Décentralisation, territoires
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Les lois de réforme des collectivités territoriales ont entraîné un bouleversement du paysage territorial français. Si certains territoires ont engrangé une mutualisation bénéfique et parfois des économies d’échelle, force est de constater que la construction des périmètres des nouvelles collectivités et les transferts de compétences n’ont pas été simples à mener à bien.
Par Frédéric Ville, auteur de "Réforme territoriale : retour à la case démocratie", Salientes éditions, 2019
Les lois de réforme des collectivités territoriales ont entraîné un bouleversement du paysage territorial français, avec désormais 34 967 et non plus 36 000 communes, 1 263 intercommunalités, et 18 régions (outre-mer compris). Si certains territoires ont engrangé une mutualisation bénéfique et parfois des économies d’échelle, force est de constater que la construction des périmètres des nouvelles collectivités et les transferts de compétences n’ont pas été un long fleuve tranquille.
Abandon des mandats électifs
Beaucoup d’élus locaux de tous bords, relayés ici ou là par des collectifs citoyens, ont critiqué une réforme qu’ils ont accusée pêle-mêle de ne pas être démocratique, d’éloigner les collectivités des citoyens, de distendre le lien social, d’accroître les inégalités territoriales souvent au détriment des collectivités rurales, d’être coûteuse ou encore de favoriser la politisation ou la technocratisation des territoires. Pour les maires, ce n’est pas étranger au fait que 49 % d’entre eux souhaitent abandonner tout mandat électif ((Enquête de l’Association des maires de France et du Cevipof/Sciences-po réalisée du 12 octobre au 3 novembre 2018 (4 657 réponses))).
Le président de la République lui-même s’en est ému. Il a su voir, au-delà du problème de renouvellement des conseillers municipaux en 2020, un malaise plus profond : « La mise en œuvre accélérée de la réforme de l’intercommunalité sur certains territoires et l’application mécanique et parfois trop stricte de la loi « Notre » ont pu être sources de dysfonctionnements et de déceptions. […] J’ai demandé au gouvernement d’être pragmatique et, s’il le faut, de proposer de modifier la loi », écrivait-il aux maires le 16 novembre 2018 ((Lettre d’Emmanuel Macron aux maires de France, à l’occasion du 101e congrès des maires de France)).
Attention aux votes sanction
Depuis la crise des « gilets jaunes », il s’est exprimé à peu près dans les mêmes termes plusieurs fois devant les maires lors du grand débat national. Mais, alors que Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, consulte en ce moment sur le sujet, à l’Association des maires ruraux de France, on différencie une « ligne Gourault-Philippe qui ne veut pas revenir sur la loi « Notre » » d’avec une « ligne Macron-Lecornu prête à discuter », la première ligne craignant d’ouvrir une boîte de Pandore.
Mais si la réforme territoriale a été à peu près absente des élections municipales de 2014, elle devrait s’inviter dans celles de 2020. Il y aura des surprises. Le plus souvent dans les zones où des élus locaux ont imposé, sans concertation avec les citoyens, une fusion d’intercommunalités ou, surtout, la création d’une commune nouvelle. Peut-être aussi dans de petites communes rurales où des élus ont maintenu l’immobilisme. On verra donc des votes sanction. Des listes se constitueront à partir de collectifs de citoyens créés en réaction à l’autoritarisme territorial d’élus en place. Certaines de ces équipes gagneront. Inversement, dans de petites communes rurales, des équipes peut-être plus jeunes que celles en place s’engageront plus avant, en créant par exemple des communes nouvelles. Puisse l’Etat ne pas interférer dans cet élan démocratique, mais au contraire le favoriser. Plus libres, les élus locaux retrouveront de la motivation et nos territoires leur vitalité.