Philippe Bas, sénateur LR de la Manche, président de la commission des lois
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A la veille de l'examen du rapport sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (« Notre ») par la commission des lois, son président, Philippe Bas, livre au Courrier des maires les amendements que le Sénat souhaite apporter au texte. Transfert des routes, des collèges, pouvoirs économiques des régions, seuil de population des intercommunalités… le sénateur UMP de la Manche dévoile les intentions de la Haute chambre et s'offusque de la procédure accélérée imposée par le gouvernement.
Courrierdesmaires.fr. Comment accueillez-vous la décision du gouvernement d’imposer la procédure accélérée sur le projet de « Notre » ?
Philippe Bas. La commission des lois et son président le prennent très mal ! Nous sommes d’autant plus amers que le gouvernement l’a décidé sans aucune espèce de concertation ni même d’information préalable du président du Sénat.
La première conséquence prévisible est l’accélération de l’examen du texte. C’est d’ailleurs l’Assemblée nationale qui en souffrira le plus car elle n’aura environ que quatre semaines en tout pour l’examiner. Or c’est un texte important sur l’organisation territoriale du pays qui va être ainsi débattu dans des conditions acrobatiques, sans compter la possibilité d’une seule lecture par chambre.
Ce n’est pas acceptable pour une réforme si lourde de conséquences et nous souhaitons que le gouvernement revienne sur sa décision. Ce sont de très mauvaises pratiques alors que le Sénat avait montré de bonnes dispositions pour parvenir à un consensus en nommant deux rapporteurs, l’un UMP et l’autre PS.
De la même manière, le fait que l’Assemblée et l’exécutif n’aient retenu aucun de nos apports sur le texte de délimitation des régions, de la nouvelle carte au droit d’option modifié pour les départements et jusqu’au premier article introduit pour rappeler les compétences de chaque collectivité, n’est pas de nature à établir un contrat de confiance…
Comment percevez-vous globalement le texte avancé par le gouvernement ?
P.B. Le Sénat aura à cœur de faire de ce projet de loi un texte de décentralisation, ce qu’il n’est pas. Ce texte était en réalité un projet qui devait constituer la première étape de suppression des départements. Puis le gouvernement a écouté les protestations et a évolué… mais sans faire évoluer le texte lui-même !
La manière dont le projet de loi vide les départements de leurs responsabilités principales, en dehors des champs social et de cohésion territoriale, nous ne pouvons l’accepter.
Idem pour les régions : elles se retrouvent tout à la fois avec des semelles de plomb, alourdies de compétences de proximité et de fonctionnement des services publics locaux ; et avec des pieds d’argile, puisqu’elles manqueront de moyens et de puissance pour assurer le développement économique.
Les régions n’ont aucune compétence pour agir sur les bassins d’emplois au travers des leviers des contrats aidés. Elles sont en quelque sorte unijambistes, ne disposant que de la moitié des pouvoirs d’action en la matière, avec la seule formation professionnelle.”
Le texte ne transmet-il pas aux régions de plus grandes responsabilités sur l’économie ?
P.B. Il n’y a pas dans ce texte de transfert de compétence économique ! On ne supprime d’ailleurs pas la compétence légale des départements en la matière. Le vrai changement qui aurait permis d’avoir des régions fortes économiquement consisterait à ce que l’Etat délègue des pouvoirs aux régions, ce que le texte ne fait nullement.
Il faudrait aux régions davantage de moyens d’actions dans le domaine de l’emploi, un domaine encore non partagé par l’Etat. Les régions n’ont aucune compétence pour agir sur les bassins d’emplois au travers des leviers des contrats aidés. Elles sont en quelque sorte unijambistes, ne disposant que de la moitié des pouvoirs d’action en la matière, avec la seule formation professionnelle. Or une réforme territoriale en pleine crise économique n’aurait aucun sens si elle ne traitait pas des problèmes liés à la crise de l’emploi.
Partagez-vous la volonté de la commission de la culture de ne pas transférer les collèges et transports scolaires aux régions ?
P.B. Aujourd’hui, le bloc communal gère la maternelle et le primaire ; les départements, les collèges ; et les régions, les lycées. Au contraire de la répartition des collèges, celle des lycées n’est pas une affaire de proximité car la majeure partie de ces derniers sont spécialisés : lycées agricoles, hôteliers, techniques, accueillant des Bac+2… Ainsi leur « population » d’élèves va bien au-delà du périmètre départemental.
Les besoins pour les collèges sont les mieux exprimés par des élus locaux et départementaux.”
En revanche, le collège est unique, non spécialisé, avec un large tronc commun. Par ailleurs, la mutualisation est déjà considérable sur la maintenance, l’équipement, le « fibrage » des collèges. On ne peut donc pas dire qu’on fera des économies en les transférant aux super-régions créées…
Les besoins pour les collèges sont les mieux exprimés par des élus locaux et départementaux. Et ce d’autant plus que leur système d’élection le garantit, à l’inverse des élus régionaux issus de listes et ne représentant donc pas les territoires.
Tant le contenu de la formation dans les collèges, que le niveau de mutualisation existant déjà et le système politique d’élection des conseillers généraux plaident pour le maintien des collèges au niveau départemental.
Faites-vous le même raisonnement pour les routes ?
P.B. Les routes constituent l’un des points d’identification les plus forts pour les départements. La connaissance presqu’« intime » du réseau routier est le fait d’élus territorialisés bien plus que d’élus au scrutin de liste. Et les fonds de mutualisation départementale sont amplement suffisants.
Les routes seraient par ailleurs un poids énorme pour les régions qui devraient se doter d’armées de cantonniers… Si le transfert ne se faisait pas, les présidents de région s’en accommoderaient d’ailleurs très bien.
Que pensez-vous de la disposition votée au Sénat pour inciter financièrement les départements à fusionner entre eux ?
P.B. Je peux difficilement me prononcer sur une mesure qui n’est pas passée devant la commission des lois. Mais sur le principe de fusion de départements, beaucoup de sénateurs y réfléchissent en affirmant que plus les régions sont grandes, plus les départements doivent être forts. Et veulent ainsi favoriser leurs fusions, sur la base du volontariat.
Surtout dans des territoires comme en Alsace où le projet de fusion pour instaurer une collectivité unique s’appuie sur un véritable “affectio societatis”((Affectio societatis : volonté de s'associer de plusieurs personnes physiques ou morales.)) et a donc des chances de pouvoir à cette échelle exprimer des politiques fortes.
Si l’EPCI s’étend sur un territoire trop vaste, les communes seront diluées dans cet ensemble. Le risque serait alors grand d’un bégaiement du système démocratique local.”
Quel compromis proposez-vous s’agissant du seuil des EPCI que l’exécutif veut fixer à 20 000 ?
P.B. Pour trouver un compromis, il faut d’abord que chacun exprime ses convictions. Atteindre 20 000 habitants en milieu rural peut mener à une intercommunalité énorme. Si, qui plus est, l’intercommunalité a une forte intégration, cela aboutira au dépérissement de la commune. Et cela, les communes rurales n’en veulent pas.
Si certaines communes ne fusionnent pas, c’est qu’elles avaient mis leurs compétences en commun au travers d’une intercommunalité de projet. Avec la commune nouvelle aussi, elles peuvent toujours bénéficier d’une école sur leur territoire, de la compétence sur la voirie et d’un budget substantiel. Si l’EPCI s’étend sur un territoire trop vaste, les communes seront diluées dans cet ensemble. Le risque serait alors grand d’un bégaiement du système démocratique local.
Faut-il alors supprimer tout nouveau seuil ?
P.B. Le problème ne se résume pas au seuil, mais touche aussi le calendrier. Actuellement, une « voiture balai » des regroupements est déjà prévue pour 2015, vis-à-vis de la règle actuelle des 5 000 habitants et des territoires résiduels qui ne seraient pas couverts. Suivre ce calendrier sans changer de plancher est acceptable.
Mais si on cumule avec la nouvelle carte intercommunale avec un quadruplement des seuils, cela change tout : on aurait alors des communautés, notamment rurales, à peine mises en place en 2014 qui devront se refaire en 2015. La cohésion de ces communautés doit être prise en compte, sinon elles seront en panne avant même d’avoir été en marche.
Il faut changer d’approche, ne plus utiliser le critère de population mais se concentrer sur les notions de bassin de vie, de densité, et laisser une plus grande marge d’appréciation aux préfets et commissions départementales de coopération intercommunale. Et que l’on desserre le calendrier, source d’une déstabilisation profonde.
Le schéma régional doit s’en tenir aux questions les plus importantes : implantation des universités, tracé des lignes TGV, installation des pôles de recherche, etc., sans descendre dans le détail des utilisations du sol.”
Les maires craignent aussi de se voir imposer les schémas régionaux d’aménagement du territoire…
P.B. En la matière, la commission des lois sera attentive aux garanties apportées. Deux schémas régionaux sont prévus : l’un de développement économique, l’autre de développement durable du territoire. C’est ce second qui inquiète car il imposerait aux Scot d’être compatibles, de même que les PLU. Soit toute une cascade de règlements qui s’imposeraient à l’organisation des sols.
Le schéma régional doit s’en tenir aux questions les plus importantes : implantation des universités, tracé des lignes TGV, installation des pôles de recherche, etc., sans descendre dans le détail des utilisations du sol. D’autant qu’il est prévu que ce schéma soit approuvé par le préfet de région. Cela renforce la tutelle de l’Etat et revient à réinstaurer l’approbation préalable du préfet qui existait avant les débuts de la décentralisation en 1982. C’est une source de problèmes.
Dans quel sens plus largement le Sénat va-t-il infléchir ce texte ?
P.B. Il y avait deux manières d’appréhender cette réforme. La première consiste à supprimer un échelon, ce qui n’est pas la voie que nous avons choisie et n’est plus désormais celle du gouvernement.
La deuxième, et c’est notre choix, vise à favoriser la subsidiarité, la spécialisation des échelons, en identifiant le niveau le plus pertinent pour mener chaque politique publique à partir d’un inventaire de toutes ces politiques.
Nous aurons à cœur que ce texte comporte davantage de décentralisation, notamment en matière de politique de l’emploi pour les régions qui doivent pouvoir bénéficier des services des actuelles Direcctes. Que le texte ne produise pas de centralisme régional, mais une spécialisation des compétences avec la suppression des clauses de compétences générales pour les départements et les régions.
Nous voulons enfin que les problèmes des communes soient pris en compte et qu’elles soient accompagnées via l’instrument intercommunal et les communes nouvelles. Enfin, l’apport des ports est important pour les départements littoraux. C’est cette compétence sur le port de Cherbourg qui a permis au département de la Manche de répondre à l’appel à projet gouvernemental sur le développement d’éoliennes en mer. Il est important que les départements conservent cette compétence.