Philippe Richert : « Les régions s’engagent dans une démarche d’organisation entre collectivités »

Aurélien Hélias
Philippe Richert : « Les régions s’engagent dans une démarche d’organisation entre collectivités »

Philippe Richert, président de l’Association des régions de France

© Stadler

Philippe Richert a succédé en janvier dernier à Alain Rousset à la tête de l’Association des régions de France (ARF), quelques semaines après avoir remporté la région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine. Aujourd’hui, première partie de l’entretien accordé par l’ancien ministre des Collectivités territoriales au Courrier des maires : le président de l’ARF dresse un premier bilan de trois mois d’actions des nouvelles grandes régions. Il fait le point sur les transferts de compétences en provenance des départements et la nécessaire collaboration tant avec les conseils départementaux qu'avec les futures intercommunalités aux périmètres rénovés.

Courrierdesmaires.fr. Quel bilan faites-vous de la mise en place des nouvelles grandes régions depuis trois mois ?

Philippe Richert. C’est un bilan à la hauteur des difficultés que nous attendions ! D’abord, au regard des territoires désormais gérés : 80 000 km2 pour la Grande Aquitaine, 70 000 km2 pour le Grand Est, soit plus deux fois la Belgique… Et ce avec des organisations territoriales, des identités, des fragilités très différentes et sans que les nouvelles régions aient pour autant les compétences de l’Etat.

Le changement ne concerne pas uniquement les régions, mais aussi les agglomérations avec lesquelles il nous faut construire un nouveau modèle. Hier, l’Alsace était structurée autour de trois grandes villes ; aujourd’hui, Alsace Champagne-Ardenne-Lorraine l’est autour de 30 agglomérations, qui sont toutes bien plus larges que la seule ville-centre. Et à leurs côtés, se côtoient des villes de taille moins importantes mais importantes au niveau départemental, comme Bar-le-Duc dans la Meuse.

Reste que dans tous les domaines on change de dimension : c’est vrai pour les chambres régionales de commerce et d’industrie comme pour les chambres d’agriculture. Et pourtant, malgré toutes ces reconfigurations, nous ne pouvons attendre éternellement pour mettre en place les schémas de développement économique.

Le deuxième défi consiste à mettre en place ensemble des politiques territoriales. D’où dans le Grand Est le maintien des trois ex-capitales comme antennes de la nouvelle région…

Quels sont les autres enjeux pour les régions en 2016 ?

P. R. Le deuxième défi consiste à mettre en place ensemble des politiques territoriales. D’où dans le Grand Est le maintien des trois ex-capitales comme antennes de la nouvelle région mais aussi notre volonté d’aller au-delà avec des services, des agences, déclinés sur le terrain. Il faut aussi pour cela mieux se connaître, y compris humainement : 169 élus, ce n’est pas rien. Et il en va de même pour tous les autres territoires recomposés.

Le troisième défi est celui des compétences qui nous ont été transmises, notamment des départements. Et il faut là aussi prendre en compte, dans un esprit d’équité, leurs attentes, chacun ayant ses raisons.

A ce titre, comment progresse le transfert des transports scolaires aux régions ?

P. R. D’abord, le transfert des transports scolaires doit se faire à une date différente que celle du transfert des transports interurbains, alors même que les deux réseaux utilisent en partie les mêmes moyens…

S’y ajoute un historique avec, en la matière, des politiques départementales qui n’étaient pas identiques, un département ayant instauré la gratuité là où un autre faisait payer les usagers.

Il y a clairement un enjeu d’efficacité dans ce transfert, avec le rassemblement des transports au bénéfice de la région, elle qui était déjà responsable du ferroviaire et par extension de certaines lignes de car.

Mais s’il s’agit bien sûr d’un enjeu stratégique, c’est aussi un enjeu de proximité. Il nous faut être présent de façon territorialisée. Sur le terrain.

Si la délégation au département a été évoquée, beaucoup de départements, comme celui de l’Aube dans ma région, ont acté le vote de la loi Notre et le fait que le conseil régional va prendre le relais du département, bien sûr en reprenant les marchés passés par le conseil départemental.

Nous essayons de mettre en place avec [les départements] une démarche unifiée. Nous consultons chaque président de conseil départemental puis les réunissons tous pour valider la démarche.

Les départements restent donc des partenaires importants malgré la montée en puissance des régions ?

P. R. Oui. La collaboration avec les conseils départementaux reste naturelle, même si elle est plus complexe avec dix départements au lieu de trois pour l’ex-Alsace. Il suffit de regarder un dossier aussi important que le très haut débit au cœur de l’enjeu central de la fracture numérique.

Nous essayons de mettre en place avec eux une démarche unifiée. Nous consultons chaque président de conseil départemental puis les réunissons tous pour valider la démarche.

Dans ma région, trois des 10 départements étaient déjà bien avancés dans leur démarche. Reste à construire une démarche collective avec les sept autres car le conseil régional ne veut rien imposer. Mais il nous faut apporter des réponses à tous les partenaires locaux – culturels, sportifs, associatifs.

Qu’en est-il de la réorganisation territoriale globale alors que se réforme aussi la carte intercommunale ?

P. R. Alors que les territoires sont déjà très différents entre eux, il est certain que l’organisation et la représentation des territoires ruraux et semi-ruraux va être bouleversée. Car avec la hausse du seuil des intercommunalités, les agglomérations deviennent des villes à qui on agglomère des territoires ruraux en grand nombre, au point que ces territoires ruraux ont une surface plus importante que l’aire urbaine au sein de l’intercommunalité !

La nouvelle agglomération de Reims comportera pas moins de 140 communes dont 100 communes de moins de 1 000 habitants… Dans plusieurs nouvelles intercommunalités, la population rurale sera même supérieure à la population urbaine. Les conseils départementaux auront alors un rôle nouveau à jouer, en partenariat avec les régions.

Avec Nancy qui sera demain une métropole, l’agglomération de Reims représentera d’ici 6 ans la moitié de la population du département.

Dans le Bas-Rhin, nous allons vers quatre communautés de communes de plus de 100 000 habitants ! Un travail se fait donc doucement avec les agglomérations et les conseils départementaux sur l’évolution des compétences et territoires en fonction de la nouvelle organisation spatiale.

Je crois que les gens n’ont pas suffisamment anticipé à quel point les dernières lois allaient révolutionner l’organisation territoriale. Dans la phase qui s’ouvre d’agrandissement des régions et intercos, les régions ne demandent aucunement de nouvelles compétences mais s’engagent dans une démarche d’organisation entre collectivités.

Les régions voient les agglomérations en amont, tout comme les départements pour des rencontres en bilatéral. Et, dans la foulée, nous réunissons la commission régionale pour acter un certain nombre de choses.

N’est-ce pas le rôle des CTAP d’organiser cette concertation entre collectivités sur la répartition de la mise en œuvre des compétences ? Où en sont-elles ?

P. R. Dans ma région, 70 à 80 organisations doivent y être représentées. Il suffit que chacune vienne avec deux représentants pour avoir 150 participants ! Cela ne peut donc être une réunion de travail.

Les régions voient les agglomérations en amont, tout comme les départements pour des rencontres en bilatéral. Et, dans la foulée, nous réunissons la commission régionale pour acter un certain nombre de choses. La CTAP est davantage une réunion conclusive et actant des derniers ajustements.

Le transfert de la compétence développement éco des départements aux régions s’effectue-t-elle correctement ?

P. R. D’abord, la concentration de compétences au profit de la région a pour but d’être plus efficace au service des entreprises et de faire en sorte que là où aujourd’hui encore les régions plafonnent à 1% de leur PIB investi dans l’innovation, elles atteignent les 5% comme dans le Bade-Wurtemberg.

Ensuite, il n’y a pas eu à proprement parler de transfert de la compétence économique des départements aux régions, mais bien la suppression de la clause générale de compétence des départements. Or, comme il n’y a pas de transfert, il n’y a pas eu de transferts de moyens !

J’en profite pour indiquer que je ne demande en rien un transfert de moyens des départements vers les régions ! D’où la demande de l’ARF au gouvernement de se voir octroyer les moyens nécessaires au financement de nos compétences nouvelles.

Je ne souhaite en aucun cas entrer dans un débat sur une nouvelle répartition de la CVAE entre régions et départements !

Jugez-vous à ce titre insuffisant les 50% de CVAE dont les régions bénéficieront dès 2017 ?

P. R. La hausse de notre part de CVAE, de 23,5% à 50%, est destinée à compenser le transfert des transports scolaires et interurbains. Et je ne souhaite en aucun cas entrer dans un débat sur une nouvelle répartition de la CVAE entre régions et départements !

Le problème est que nous manquons de marge de manœuvre financière : l’essentiel de nos ressources est constitué de dotations pour lesquelles nous sommes ponctionnés de 450 millions d’euros par an.

Une petite partie est constituée d’une fiscalité dont ne nous sommes pas maîtres. La seule fiscalité que nous maîtrisons vraiment se résume aux cartes grises ! Il nous faut retrouver des marges de manœuvre fiscale. En cela, l’idée de la taxe carbone, évolutive, écologique et qui correspondrait bien à nos compétences ferroviaires, est intéressante…

 
« Redéfinir par écrit notre collaboration avec l’Etat et fixer un cap » : retrouvez la 2e partie de l'interview de Philippe Richert

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