Procédures contentieuses : comment défendre l’« e-réputation » des élus

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Procédures contentieuses : comment défendre l’« e-réputation » des élus

Justice, décision

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Les élus doivent connaître et distinguer les différentes procédures contentieuses à leur disposition pour faire cesser et réparer les atteintes à leur réputation sur internet. Ainsi, la voie pénale, en répression d’une diffamation ou d’une injure, est ouverte, avec certaines spécificités par rapport aux supports « papier » traditionnels (point 1.). Le juge des référés pourra enjoindre de retirer les propos illégaux (point 2.). Mais ces voies juridictionnelles ne constituent pas les seuls moyens de rétablir l’honneur d’un élu ou l’exactitude des faits : un simple droit de réponse, plus rapide, est possible (point 3.).

Par Philippe Bluteau, avocat au barreau de Paris

1. La voie pénale : une procédure aux multiples chausse-trappes

La diffamation et l’injure publiques, prévues par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, peuvent être commises sur internet comme dans le cadre des supports « papier ».

Pour autant, leur périmètre doit être bien connu (1.1.) et la procédure peut être semée d’embûches (1.2.).

1.1. Le périmètre des infractions

Aux termes de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, la diffamation est définie comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé », étant entendu que la publication directe, mais également, ce qui est souvent décisif sur internet, « par voie de reproduction », sont punies, même si, précise la loi, l’allégation ou l’imputation « est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ».

L’injure, elle, est définie par le même article 29 comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ».

Mais la difficulté principale, lorsqu’un élu est mis en cause sur internet, tient plutôt à l’indulgence dont font preuve les juges quant aux critiques qui doivent pouvoir librement être adressées aux détenteurs d’un mandat « dans le cadre de la polémique politique nécessaire à la démocratie » (CA Aix-en-Provence, 17 septembre 2007, n° 1143M2007).

Ce courant jurisprudentiel, conciliant pour les opposants politiques, s’appuie sur la position de la Cour européenne des droits de l’homme. La CEDH juge en effet fréquemment qu’au nom de la liberté d’expression, la tolérance doit être plus grande lorsque les personnes poursuivies sont des élus du peuple qui, plus que les quidams, « doivent pouvoir attirer l’attention sur les préoccupations de l’électorat et défendre ses intérêts » (CEDH, 24 avr. 2007, Lombardo c/ Malte, n° 7333/06) ; lorsque la personne visée par les propos est un responsable politique (CEDH, 8 juill. 1986, n° 9815/82, Lingens c/ Autriche) ; ou lorsque les propos tenus contribuent à un débat d’intérêt général (CEDH, 24 juin 2004, n° 59320/00, Von Hannover c/ Allemagne).

1.2. Une procédure semée d’embûches

L’élu victime d’une injure ou d’une diffamation ne disposera que d’un temps limité pour agir. L’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique prévoit que la prescription, en matière de délits de presse commis sur internet est acquise dans les conditions prévues par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, selon lequel l’action publique se prescrit par trois mois révolus à compter du jour où les délits ont été commis (sauf dans le cas de propos racistes, pour lesquels le délai est fixé à un an par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004).

Or la Cour de cassation a décidé que la prescription commencerait à courir à compter de la première mise en ligne du propos sur internet (Cass. crim., 30 janvier 2001, n° 00-84.556). Même s’il appartient au prévenu de rapporter la preuve de la prescription, l’élu mis en cause peut se trouver confronté à une prescription rapidement acquise, alors même que l’article incriminé demeure accessible au public.

A noter. De plus, la Cour de cassation considère que la mise à jour du site concerné ne fait pas courir à nouveau le délai de prescription : seule la date à laquelle le message litigieux a été mis à disposition du public pour la première fois fait courir le délai (Cass. crim., 19 septembre 2006, n° 05-87.230).

La détermination de la personne responsable de l’infraction constitue une difficulté supplémentaire. Ainsi, comme tout « service de communication au public par voie électronique », les sites ou les blogs sont, aux termes de l’article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, modifié par la loi du 21 juin 2004, tenus d’avoir un directeur de la publication qui sera poursuivi comme auteur principal « lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public ». A défaut, l’auteur, et à défaut de l’auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal.

2. Les deux référés

En application de l’article 809 du Code de procédure civile (CPC), le juge des référés peut être saisi pour mettre fin à un trouble manifestement illicite qui résulterait d’une infraction de presse, y compris des faits diffamatoires.

Ainsi, la cour d’appel de Paris a considéré que, « si une administration peut et doit supporter la critique de ses administrés », les termes utilisés par une association de commerçants et artisans sur un site internet, dépassant les limites du libre droit de critique, qui atteignaient « l’outrance, le stade de l’injure et de la diffamation publiques », constituaient un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 du nouveau CPC.

En conséquence, l’association a dû retirer de son site internet les textes litigieux dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l’arrêt, et sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard. A défaut de suppression de ces textes par l’association, l’hébergeur devait suspendre l’hébergement dans les 24 heures suivantes, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard (CA Paris, ch. 14, sect. B, 21 janv. 2005, n° 04/14975).

A noter. La Cour de cassation impose désormais le respect du délai de dix jours, traditionnellement accordé aux personnes visées par une plainte, au fond, en diffamation, quel que soit l’objet de la demande formée en référé (Cass. 2e civ., 24 avril 2003, Juris-Data n° 2003-018793). L’utilité du recours au référé s’en trouve émoussée.

Fort heureusement, un référé propre à internet a été ouvert : en vertu de l’article 6-I-8 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, le juge civil peut prescrire en référé, cette fois à l’encontre des hébergeurs((L'hébergeur assure le stockage des données et, comme le fournisseur d’accès, il n’est pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu’il héberge, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites (article 6 de la loi du 21 juin 2004). L'éditeur est « la personne qui détermine les contenus qui doivent être mis à la disposition du public sur le service qu’elle a créé ou dont elle a la charge » (TGI Paris, 15 avril 2008). Il est civilement et pénalement responsable du contenu qu’il présente au public.)) des sites ou, à défaut, des fournisseurs d’accès à internet, « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne » – à l’exception tout de même de la résiliation d’une convention permettant l’accès à internet (TGI Paris, 8 oct. 2004, Juris-Data, n° 2004-254145).

3. Le droit de réponse : une réaction simple et efficace

La loi du 21 juin 2004 a prévu, au IV de son article 6, une procédure de droit de réponse particulièrement adaptée à internet.

Toute personne « nommée ou désignée dans un service de communication au public en ligne dispose d’un droit de réponse » : même si les propos ne sont pas constitutifs d’une diffamation ou d’une injure, l’élu peut souhaiter utiliser cette procédure, pour rétablir sa version des faits.

Le décret du 24 octobre 2007 relatif au droit de réponse applicable aux services de communication au public en ligne est toutefois venu préciser que la procédure qu’il prévoit ne peut pas être engagée « lorsque les utilisateurs sont en mesure, du fait de la nature du service de communication au public en ligne, de formuler directement les observations qu’appelle de leur part un message qui les met en cause ».

La demande d’exercice du droit de réponse est adressée au directeur de la publication par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par tout autre moyen garantissant l’identité du demandeur et apportant la preuve de la réception de la demande.

Cette demande doit indiquer les références du message, ses conditions d’accès sur le site et, s’il est mentionné, le nom de son auteur, préciser s’il s’agit d’un écrit, de sons ou d’images, mentionner les passages contestés et indiquer la teneur de la réponse sollicitée.

Cette réponse doit :

  • prendre la forme d’un écrit, quelle que soit la nature du message auquel elle se rapporte ;
  • être limitée à la longueur du message qui l’a provoquée ou, lorsque celui-ci ne se présente pas sous une forme alphanumérique, à celle de sa transcription sous forme d’un texte, sans jamais pouvoir dépasser 200 lignes ;
  • enfin, l’auteur de la demande peut toujours préciser que cette dernière deviendra sans objet si le directeur de publication accepte de supprimer ou de rectifier, dans un délai de trois jours à compter de la réception de la demande, les parties du message qui ont justifié sa demande.

Si la réponse sollicitée respecte les conditions légales et réglementaires, le directeur de la publication est alors tenu de l’insérer dans les trois jours de sa réception, sous peine d’une amende de 3 750 euros. La réponse devra être publiée à la suite du message en cause, ou être accessible à partir de celui-ci, aussi longtemps que l’article ou le message qui la fonde est mis à disposition du public et sans que cette durée puisse être inférieure à un jour.

Enfin, il conviendra dans tous les cas de faire preuve de mesure dans la rédaction de la réponse dont l’insertion est demandée : en présence d’assertions de nature à nuire à des tiers, la cour d’appel de Paris a considéré que le refus d’insertion de la réponse de la part du directeur de la publication était justifié (CA Paris, ch. 14, section B, 12 juil. 2006, n° 06/10056).

Fiche juridique publiée dans Le Courrier des maires n° 273 de novembre 2013 (pp.68-69)

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