Pascal Allizard, président du Cner
© P. Forget
Réunies les 26 et 27 juin 2014, à Aix-les-Bains (Savoie) pour leur 61e congrès, les agences de développement économique ne voient pas d’un très bon œil la réforme territoriale avancée par le gouvernement. Le président de la fédération, Pascal Allizard, également maire (UMP) de Condé-sur-Noireau (Calvados), entend bien démontrer que chaque agence, départementale ou non, « correspond à une utilité locale » à l’heure où l’investissement local risque de pâtir de la suppression annoncée du département.
Courrierdesmaires.fr. Comment les agences de développement économique jugent-elles le projet de réforme territoriale du gouvernement ?
Pascal Allizard. Le Cner a toujours appuyé le renforcement de la compétence économique des régions, qui ne nous pose aucun problème, bien au contraire. De même pour la volonté du gouvernement de donner aux agglomérations qui le veulent et aux métropoles des responsabilités en matière d’aménagement économique, de foncier commercial : c’est indispensable.
En revanche, nous sommes de plus en plus inquiets du sort des territoires qui seront très éloignés de la capitale régionale ou qui n’appartiennent pas à une métropole…
Des intercommunalités portées à 20 000 habitants ne seront-elles pas à même d’appuyer le développement de ces territoires ?
P. A. Même portée à 20 000 habitants, une intercommunalité n’a pas la capacité à porter l’ingénierie territoriale, n’aura pas les disponibilités de savoir-faire et l’ingénierie financière nécessaires. Ce seuil ne représente pas un niveau de population suffisant pour que la collectivité se dote d’un « staff » conséquent… Tout comme la cohésion sociale, on ne décrète pas le développement économique !
Supprimer d’un trait de plume le conseil général me paraît irréaliste”
J’ajoute que, dans plusieurs territoires ruraux, des intercommunalités de 20 000 habitants correspondent à des superficies colossales, avec trop de distance et de vallées à franchir. Le territoire départemental reste la bonne échelle de mutualisation.
Alors, supprimer d’un trait de plume le conseil général me paraît irréaliste. Et, à l’heure d’instaurer de très grandes régions qui éloigneront les centres de décision des citoyens, je ne suis pas plus convaincu de la capacité des services de l’Etat à prendre le relais des départements.
Le Cner ne devrait-il pas être rassuré que l’Etat ait choisi de supprimer le niveau qui « touche » le moins au développement économique local ?
P. A. Au contraire, le département a une action qui touche bien plus qu’on ne le croit à la vitalité économique ! D’abord parce que via les dépenses sociales, beaucoup de crédits aliment le développement local. Il faudrait d’ailleurs redéployer une partie des fonds utilisés pour le RSA vers des actions d’économie sociale et solidaire.
Ensuite, parce que les départements dépensent chaque année entre 1,6 et 1,8 milliard dans l’industrie locale, l’aménagement foncier, le secteur de la pêche, etc., qui font partie à part entière de l’économie locale. Enfin parce que les conseils généraux sont parmi les plus gros investisseurs locaux s’agissant de la commande publique. Supprimer le département, c’est supprimer tout cela.
Une carte à 14 régions, une suppression à terme des conseils généraux, des EPCI de 20 000 habitants… Cela remet-il en question le modèle des agences de développement économique ?
P. A. Nous avons déjà différents modèles de maillage du territoire. En Aquitaine et en Midi-Pyrénées, une agence régionale est dédiée à la stratégie, à la réflexion et à la prospective. Elle conventionne avec des agences départementales dépendant des conseils généraux.
Il faut préserver les savoir-faire de ceux qui savent déjà mobiliser la croissance, sans imposer une vision très centralisatrice”
Ce modèle peut donc s’adapter à des régions plus grandes encore, avec des agences à une échelle régionale supérieure qui auront besoin de relais existant déjà aujourd’hui.
De ce constat, je retiens deux principes : il faut laisser les territoires s’organiser entre eux et surtout préserver les savoir-faire de ceux qui savent déjà mobiliser la croissance, sans imposer une vision très centralisatrice.
Comment appréciez-vous à ce titre l’intention du gouvernement de conserver ses services au niveau départemental ?
P. A. C’est le symbole d’une réforme déséquilibrée : l’Etat prétend réformer les collectivités locales mais sans s’interroger sur son organisation territoriale. Or, au niveau du développement économique, l’Etat, dans toutes les régions, doublonne avec les collectivités. Cela témoigne d’un mouvement de recentralisation qui ne dit pas son nom. Les jacobins sont à l’œuvre, et c’est inacceptable.
Le rapport de Jean-Jack Queyranne préconisait, pour réaliser des économies, de ne conserver qu’une agence de développement économique par région. La nouvelle carte à 14 régions éloigne-t-elle cette « menace » de couples claires dans le réseau des agences ?
P. A. Ce qui est paradoxal dans ce rapport, c’est qu’il préconise exactement l’inverse de ce qui est réalisé et fonctionne bien dans la région de Jean-Jack Queyranne, Rhône-Alpes : une grande agence à la tête de la région travaillant avec plusieurs agences départementales, voire d’agglomération, qui contractualisent intelligemment avec les chambres de commerce et d’industrie.
Le problème de ce rapport est qu’il repose sur un postulat erroné : celui qui veut que toutes les agences fassent la même chose, quel que soit leur lieu d’implantation et le territoire qu’elles couvrent. C’est faux car chaque agence correspond à une utilité locale.
L’idée de supprimer des échelons d’administration ou d’action locale pour faire des économies est donc erronée ?
Il y a bien sûr des économies à faire, sur le back-office des agences comme sur des actions à réaliser en commun. Pour ce faire, soit les agences peuvent mutualiser avec leur collectivité de rattachement. Soit, et c’est l’ambition du Cner, on utilise notre fédération pour consolider les volumes et faire ainsi de vraies économies.
Dans le cas de la réforme proposée, j’éprouve la crainte suivante : que l’idée de restructurer en faisant toujours plus grand ne se termine comme avec les Sdis, dont la soi-disant rationalisation au niveau départemental a finalement triplé la dépense totale, comme l’a montré la Cour des comptes.