Pauvreté : les acteurs locaux sur le pied de guerre

Hugo Soutra
Pauvreté : les acteurs locaux sur le pied de guerre

Pauvreté

© Adobe

Même s'il est encore trop tôt pour lire la paupérisation de la société française dans les statistiques officielles, et même si l'action des pouvoirs publics auprès des entreprises et des salariés a sans doute permis d'éviter le pire, la gravité gagne les décideurs, un à un. Face à cette crise sanitaire qui est aussi économique et sociale, les élus locaux manœuvrent main dans la main avec l'Etat et les acteurs associatifs, tant pour répondre à l'urgence que pour imaginer des solutions susceptibles aidant à absorber une vague de pauvreté amenée à prendre de l'ampleur d'ici la fin de l'année.

Combien de pauvres aujourd'hui en France? Faute de chiffres consolidés du ministère des Solidarités, de la Cnaf et de l'Insee, les responsables politiques doivent se fier aux estimations des associations caritatives. Un million de pauvres supplémentaires peut-on lire ici, la barre des dix millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, avec moins de 1063 euros par mois, franchie là. Les observations du terrain - multiplication des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) ou des aides des CCAS, augmentation des impayés de loyers - se révèlent à peine moins inquiétantes. Même s'il est encore trop tôt pour lire la paupérisation de la société française dans les statistiques officielles, même si l'action de l'Etat auprès des entreprises et des salariés a sans doute permis d'éviter le pire, et même si les élus locaux ont réussi à solvabiliser l'écosystème de la solidarité locale - CCAS, associations de proximité -, la gravité gagne les décideurs, un à un.

Lire aussi : La solidarité ne peut s’organiser sans l’Etat central

Nouveaux visages

Car tous ont conscience que ces données vont encore évoluer tout au long de l'année 2021. «On assiste à une première vague de pauvreté, mais la deuxième sera un tsunami», prédit Patrick Doutreligne, cadre associatif bien conscient du sursis offert par l'accompagnement des pouvoirs publics. «Tout dépend de la durée de la crise», tempère Frédérique Macarez, maire (LR) de Saint-Quentin (Aisne), qui n'oublie pas toutefois le risque « de se faire rattraper par le remboursement des prêts garantis par l'Etat sur l'année qui vient. La réalité, on l'aura plus tard». Et que se passera-t-il, justement, lorsque les milliards d'euros d'aides d'urgences distribuées par l'Etat cesseront ? Les petits continueront-ils à être soutenus, d'une manière ou d'une autre, autant que les gros ? Y-aura-t-il des gagnants et, si oui, des perdants ?

Autre point d'accord entre élus, de tous bords politiques, avant que l'heure de vérité ne sonne : l'évolution du profil des individus basculant dans la pauvreté. Aux SDF, demandeurs d'asile et bénéficiaires des minimas sociaux - qui ont vu leur accompagnement se réduire considérablement avec cette crise et leur vulnérabilité s'accroître d'autant -, sont venus s'ajouter une partie de la jeunesse - étudiants sans petits emplois, ou sans qualification -, des travailleurs précaires (artisans, intérimaires, saisonniers, « extras » de la restauration, évènementiel), des petits indépendants (commerçants, auto-entrepreneurs). Autant de citoyens démunis qui n'imaginaient pas devoir passer un jour la porte des CCAS et maisons départementales des solidarités, se rendent pour la première fois à des permanences associatives. Avec, tous, la même gêne dans les yeux à l'idée de devoir accepter la main tendue...

Lire aussi : Face à la crise sociale, ces politiques qui imaginent des collectivités-providence

« Les très pauvres le restent, les travailleurs précaires basculent dans le champ de la pauvreté, et des indépendants tombent eux dans la précarité », résume Jean-Luc Gleyze, patron (PS) du département de la Gironde. De plus en plus violemment confrontés aux difficultés concrètes de ces ménages vulnérables, des élus nous confient craindre qu'une partie de leur population se laisse gagner par des idées noires. Que la pauvreté qui minait déjà des pans entiers du territoire français – essentiellement dans les grands pôles urbains, mais aussi dans certains départements ruraux comme le Cantal, la Creuse, le Lot ou la Mayenne – nourrissent la rancœur, décuple les sentiments d’injustices, voire se transforment en colère éruptive à l’issue de cette séquence.

Lire aussi : La crise sème la misère, les élus récoltent la colère

Cette crise systémique, à la fois sanitaire mais aussi économique et sociale, se révèle par nature très politique. Charge aux élus locaux de répondre aux besoins sociaux, donc, mais aussi de rassurer nos concitoyens redoutant une forme de déclassement, et contrer ceux qui dans les quartiers populaires comme la « France périphérique » tentent de les instrumentaliser en véhiculant une idéologie du ressentiment. Il n'y a plus de temps à perdre, alerte le président du Grand Guéret, Eric Correia qui estime que « nous sommes encore trop peu à vouloir réfléchir sur cette vague de pauvreté qui vient. Mais si nous ne le faisons pas dès maintenant, nous ne parviendrons pas à la traiter convenablement lorsqu’elle explosera, demain ! »

Recevez vos newsletters gratuitement

FORMATIONS