Patrick Le Lidec, politologue : « Les exécutifs locaux vont s’affirmer face au pouvoir central »

Patrick Le Lidec, politologue : « Les exécutifs locaux vont s’affirmer face au pouvoir central »

Patrick Le Lidec

© R. Bourguet

Selon Patrick Le Lidec, chercheur au CNRS, la fin du cumul des mandats parlementaires et des fonctions exécutives locales bouleversera les trajectoires politiques traditionnelles et affirmera la prééminence des grands mandats locaux par rapport aux mandats nationaux.

Courrierdesmaires.fr. Avec la fin du cumul d’un mandat parlementaire et d’une fonction exécutive locale, à partir de 2017, quel sera le rapport de force entre les parlementaires et les exécutifs locaux ?

Patrick Le Lidec((Patrick Le Lidec, chargé de recherches au CNRS, expert en matière d'administration publique et de sociologie politique, enseigne la sociologie des réformes territoriales au Centre d’études européennes de Sciences-Po Paris, aux étudiants du master 1 de stratégies territoriales et urbaines ; patrick.lelidec@sciencespo.fr)). On assistera à une dévalorisation relative des mandats parlementaires par rapport aux exécutifs locaux, qui seront majoritairement choisi en cas de cumul. En effet, le chef de l’exécutif d’une grande ville, d’une communauté, d’une région, tient les partis politiques. Il tient les modalités d’investiture aux élections nationales, recrute des collaborateurs. Les parlementaires ne disposent que d’une petite enveloppe pour leurs collaborateurs. Ne distribuant pas de ressources, ils ne peuvent tenir leur parti.

Comment s’opérera l’arbitrage entre les différents mandats ?

P. L. L. Les politiques se comportent comme des individus qui cherchent à minimiser les risques. Les plus âgés, qui ont déjà eu plusieurs mandats de députés, qui ont une retraite de député à temps plein, tranquille financièrement, à l’abri des risques, resteront parlementaires.

Un député maire de 30-40 ans ne fera pas le même calcul. Il gardera la mairie et fera élire le député. Ce calcul est indexé sur l’enjeu sécurité professionnelle, stade de la carrière et volonté de faire varier son parcours. A 60 ans, et après 4 mandats municipaux, un maire pourra avoir envie de voir ce qu’est le Parlement.

Le travail parlementaire en sera-t-il modifié ?

P. L. L. Sur 577 députés, seuls une centaine font réellement le travail. Les autres étant avant tout gestionnaires de leur circonscription et faisant de l’assistance sociale. Beaucoup se demandent comment on va occuper tant de parlementaires. On peut penser que, si on diminue leur nombre, la fonction sera revalorisée. Cela finira bien par être évoqué.

Après les législatives de 2017, les perdants devront attendre les municipales de 2020. Cela posera des problèmes de reconversion.”

Les acteurs verront les difficultés posées par un si grand nombre de députés et sénateurs, dont les trajectoires professionnelles seront fragilisées. Le cumul leur permettait de retomber sur leurs pieds en cas de défaite. Désormais, ce sera plus compliqué pour les battus, qui devront attendre les élections intermédiaires.

Après les législatives de 2017, les perdants devront attendre les municipales de 2020. Cela posera des problèmes de reconversion. Par exemple, devenir directeur de cabinet du maire d’une grosse ville, mais devenir aussi dépendant de lui. Ces itinéraires iront dans le sens de la revalorisation des fonctions exécutives locales et révéleront la dévalorisation du mandat parlementaire.

Quels sont les éléments principaux qui jouent en faveur du mandat local ?

P. L. L. La taille de la collectivité, son budget et la capacité de recrutement politique. Seront ainsi privilégiées les mairies importantes et les présidences de conseils départementaux et régionaux. Le maire d’une grande collectivité abandonnera son siège au Sénat et y enverra son dircab ou son assistant parlementaire.

Cette mécanique prévaut depuis 1988, avec l’entrée en vigueur de la première loi sur la limitation du cumul. On a vu les hommes politiques abandonner leur mandat régional pour y envoyer des femmes, des collaborateurs, des assistants. Car ce mandat est jugé risqué.

Ce choix aura-t-il un impact sur la décentralisation ?

P. L. L. Ces arbitrages ne joueront pas en faveur du renforcement du pouvoir central, ce qui produira probablement une poussée en faveur de la décentralisation.

La fabrique des textes de loi aura moins lieu au Parlement qu’en amont, entre les associations et le gouvernement.”

Nous avons l’exemple de nombreux pays étrangers où les mandats de chef d’exécutif local sont plus valorisés que les mandats parlementaires qui, en outre, sont fabriqués par les premiers, ce qui pousse à la décentralisation. Cela peut changer si l’on réduit le nombre de parlementaires et qu’ils n’ont plus trois assistants, mais une quarantaine, comme aux Etats-Unis, et s’investissent vraiment dans la fabrication de la loi.

Le rôle des associations d'élus sera-t-il modifié par la fin du cumul des mandats ?

P. L. L. Oui. La fin du cumul va revaloriser leur rôle. La fabrique des textes de loi aura moins lieu au Parlement qu’en amont, entre les associations et le gouvernement. C’est la cause du refus de la création  du Haut conseil des territoires par les sénateurs, qui voulaient aussi pouvoir cumuler les mandats. Dans les faits, la négociation sera moins formalisée, mais elle aura lieu.

Notons que les parlementaires pourront toujours être des élus locaux sans fonction exécutive. Les communes seront encore défendues.

Quel sera l’impact du binôme paritaire pour les conseils départementaux ?

P. L. L. L’impact de la féminisation des mandats de conseillers départementaux sera majeur car traditionnellement les conseils généraux sont le vivier du recrutement des parlementaires.

Le nombre de cantons est divisé par deux, il passe à 1 800, pour 925 sièges de parlementaires. Cela signifie que si le vivier se féminise, le Parlement aussi sera féminisé, sans modification des règles. Ce n’était pas le principal argument de la réforme. Mais officiellement, le conseiller territorial a été supprimé pour préserver la parité.

La loi  sur le non-cumul risque-t-elle d’être mise en cause ?

P. L. L. Oui, on ne peut exclure une abrogation avant ou après sa mise en œuvre. Elle aura potentiellement des effets majeurs sur la physionomie des élus, les modalités de déroulement des carrières, la hiérarchie des mandats, les relations entre centre et périphérie… Certains voudront remettre en cause ces évolutions. Mais la crise joue comme accélérateur de transformation. Les élus acceptent les évolutions avec moins de résistance.

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