Polices municipale et nationale
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La sécurité locale connait une métamorphose depuis que la France vit sous la menace de nouveaux attentats. Les cartes ont été redistribuées entre acteurs locaux et nationaux ainsi qu'entreprises de sécurité privée : l’énorme majorité des polices municipales (PM) prêtent aujourd’hui main forte à la nationale sur ses missions régaliennes. Et pour cause : les forces de l'ordre se replient de plus en plus sur d'autres missions. Une tendance qui devrait se poursuivre avec la présentation du prochain projet de loi "renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme." Pourtant, cette collaboration forcée suscite quelques tensions sur le terrain.
A situations différentes, réponses nouvelles. Les municipales de 2014, qui ont vu plusieurs bastions de la gauche tomber aux mains de la droite, puis la menace terroriste particulièrement prégnante depuis deux ans, ont radicalement modifié le paysage de la sécurité locale.
La majorité des policiers municipaux, dont le recrutement ne faiblit pas, sont aujourd’hui équipés de gilets pare-balles, casques, matraques et bombes lacrymogènes, quand ce n’est pas de flashballs ou de pistolets à impulsion électrique. Nombre de maires (à l’instar de ceux de Lyon, Pau, Metz ou Marseille), réputés rétifs à l’armement létal, les ont même dotés de revolvers dans la foulée des premiers attentats.
Objet de débats presque idéologiques jusqu’à récemment, les caméras de « vidéoprotection » – nouveau terme usité quel que soit le bord politique –, et non plus de vidéosurveillance, sont en voie de généralisation dans les centres urbains. Sous peine de voir les festivals ou divers rassemblements publics annulés, les collectivités investissent massivement dans l’aménagement urbain et les dispositifs de sécurisation des espaces publics, tels que des bornes rétractables ou des plots de béton.
Des policiers municipaux primo-intervenants
« La structuration de notre politique de sécurité locale a permis de faciliter la vie de la police nationale, qui s’est pratiquement désengagée de sa tâche de contrôles routiers, de verbalisation sur voirie ou de sécurisation de la sortie d’écoles. Nos policiers interviennent aussi davantage qu’hier sur des altercations familiales, des tapages nocturnes ou des rixes à la sortie de bars, sans pour autant faire du maintien de l’ordre comme c’est le cas dans certaines villes. Et les brigades anticriminalité nous relaient si la situation dégénère », raconte, sans fard, Robert Herrmann, président (PS) de l’eurométropole et adjoint au maire de Strasbourg chargé de la sécurité.
Pour lui, « la qualité du partenariat peut expliquer cette coopération de tous les instants sans que cela signifie que l’on soit tombé dans le mélange des genres pour autant ». Cantonnée toujours plus à des affaires de renseignement ou de police judiciaire, la police nationale réquisitionne la PM de Strasbourg pour compenser son absence sur certaines missions régaliennes. Cela inclut la surveillance d’établissements scolaires et de bâtiments sensibles, voire une partie de la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Tensions et pressions entre élus, agents et DDSP
Une collaboration intense qu’admet de moins en moins le maire (LR) de Limoges : « J’ai accepté de mieux protéger et armer mes policiers municipaux, afin de pouvoir partager les tâches supplémentaires liées à l’état d’urgence. Mais c’est anormal que nous intervenions à la place des nationaux dans certaines zones de non-droit où la déstabilisation des trafics génère du conflit et donc des risques de bavure », se fâche Emile-Roger Lombertie.
Cette nouvelle répartition des rôles ne va, effectivement, pas sans susciter quelques tensions. Et pour cause : elle est le fruit d’un véritable rapport de forces avec l'Etat... et les agents. Fustigeant le « déni » des maires-employeurs qui n’ont pas armé leurs agents, malgré le décès d’une des leurs en janvier 2015, les syndicats de policiers municipaux mettent la pression sur les élus pour obtenir considération et protection.
Conscient de ce malaise, les gouvernements Valls puis Cazeneuve ont, depuis, fait passer une série de mesures réglementaires et/ou législatives allant dans leur sens : cofinancement de l’achat de 8 000 gilets pare-balles, mise à disposition de plus de 4 000 revolvers de la police nationale, autorisation des pistolets semi-automatiques, etc. Si le ministère de l’Intérieur continue de refuser de généraliser l’armement des policiers municipaux, règle a été donnée, dorénavant, de le faciliter.
Clarification des rôles entre PM et PN
Ces mesures désinhibent certains élus, désireux à la fois de communiquer auprès de leurs citoyens et de satisfaire les revendications de leurs employés, mais en mettent d’autres en porte-à-faux. « Plusieurs polices municipales du Val-d’Oise, le département voisin, ont décidé de doter leurs agents d’armes à feux après les attentats. Les miens, qui s’estimaient menacés malgré leurs flashballs, y sont partis comme un seul homme », relate Michel Fourcade, maire (PS) de Pierrefitte-sur-Seine. Cet exode soudain et les difficultés de recrutement qui s’ensuivirent l’ont poussé à revoir sa position. « Dans le contexte que l’on connaît, cela devient compliqué de ne pas accéder aux revendications syndicales, alors que l’Etat nous y incite grandement », souffle-t-il.
Cette évolution est loin d’être neutre, même si le pouvoir national renâcle toujours à renforcer les prérogatives des policiers municipaux (contrôles d’identité, accès aux fichiers de la police nationale). Surtout, la situation mériterait d’être clarifiée pour sécuriser les maires, qui risquent de voir leur responsabilité civile ou pénale engagée en cas de dérives des policiers municipaux.
Une coproduction public-privé qui pose question
Le retrait de l’Etat entraîne une montée en puissance des polices municipales et des acteurs locaux… mais aussi des entreprises de sécurité privée. Outre leur présence naturelle au sein de centres commerciaux, de cinémas ou d’autres zones attractives générant d’importants flux de populations, un nombre croissant de marchés publics leur est concédé. Des entreprises de protection et de vigiles interviennent, par exemple, lors de la sécurisation de concerts, de rassemblements et de grands événements, mais aussi, parfois, d’espaces publics. Lors de l’Euro 2016, organisé l’été dernier en France, les vérifications du ministère de l’Intérieur et les contrôles inopinés de leur instance régulatrice (Cnaps) avaient néanmoins mis en lumière plusieurs manquements.
Surcoûts et inégalités
Une partie de ces sociétés restait confrontée à d’importants problèmes de recrutement - avec des employés fichés pour islamisme radical, appartenance à des mouvances violentes d’extrême droite et d’extrême gauche, etc. - et de formation. Attention également à ne pas rajouter de l’inégalité aux inégalités, alertent certains élus. « Parce que nos villes populaires, aux finances exsangues, n’ont plus les moyens de payer des vigiles privés, en sus des policiers municipaux déjà mis à disposition de l’Etat -pour cause de menace terroriste -, les préfets annulent de plus en plus d’événements festifs qui renforcent pourtant la cohésion sociale », alerte le maire (PS) de La-Seyne-sur-Mer, Marc Vuillemot. Derrière la question des finances se pose aussi celle de l’équité territoriale : « Les surcoûts liés aux mesures de sécurisation drastiques imposées par le préfet ont fait doubler la facture pour notre carnaval. Sans cofinancements, à l’avenir, seules les grandes villes riches pourront conserver de telles manifestations », craint Roger Vicot, le maire de Lomme (Nord) et président du Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU).
Gerlove Yokotaa - 14/09/2017 10h:01
La réponse du Maire de Limoge est terriblement révélatrice. Il met en cause le transfert de certaines missions "dans des zones de non-droit" en evoquant le risque de "bavure" de la part de ses policiers !! Mais qu'en est-il de l'intégrité physique des agents ? Avant de penser à la bavure, peut-être peut-il penser avant tout à la sécurité de ses policiers municipaux quand on les envoie dans ces zones ? Non ?
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