Quand l’Allemagne défend ses centres-villes contre l’Union européenne

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fh_statetcarto - 28/09/2016 18h:26

Le commerce en hyper aux limites de l'agglomération peut apporter un complément intéressant, évitant d'embouteiller le centre-ville pour des courses alimentaires ou basiques sans beaucoup d'enjeux.... Je pense qu'il faut être plus nuancé... et que la politique de fermeture des centres-villes à la voiture, avec des coûts de stationnement prohibitifs et des schémas de circulation infernaux, leur nuit beaucoup!

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Vincent - 14/10/2016 11h:01

Le commerce en hyper aux limites de l’agglomération peut apporter un complément intéressant, évitant d’embouteiller le centre-ville pour des courses alimentaires ou basiquesJustement non : on laisse sa voiture à l'extérieur de la ville et on se rend dans le centre à pied, à vélo ou en TC. Win-win.

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Cearalsace - 06/04/2019 13h:31

Les restrictions d'accès des véhicules aux centres des villes sont bien plus strictes en Allemagne qu'en France. C'est donc bien la politique menée qui permet aujourd'hui à l'Allemagne d'avoir conservé des centres villes animés et agréables.

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Quand l’Allemagne défend ses centres-villes contre l’Union européenne

Franck Gintrand

© F. Gintrand/Global Conseil

Alors qu’en France et en Belgique, les villes moyennes voient leurs centres anciens péricliter, outre-rhin le problème semble ne pas exister : pas de désertification commerciale en centre-ville, pas d’exode massif des CSP+ vers le périurbain, pas de prolifération exponentielle des zones commerciales en entrée de ville… L'exemple à suivre ?

Par Franck Gintrand, directeur général de Global conseil, cabinet de conseil en communication politique et stratégie publique, et Théophile Foucart, consultant chez Global Conseil

Les hypers – tenus responsables de la dévitalisation des centres-villes français – seraient-ils moins puissants en Allemagne ?…

… Pas vraiment. Seulement, en Allemagne, les pouvoirs publics ont fait des centres-villes leur priorité. Et ils les défendent coûte que coûte !

Une règle simple : aucun commerce hors des centres-villes

On ne plaisante pas avec l’aménagement du territoire en Allemagne.

Surtout lorsqu’il s’agit d’autoriser la création de nouvelles zones commerciales. Depuis la fin des années 60, la loi fédérale est très claire à ce propos :

« Pour les produits de consommation courante, les projets d’implantation ne sont recevables que s’ils se situent dans une zone commerciale centrale et qu’ils ne nuisent ni au bon fonctionnement des zones commerciales centrales situées sur le territoire d’une commune ou de communes voisines, ni au commerce de proximité de leur zone de chalandise »((Extrait du rapport parlementaire de Michel Piron)).

Autrement dit, difficile voire impossible d’implanter des mastodontes commerciaux en entrées de villes. Les grands projets commerciaux doivent se situer là où se concentrent les populations, à savoir en centre-ville. Mieux : ils ne doivent pas constituer une menace pour le tissu commercial déjà existant.

Une politique drastique mais des résultats à la hauteur

Les pouvoirs publics allemands examinent donc à la loupe le chiffre d’affaires estimé pour chaque projet.

S’il est supérieur au pouvoir d’achat des habitants présents sur la zone de chalandise, le projet est automatiquement retoqué. Hors de question de créer une situation de saturation commerciale...

Des règles drastiques, mais qui portent leur fruit. Alors qu’en France, le rapport de force entre périphérie et centre-ville est complétement déséquilibré, en Allemagne les centres-villes conservent leur attractivité et leur rayonnement (en France, 62% du chiffre d’affaires du commerce se réalise en périphérie, contre seulement 33% en Allemagne).

Moindre concurrence en périphérie. Faible taux de vacance commerciale en centre-ville. Et surtout, pas de crises similaires à celles auxquelles sont aujourd’hui confrontées nombre de communes françaises.

De fait, les seuls vrais perdants dans l’affaire sont les groupes de la grande distribution, qui – malgré leur force de frappe et leur capacité de lobbying – n’arrivent pas à obtenir des autorisations pour s’implanter en périphérie et profiter ainsi d’un foncier moins cher.

Une position défendue coûte que coûte

Ce dogmatisme en matière d’implantation commerciale n’est évidemment pas du goût de tout le monde.

Il y a maintenant 10 ans, en 2006, la Commission européenne avait lourdement invité le gouvernement fédéral à se mettre en règle avec le droit communautaire.

En cause : la prise en compte, avant la délivrance d’une autorisation d’implantation, de l’impact du projet sur les commerces déjà existants. Une disposition contraire au droit européen, car susceptible d’entraver la libre installation des commerces et de provoquer des distorsions de la concurrence.

On ne plaisante pas avec ce genre de chose à Bruxelles ... La France en sait quelque chose. Pour des raisons similaires, le groupe Aldi avait porté plainte devant la Commission contre l’Hexagone et avait contraint le Parlement à adopter, en 2008, la loi LME (dite « loi Michel-Edouard Leclerc »). Cette loi avait définitivement tiré un trait sur toute velléité de contrôler le suréquipement commercial qui caractérise aujourd’hui certains de nos départements.

Une réponse culottée face aux injonctions de Bruxelles

Pourtant, en Allemagne, l’injonction de la Commission et la pression des lobbys de la grande distribution n’ont semble-t-il pas inquiété outre mesure.

En 2009, soit trois ans après « l’invitation » de la Commission, le gouvernement fédéral répondait enfin, en soulignant très subtilement à Bruxelles ses nombreuses contradictions.

Quelques années auparavant, la Commission avait en effet déclaré que « l’accessibilité des commerces pour tous (...) est un objectif d’intérêt général lié à l’aménagement du territoire qui devrait pouvoir justifier des restrictions aux libertés fondamentales ». Autrement dit : la Commission reconnaissait qu’il pouvait être légitime d’interdire l’implantation de commerces si ces derniers risquaient de nuire à l’approvisionnement des populations – et plus précisément des populations n’étant pas en mesure de se déplacer pour accéder aux commerces.

Un enjeu d’accessibilité

Or – expliquaient les pouvoirs publics allemands –

« la pente naturelle des choses conduisant à l’implantation des grandes surfaces commerciales dans la périphérie des villes, laisser librement jouer le marché (revenait) de facto à dévitaliser le centre des villes » ...

Et si les centres-villes viennent à se dévitaliser, cela créera « une discrimination supplémentaire au détriment des personnes n’ayant pas de voitures, notamment les personnes âgées et handicapées », qui ne seront pas en mesure de se déplacer pour accéder facilement aux commerces...

D’où la nécessité d’empêcher les commerces de périphérie de menacer les commerces de centre-ville.

Et comment anticiper la menace, autrement qu’en évaluant l’impact économique d’un projet sur le tissu commercial existant ? Et pourquoi ne serait-il pas légitime, dans ce cas, d’interdire les projets qui risqueraient de provoquer la fermeture d’autres commerces et de conduire – de facto – à l’apparition de déserts commerciaux ?

L’équilibre est ténu, la mauvaise foi presque apparente... mais en même temps, cette réponse coule de source, tant l’impératif de favoriser un aménagement cohérent du territoire et l’impératif de permettre la libre installation des commerces sont intrinsèquement contradictoires.

L’Allemagne droite dans ses bottes

Depuis, l’Allemagne reste sur la défensive.

Elle sait que la Commission et la grande distribution reviendront à la charge au premier signe de faiblesse. Mais pour le gouvernement fédéral, pas question de modifier le système d’autorisation commerciale.

Pas question – surtout – de suivre le chemin d’ores et déjà tracé par ses voisins, la France et la Belgique, où les pouvoirs publics ont commis l’erreur de déréguler et dont les centres-villes payent aujourd’hui le prix fort.

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