« Parmi les élus, le réflexe “déontologue” reste à acquérir »

Pascal Weil
« Parmi les élus, le réflexe “déontologue” reste à acquérir »

Patrick Wachsmann, professeur de droit public, déontologue de la ville de Strasbourg

© J. Dorkel-CUS

Depuis novembre 2014, Patrick Wachsmann, professeur de droit public, est déontologue de la ville de Strasbourg, première collectivité à avoir créé cette fonction. Son rôle : prévenir les conflits d’intérêts du maire, de ses adjoints mais aussi de l’ensemble des conseillers municipaux. Pour Le Courrier des maires, il présente les contours de sa mission et les principales lignes de son bilan, au terme d’une première année d’activité synthétisée dans le rapport qu'il a remis, début 2016, à chacun des élus strasbourgeois. Il précise que ces derniers n’ont pas encore acquis le réflexe de lui demander des conseils et que sa fonction reste encore méconnue des citoyens.

Courrierdesmaires.fr. Vous êtes déontologue de la ville de Strasbourg depuis quatorze mois. Quel est votre rôle ?

Patrick Wachsmann. Il faut d’abord dire que la déontologie est une idée neuve en France. Par conséquent, plusieurs années seront nécessaires pour qu’une culture déontologique s’installe dans les collectivités locales et qu’elles aient parallèlement une réflexion sur le thème : « Faut-il ou non une personne ou une instance chargée de la déontologie ? ».

À Strasbourg, si l’institution d’un déontologue a un sens, c’est celui de montrer aux citoyens que l’image donnée par l’actualité sur l’absence d’intégrité de certains élus ne correspond pas à la réalité quotidienne dans leur ville. Il faut de toute évidence éviter les amalgames.

D’un autre côté, il n’y a de démocratie que sur la base d’un rapport de confiance entre le peuple et ses représentants. Aussi faut-il veiller à ce qu’il ne soit pas altéré.

Il est donc absolument essentiel pour notre démocratie de réaffirmer que les élus ont des comptes à rendre aux citoyens et qu’ils s’engagent à respecter une déontologie – c’est-à-dire un certain nombre de règles de conduite – en les plaçant sous la garantie d’un déontologue indépendant.

Ma fonction a pour finalité essentielle de redonner du crédit aux institutions publiques et de retisser un lien de confiance entre les élus et les citoyens.

Quelles sont vos principales missions ?

P. W. Ma mission est triple. Premièrement, je suis chargé d’assister les élus municipaux, à leur demande, afin de les éclairer sur les éventuels risques de conflits d’intérêts et sur les mesures à prendre pour y parer. Je précise que la loi d’octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique désigne un conflit d’intérêts comme toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction.

Ma deuxième mission consiste à recevoir les plaintes des citoyens quant à un conflit d’intérêts qu’ils souhaitent dénoncer à propos d’un conseiller municipal.

Enfin, je rédige des recommandations générales et des notes d’information à destination des élus. Mon activité est détaillée dans un rapport annuel – présenté en conseil municipal et remis à chaque élu – dont le premier, retraçant celle de 2015, a été rendu public en janvier dernier.

Toutes les déclarations d’intérêts sont à présent en ma possession, trois adjoints au maire me les ayant finalement adressées après la remise de mon rapport d’activité 2015…

Depuis votre entrée en fonction, vous avez également recueilli les déclarations d’intérêts du maire et de ses adjoints. Qu’en est-il ?

P. W. Les déclarations d’intérêts sont des instruments qui me permettent d’exercer mes missions. Elles ne sont pas une fin en soi. Elles ne doivent pas être confondues avec les déclarations de patrimoine qui mentionnent l’étendue de la fortune personnelle de l’élu.

Sur le modèle de celles qu’ils adressent à la Haute autorité de la transparence de la vie publique après leur entrée en fonction, il s’agit pour le maire et ses adjoints d’indiquer leurs intérêts dans une démarche de transparence, ainsi que leurs engagements professionnels et dans les associations lorsqu’ils détiennent des responsabilités exécutives. Dans mon esprit, il s’agit d’éléments « ultra minimaux ».

Toutes les déclarations d’intérêts sont à présent en ma possession, trois adjoints au maire me les ayant finalement adressées après la remise de mon rapport d’activité 2015, publié il y a environ un mois. Elles sont consultables sur le site internet de la ville de Strasbourg.

La connaissance des liens d’intérêts de chacun d’entre eux doit me permettre d’apprécier les éventuels conflits d’intérêts qui peuvent se poser à eux et qu’ils m’exposeraient, le cas échéant, en cas de plainte adressée par un(e) Strasbourgeois(e), comme ils en ont la faculté.

Cette démarche concerne-t-elle également les conseillers municipaux strasbourgeois ?

P. W. Une délibération du conseil municipal de janvier 2015 prévoit la transmission des déclarations d’intérêts de l’ensemble de chacun des membres du conseil municipal, sur la base cette fois du volontariat ; 25 % d’entre eux me les ont aujourd’hui transmises. C’est encore peu à ce stade et je le regrette.

C’est pour moi avant tout le signe d’une faible diffusion parmi les élus d’un réflexe « déontologue », qui reste à acquérir. Ce qui est en jeu est de l’ordre de l’acceptation profonde de l’institution.

J’espère que la situation évoluera sensiblement cette année, car elle peut être perçue par les citoyens comme contradictoire au regard de l’accord politique général recueilli au sein du conseil municipal lors de sa délibération en 2015.

Pour les membres de l’exécutif municipal, en cas de coïncidence entre leurs délégations et l’objet de leur activité professionnelle, je préconise qu’ils se retirent du processus décisionnel…

Les élus strasbourgeois sont-ils venus en nombre vous demander des conseils ?

P. W. L’assistance et le conseil aux élus sont essentiels, car le déontologue n’est pas institué pour surveiller et punir. Ma mission consiste à aider l’élu, autant que possible, à ne pas se placer dans des situations délicates ou mal perçues par les citoyens.

A ce jour, seulement cinq élus m’ont sollicité pour des conseils. A l’issue de nos échanges, qui sont confidentiels, je formule des préconisations à portée générale, valables donc pour tous les élus qui pourraient être confrontés à une situation identique.

Certains échanges ont donné lieu à un débat de fond, que je présente de façon synthétique dans mon rapport. Par exemple, certains problèmes sont difficiles à résoudre lorsqu’ils sont liés aux activités ou intérêts professionnels antérieurs de l’élu ou ceux qui sont les siens au moment de l’exercice de son mandat et qui interféreraient avec ses fonctions électives.

Des situations sont compliquées à gérer, d’autant que l’élu n’est pas forcément le seul concerné, s’il a des associés qui ne devraient pas nécessairement faire les frais de son engagement.

Dans ce cas, il ne faut pas établir de nouvelles relations contractuelles entre ces professionnels et la ville. Si elles devaient tout de même s’envisager, l’élu concerné doit clairement se dégager du processus décisionnel, c’est-à-dire ne pas participer à la séance de délibération du conseil municipal en question, ni s’y exprimer, prendre part au vote ou même y être présent.

Pour les membres de l’exécutif municipal, en cas de coïncidence entre leurs délégations et l’objet de leur activité professionnelle, je préconise qu’ils se retirent du processus décisionnel et qu’ils en avertissent le maire et les services municipaux qui dépendent d’eux.

Selon vous, le faible nombre de demandes de conseils des élus et de déclarations d’intérêts transmises volontairement est-il l’expression d’un souhait de transparence d’élus qui ne se traduirait finalement pas en acte ?

P. W. Je ne dirais pas cela. Il y a plutôt une acclimatation assez lente des élus à la culture de la déontologie. Ce qui me paraît normal compte tenu de la nouveauté du sujet en France.

Certes, ils sont peu nombreux à me solliciter pour l’instant. Mais, je le répète, cela me paraît traduire cette absence d’un réflexe « déontologue ». Mon rapport annuel, qui fait œuvre pédagogique, est à ce titre destiné à faciliter l’intériorisation de l’exigence déontologique par tous les élus.

Je souhaite bien évidemment que, dès l’année 2016, de plus en plus d’élus intègrent l’idée de déontologie et qu’en cette matière, je puisse leur être utile.

Le déontologue s’adresse d’abord aux citoyens, car c’est sur leur confiance que repose la légitimité des élus. Il est donc souhaitable qu’ils soient davantage informés des possibilités de me saisir.

À quoi attribuez-vous le fait que les citoyens ne se soient pas encore adressés à vous ?

P. W. Je pense que la fonction de déontologue n’est pas encore très connue du public, malgré les efforts du service communication de la ville. Je crois qu’il est aussi normal que cela prenne plus de temps que pour les élus.

Le déontologue s’adresse d’abord aux citoyens, car c’est sur leur confiance que repose la légitimité des élus. Il est donc souhaitable qu’ils soient davantage informés des possibilités de me saisir. Des informations seront notamment effectuées dans ce sens dans les comités de quartier et des flyers seront à la disposition du public.

Vous avez également rendu une recommandation intitulée « affaires privées-affaires publiques ». Concrètement, de quoi s’agit-il ?

P. W. Il m’a paru important de préciser une ligne de conduite générale concernant deux aspects dans le champ des liens entre affaire privées et publiques.

Le premier aspect concerne l’utilisation des moyens mis à la disposition des élus par la collectivité – moyens qui ne sont pas donnés à titre personnel mais destinés à faciliter l’exercice du mandat politique reçu des concitoyens et des missions précises qui y sont rattachées.

Le second est relatif aux relations des élus avec les partenaires privés avec qui ils entretiennent des relations plus ou moins suivies. Cela vise concrètement les cadeaux, avantages et invitations dont peut bénéficier l’élu, son conjoint voire sa famille, et qui sont inévitablement suspects de n’être accordés que pour se concilier l’élu en vue d’en recevoir des « contreparties ».

Sur la base d’une exigence d’intégrité et d’exemplarité des élus, j’ai pensé qu’il était hautement souhaitable qu’ils refusent toute faveur d’une valeur globale supérieure à 100 euros. S’il s’avérait délicat de la refuser, le cadeau devra être remis à la ville et faire l’objet d’une déclaration qui me sera remise.

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