Investissement local
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Les réactions au rapport de la Cour des comptes consacré aux finances locales n'ont pas tardé. Le bloc local, principalement critiqué pour le niveau de ses dépenses de fonctionnement, a vivement attaqué une analyse qui aboutit à des préconisations qui lui sont désavantageuses.
Les réactions au rapport de la Cour des comptes consacré aux finances locales (voir notre article) n'ont pas tardé. Le bloc local, principalement critiqué pour ses dépenses de personnel, a vivement attaqué une analyse jugée « réductrice de la gestion des collectivités et une vision purement comptable des finances publiques locales », comme on peut le lire dans un communiqué commun de l'AMF, l'AMGVF et de l'Acuf.
La Cour des comptes évoque tout au long de son rapport l'augmentation continue des dépenses de fonctionnement des collectivités pointant du doigt les communes et les intercommunalités. Elle met l'accent en particulier sur les dépenses de personnel. D'une part, les communes auraient tendance à faire évoluer les carrières et donc les salaires des fonctionnaires de manière trop systématique, allant au-delà de ce que leur impose la réglementation du travail. D'autre part, les intercommunalités verraient leurs effectifs croître rapidement (+ 5,8 % en 2010) sans que cela n'ait réellement d'impact sur les effectifs communaux (-0,8 % seulement), malgré la mutualisation des services.
Pour une analyse consolidée des effectifs communes-intercommunalité
Dans un communiqué, l'AdCF relativise ce constat, refusant de voir les communautés rendues responsables de la hausse des effectifs territoriaux. Elle interpelle la Cour sur « les limites d’une analyse en pourcentage » puisque « une réduction de 0,8 % au niveau des communes représente à peu de choses près le même nombre d’agents en valeur absolue qu’une progression de 5,8 % au niveau des intercommunalités (soit de l’ordre de 9 000 agents) ; les effectifs municipaux dépassant un million d’agents contre 170 000 dans les intercommunalités ».
[caption id="attachment_8661" align="alignleft" width="380"] La plupart des associations d'élus, porte-parole des collectivités territoriales, argumentent contre le rapport de la Cour des comptes.[/caption]
L’association milite ainsi pour « une analyse consolidée des ensembles intercommunaux mais également « pour une analyse géographique ». « Ce ne sont pas dans les régions les plus avancées en matière d’intercommunalité que les taux d’administration et la croissance des effectifs sont les plus élevés, bien au contraire », rappelle-t-elle en référence à l’étude menée conjointement avec le CNFPT. « Les régions présentant les taux d’intégration les plus forts présentent des taux d’administration figurant plutôt dans les moyennes basses – Alsace, Picardie, Bretagne… ». Et d’asséner que « la progression de l’intercommunalité ne peut être rendue responsable de la hausse des effectifs ».
L'influence de « la montée en charge des services rendus »
De son côté, dans un commentaire du projet de rapport datant de septembre, l'AMRF regrette la posture de la Cour des comptes « pour qui l'emploi ne semble pas être une préoccupation ». Que les pouvoirs publics dans leur ensemble s'intéressent à cette question, c'est une bonne chose, estime l'association. Cependant, elle souligne qu'on ne peut l'aborder sans prendre en compte aussi « la montée en charge des services rendus et la qualité du service public salué par des études d'opinion ».
L'AMRF fait remarquer que l'évolution des effectifs communaux dépend aussi parfois de décision de l'Etat : « Transferts par l’Etat (parc, TOS, MDPH…) ou, plus subtiles, les créations de dépenses obligatoires et non financées par l’Etat, comme par exemple la récente réforme des rythmes scolaires qui oblige les collectivités à recruter du personnel sans que cela ne soit aucunement compensé en regard à la dépense réelle », ajoute l’association.
Moins visées par la rapport, les régions (ARF) n'en rejettent pas moins toute volonté de contraindre les collectivités à la minoration de leurs dépenses, préférant militer pour un « effort d’optimisation […] sur la nécessaire clarification des compétences entre collectivités territoriales et surtout entre les collectivités territoriales et l’Etat qui doit se recentrer sur ses principales missions : éducation, justice, sécurité, péréquation, etc. ».
De leur côté, AMF, AMGVF et Acuf rappellent que la suppression de postes alors qu'il faut maintenir le même niveau de service, ne se traduit pas forcément par une réduction des coûts puisque cela implique, souvent, de confier les tâches abandonnées à des prestataires extérieurs.
Comment évaluer la rentabilité économique et sociale des investissements ?
L'investissement local est aussi critiqué. La Cour des comptes affirme que « rien n'assure la bonne allocation des ressources aux investissements locaux » et prône la mise en place « de procédures d'évaluation systématique de la rentabilité économique et sociale » afin que les investissements aillent « vers des équipements structurants et jugés plus utiles ».
Dans leur communiqué, l'AMF, l'AMGVF et l'ACUF s'insurgent contre cette position qui insinue que les collectivités du bloc local investissent de manière irrationnelle. Le bloc local conteste toute « présomption de mauvaise gestion locale qui transparaît dans les propos de la Cour. Ce point de vue n’a qu’un objectif : réduire la dépense locale sans se préoccuper des conséquences sur l’investissement. Les communes et leurs intercommunalités, dont les budgets sont contraints, tournent déjà leurs efforts vers les équipements structurants jugés les plus utiles ».
Les trois associations du bloc communal doutent enfin de « la capacité de la Cour à proposer un mécanisme crédible d’évaluation de la rentabilité économique et sociale des investissements locaux ».
Une baisse des recettes fatale aux investissements
La Cour de compte met en regard la hausse des dépenses locales et celle, inférieure, des recettes empochées par les collectivités, estimant que les collectivités ont « d'importantes marges de manœuvre» pour mieux maîtriser leurs dépenses sans remettre en cause la qualité de service public.
Les collectivités locales ne disposent plus de levier suffisant pour faire face aux investissements publics, nécessaires à l’emploi et la croissance, et aux services publics offerts aux citoyens”
Communiqué de l'APVF
L'APVF dans un communiqué du 15 octobre, souligne que ce décrochage est avant tout le fait de la suppression ou de la réduction de certaines sources de recettes. L'Etat a gelé ses dotations depuis trois ans. La taxe professionnelle a été supprimée sans que « les conséquences en matière de produit fiscal n'aient été parfaitement mesurées ».
Et les petites villes de souligner que « les collectivités locales ne disposent plus de levier suffisant pour faire face aux investissements publics, nécessaires à l’emploi et la croissance, et aux services publics offerts aux citoyens. […] Force est de constater que l’entretien de la voirie, les politiques environnementales et culturelles ou encore les aménagements touristiques risquent d’être directement impactés par une réduction des dépenses », prévient-elle. L’association rappelle par ailleurs que « sans attendre les préconisations de la Cour des comptes, nombreuses sont les petites villes qui échelonneront leurs investissements, mutualiseront certains de leurs services ou encore supprimeront des postes ».
Revoir la répartition de l'effort des collectivités
Si les associations du bloc local réagissent vivement, c'est ce que la Cour des comptes appelle le gouvernement à réviser les modalités de réduction de dotations de l'Etat (le 1,5 milliard d'euros annuels). Elle estime que dans le cadre de la politique générale de réduction du déficit public dans laquelle les collectivités sont, bon gré mal gré, embarquées, elles n'ont pas toutes les mêmes marges de manœuvre financières. Notamment, le secteur local – communes et intercommunalités – lui paraît avantagé fiscalement par rapport aux autres échelons, depuis la suppression de la taxe d'habitation.
A ce titre, la Cour conseille au gouvernement de donner un coup de pouce fiscal aux régions et départements, mais sans créer de nouveaux dispositifs. Il faut privilégier, comme l'a expliqué le président de la Cour des compte, Didier Migaud, « un réexamen d'ensemble de l'allocation des ressources fiscales » en prenant en compte les compétences exercées. Il serait question, notamment, d'échanger entre le bloc local et les départements une part de taxe foncière sur les propriétés bâties contre des droits de mutation à titre onéreux.
L'ARF s'est, elle, félicitée de cette recommandation d'« une meilleure répartition de la fiscalité entre les collectivités locales ». Dans un communiqué du 15 octobre, elle confirme que « c'est la seule solution pour renforcer le lien entre les compétences et les ressources et responsabiliser chaque catégorie de collectivités locales ».
Mais les associations du bloc local ne l'entendent pas ainsi. L'AdCF met ces deux préconisations – révision de la répartition des dotations et de la fiscalité – au centre de son désaccord avec le rapport. Et AMF, AMGVF et ACUF rappellent que « contrairement à l'affirmation de la Cour, la réforme fiscale n'a pas contribué à consolider l'autonomie fiscale des communes et des communautés. Au contraire, elle a accru le poids des dotations régulées en loi de finances ».
Concertation, négociation et "états généraux" demandés
Les réactions des associations d'élus locaux se rejoignent sur un point. Toute en constatant que la Cour des comptes avait fait un effort de nuance dans son analyse, au moins par rapport à ce qui avait pu filtrer dans la presse les jours précédant sa publication officielle, elles réclament unanimement une "nouvelle approche de la dépense publique", selon la formulation de l'ARF.
De son côté, la FVM, organisation la moins virulente, invite l'Etat à convoquer des états généraux des finances publiques pour trouver une équation budgétaire et fiscale optimale, et éviter aux collectivités d'avoir recours à des hausses insupportables d'impôts.
L'AMF, l'AMGVF et l'Acuf réclament "une vraie négociation sur l'impact des politiques publiques nationales et européennes, dans un lieu de concertation tel que le Haut conseil des territoires, ou ce qui pourrait le préfigurer". Elles exigent aussi une évaluation objective des transferts de charges décidés unilatéralement par l’Etat et de l'impact financier des normes imposées aux collectivités". Et de conclure : "Dans un contexte de crise où chacun doit contribuer à la maîtrise des dépenses publiques, les élus du bloc communal assument leurs responsabilités sous le contrôle du seul suffrage universel, duquel procède toute légitimité".