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Le groupe de travail sur la revitalisation des centres-villes piloté par les sénateurs Rémy Pointereau et Martial Bourquin a reçu des représentants de la grande distribution, mercredi 31 janvier. Une audition qui n’aura pas franchement permis d’identifier des pistes de solutions pour régler la crise des centres-villes et les difficultés que génère leur concurrence auprès des commerçants locaux…
C’est peu dire que la grande distribution n’a pas la côte, actuellement, au Sénat. Particulièrement parmi les parlementaires ayant rejoint le groupe de travail sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs. Rappelant « l’augmentation de manière non raisonnée » du nombre de grandes surfaces en périphérie au cours des dernières décennies, son président Rémy Pointereau s’est fait le plus direct possible lors d’une table-ronde réunissant les représentants des grandes enseignes. « Nous ne sommes pas là pour jouer les gentils contre les méchants : nous détenons tous une part de responsabilité dans cette crise. Mais, si rien ne change, nous continuerons tous à jouer perdant-perdant » a posé, d’entrée de jeu, le sénateur du Cher.
Rapidement, il a relayé les questions qui fâchent, questions que se posent un certain nombre d’élus de terrain sensibilisés au sujet :
- La forte concurrence que se livre les acteurs de la grande distribution ne risque-t-elle pas de déboucher sur la multiplication de friches commerciales en périphérie ?
- Les acteurs de la grande distribution sont-ils disposés à sortir de cette « culture de la périphérie » et prendre leur part à un plan de rééquilibrage des centres-villes ?
« Les gens ont plaisir à venir dans nos lieux de vies"
Invités donc à venir s’expliquer sur le rôle que les distributeurs pourraient jouer à l’avenir pour inverser cette marche infernale, les représentants de la grande distribution – du moins les grandes enseignes qui ont daigné se déplacer, ce qui n’était par exemple pas le cas du groupe Leclerc – ne se sont pas démontés. « Cessez d’aborder uniquement la question des centres-villes sous l’angle du commerce : la vacance est un symptôme, et en aucun cas la maladie » introduisit le directeur des relations extérieures du groupe Casino, selon qui les raisons de la dévitalisation urbaine des villes moyennes sont multi-factorielles. « Un commerce ne vit que s’il reste des habitants et qu’il y a du profit à réaliser. Ce n’est pas pour rien si même les professions libérales (notaires, experts-comptables), les services publics et les maisons médicales partent aujourd’hui s’installer en périphérie » continua fort justement Claude Risac.
Avec la démocratisation de la voiture, les centres-villes ont en effet perdu en attractivité. « Les gens ont plaisir à venir dans nos lieux de vies mêlant commerces et restaurants, où il n’y a ni problème d’accessibilité ni de parkings » constate Dominique Schelcher, gérant du Super U de Fessenheim et vice-président en charge de la communication de Système U.
Dialogue de sourds
Une mise en contexte salutaire, à moins que ce ne fût surtout un moyen de ne pas répondre aux questions posées. C’est l’impression que donnèrent les lobbyistes de la grande distribution en enchaînant directement sur leurs revendications face à la concurrence que représente le développement du e-commerce. « Ne nous trompons pas de débat en opposant commerce de périphérie et commerce de centre-ville. L’avenir du commerce physique est remis en question face à au développement d’Amazon ou d’Alibaba. Les pouvoirs publics doivent garantir des conditions équitables de concurrence sur les plans fiscal comme réglementaire » tenta Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD).
Preuve que le sujet du commerce dépasse la seule question de regain des centres-villes, selon Olivier Louis, d’Auchan : le risque de voir se développer des friches en périphérie. « Je suis soulagé d’entendre un élu de la République prendre en compte les difficultés de la grande distribution – qui viennent s’ajouter au problème de vacance commerciale » se félicite le directeur de la communication d’Auchan.
Surcharge commerciale : volonté délibérée ou "effet d'aubaine" ?
Ne se satisfaisant pas de ce dialogue de sourds, Rémy Pointereau n’a pas manqué de leur faire remarquer qu’ils n’avaient pas « répondu à nos questions, notamment celle concernant la surcharge commerciale avec une offre supérieure de 30% aux besoins de la population dans certains territoires. Le pouvoir d’achat en perte de vitesse comme la diminution du nombre d’habitants n’empêche pas Leclerc et Auchan de se livrer une guerre effrénée à Bourges (Cher). Sans compter les dommages pour le commerce local, je suis prêt à parier qu’il y aura un mort entre les deux dans cinq ans et que les élus devront gérer une friche commerciale » s’alarma le sénateur et président du groupe de travail.
Sans nier sa propre part de responsabilité, le groupe Auchan explique que si les mètres carrés commerciaux en périphérie ont cru (+3%) deux fois plus vite que la consommation des ménages (+1,5%) au niveau national, « c’est davantage lié à un effet d’aubaine provoqué par la loi LME qu’à une volonté délibérée de notre part. » Avant que le représentant de Système U ne se lance dans un exposé sur le fait que les entreprises privées se doivent d’être rentables : « personne ne développe de mètres carrés commerciaux là où il n’y a pas d’intérêt économique. Nous n’avons pas les moyens de jeter de l’argent par les fenêtres. »
La régulation doit être globale mais aussi locale
Prenant conscience qu’il n’obtiendra guère mieux de cette audition, Rémy Pointereau commença à se faire plus offensif. « J’ai bien entendu votre argumentaire sur la concurrence faussée avec le e-commerce. Mais, figurez-vous que les commerçants de centre-ville se plaignent eux aussi d’un déséquilibre en leur défaveur, qu’il s’agisse de stationnement, de coût du foncier ou de bases locatives et de fiscalité. Aidez-nous à trouver des solutions pour assurer une concurrence équitable entre tous les acteurs, pas seulement vous et Amazon. » Objectif : leur faire prendre conscience qu’on est tous le dominé de quelqu’un, que la régulation ne se fait pas qu’à l’échelle globale mais aussi locale et qu’elle se pose autant à leurs concurrents internationaux qu’à eux-mêmes.
« Je ne peux pas laisser dire que nous ayons des conditions d’exercice privilégiées en périphérie » lui rétorqua Alain Gauvin, directeur des affaires juridiques de Carrefour. « Non seulement, les contraintes règlementaires des lois Pinel et Alur sur la limitation de surfaces des parkings visant à lutter contre l’imperméabilisation des sols ou l’augmentation de la TASCOM nous désavantage, mais cela facilite le boulot d’Amazon. » « Amazon, qui par définition, ne paie pas la TASCOM » abonda Jacques Creyssel. Evidemment…
Un moratoire régional et des zones franches ?
Face à des acteurs encore loin d’être mûrs quant à leurs responsabilités sociales, environnementales et territoriales, le groupe de travail du Sénat sortit alors l’artillerie lourde. « Nous réfléchissons à instaurer un éventuel moratoire, peut-être pas national mais au moins régional, quelques temps dans certaines zones. Il ne s’agit pas de revenir sur le principe du libre-commerce, mais cela permettrait aux élus régulateurs de refuser des projets sans les voir éclore plus tard à quelques kilomètres que chez eux » présenta Martial Bourquin, sénateur du Doubs. « Ne pensez-vous pas qu’il serait souhaitable de faire une pause en matière d’implantation de nouvelles grandes surfaces pour mieux organiser notre tissu commercial ? » Une proposition qui n’enchanta pas vraiment la salle, entre doutes sur la conformité à la constitution française comme la règlementation européenne et craintes d’une remise en cause de l’ordre libéral.
Alors que les sénateurs doivent remettre leur rapport dans les prochaines semaines, Rémy Pointereau leva le voile sur une autre piste de réflexion, avec l’idée de créer des « zones franches » – dont le périmètre resterait à déterminer – visant à diminuer les charges des commerçants de centres-villes. Les représentants de Carrefour et Auchan, qui prévoient d’ouvrir des centaines de magasins de proximité y compris dans les villes moyennes afin de créer des passerelles avec le e-commerce, acquiescèrent. Sans en faire une priorité, la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) s’est dite « plutôt favorable, à condition que cette baisse ne soit pas compensée par une augmentation de la taxation des commerçants en périphérie. Il n’y aurait alors qu’un seul gagnant : Amazon. » Il semblerait que Rémy Pointereau et Martial Bourquin aient compris le message. A défaut d’avoir apprécié cette infantilisation en règle de la part des lobbystes de la grande distribution...
Economiste - 04/02/2018 20h:29
Mais où est passé la "main invisible" d'Adam Smith ?
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