions s’interroger davantage sur ces déséquilibres démocratiques. « On reproche souvent au Parlement que la loi soit trop bavarde, mais rendons-nous compte de l’opacité et de la technicité des délibérations au niveau local. La plupart de nos concitoyens comme des journalistes ne comprennent plus comment se distribuent ni s’opèrent les compétences de chacun. Comment s’étonner que plus personne ne suive les conseils municipaux ni communautaires ?»
Déformation des préoccupations
« Je n’attends pas qu’on parle de contractualisation Etat-collectivités ni de finances locales dans “ Libération ” ou sur “ CNews ”, mais ne pourrait-on pas évoquer tout de même l’accès aux services publics, l’enjeu de la formation professionnelle à l’heure de la réindustrialisation ou le logement ? », questionne Sébastien Miossec, président (PS) de Quimperlé communauté. «Une bonne partie de ma population souffre d’illectronisme, et se plaint davantage de la dématérialisation comme de l’éloignement physique des services publics que de l’immigration ou de l’insécurité. Nos entreprises font face à d’importantes pénuries de main-d’œuvre tandis que nous autres élus avons du mal à loger tout le monde sur la côte… Malheureusement, seuls les maires de grandes villes apparaissent dans les radars de la presse nationale. Ce sont eux qui dictent l’agenda national. Pourtant, lorsque des urbains parlent d’enjeux urbains aux urbains, toute une partie des Français finit par saturer. Moi le premier, je ne parviens plus à allumer la télévision. »
« Les journalistes parisiens voient les élus des métropoles gérer le surplus : trop d’embouteillages, trop de pollution, trop de spéculation immobilière, etc. Non seulement ils passent à côté des difficultés à se déplacer dans nos territoires semi-ruraux ou de la profusion de logements vacants dans les villes confrontées à une baisse démographique. Mais ils rendent compte de problématiques généralement inverses à celles du reste du pays… » critique Vincent Chauvet. Charge aux élus de s’organiser, désormais, pour tenter de faire entendre la voix des « territoires » et faire part de la diversité des réalités locales, dans un pays plus éruptif que jamais, à l’orée des campagnes présidentielle et législatives 2022.