Laurent El Ghozi, président d’ESPT
© V. Vincenzo
Au lendemain de la manifestation des médecins libéraux, Laurent El Ghozi, chirurgien et président de l'association « Elus, santé publique et territoires » (ESPT), exprime le ressenti des élus locaux, plus que mitigés face au projet de loi Santé qui a perdu une part de ses ambitions, sous la pression de ses opposants. A la veille de la présentation du texte en commission à l'Assemblée nationale, le conseiller municipal (PS) de Nanterre regrette notamment l’abandon du « service territorial de santé au public » et espère voir le rôle des collectivités en faveur de l'installation de maisons de santé pluridisciplinaires et de prévention enfin reconnu.
Courrierdesmaires.fr. Vous soulignez avec un peu d'ironie que le premier problème du projet de loi « est de savoir où il en est ». Pourquoi ?
Laurent El Ghozi. Depuis deux ans, il y a eu un nombre important de rapports sur la démocratie sanitaire, sur la proximité, sur la santé mentale. Tous les acteurs, y compris « Elus, Santé publique et territoire », ont été consultés à plusieurs reprises. Tout cela constitue un gros travail d'expertise et d'audition.
De là, un premier projet de loi a été présenté au mois de juin 2014, puis un projet de loi remanié présenté en octobre et un autre maintenant, légèrement retouché. La question que se posent tous les acteurs et peut-être particulièrement les élus locaux c’est : « Quand est-ce que l'on en sort ? Et où va-t-on ? ». Car, plus on attend de le mettre en débat au Parlement, plus les insatisfactions et les oppositions montent.
Quand l'année dernière on parlait du tiers payant généralisé, il n'y avait pas de grève de médecins. Aujourd'hui, la quasi-totalité du système de santé est en panne. S'ajoute le fait que l'on a annoncé 10 milliards d'euros d'économie sur l'assurance maladie en 3 ans. Ce n'est pas dans le projet de loi Santé mais ça a désormais des répercussions sur son avancée. Peu à peu, tout se grippe pour des raisons diverses.
Vous êtes donc satisfait que le projet de loi arrive devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée ce 17 mars ?
L. E. G. Oui, car ce texte intervient en même temps que la loi Notre qui va remanier la répartition des compétences territoriales, et ce dans une période de difficultés financières de l'Etat, de l'assurance maladie, de l'hôpital, des collectivités... Cela fait beaucoup d'incertitudes.
Il me semble qu'on aurait mieux fait d'aller plus vite sur la loi, quitte à prendre plus de temps pour concevoir les décrets d'application. Car, sur le terrain, on a vraiment besoin de savoir où l'on va.
Les élus ne comprennent pas ce blocage d'origine corporatiste d'autant que les mesures qui, dans le projet de loi initial, visaient à encadrer – un peu – l'installation des médecins libéraux ont été abandonnées.”
Comment jugez-vous le projet actuel ?
L. E. G. Nous y trouvons des avancées comme l'affirmation de la priorité de la promotion et de la prévention de la santé, en faveur de laquelle toutes les structures qui œuvrent dans ce domaine, dont notre association, s'étaient mobilisées au moment des consultations((Lire le Manifeste pour une reconnaissance et un financement fiable de la promotion de la santé, de l’éducation pour la santé, de la prévention collective et de la santé communautaire.)).
Ce qu'il y a sur la réduction des risques et la toxicomanie – les salles de consommation à moindre risques, les tests rapides d'orientation diagnostic... – est plutôt ambitieux et courageux.
Sur les regroupements hospitaliers, tout le monde est convaincu qu'il y a une nécessité de mieux articuler et hiérarchiser les niveaux. Ce qui a été fait pour les maternités (niveaux 1, 2 et 3) depuis 10 ou 15 ans, doit être fait pour tous les domaines hospitaliers.
Sur le tiers payant généralisé, je ne sais où tout cela va aboutir. La ministre a réaffirmé sa volonté de le mettre en œuvre. Le Premier ministre, lorsqu'il a présenté le plan de lutte contre la pauvreté, l'a évoqué. Donc, j'ai le sentiment que l'on va avancer, peut-être avec un ou deux ans de retard sur ce qui était prévu.
Quoi qu'il en soit, les élus ne comprennent pas ce blocage d'origine corporatiste d'autant que les mesures qui, dans le projet de loi initial, visaient à encadrer – un peu – l'installation des médecins libéraux ont été abandonnées.
Les collectivités avaient-elles des revendications particulières ?
L. E. G. Nous avons plaidé – je pense que ça a été entendu – pour l'inscription dans la loi des conseils locaux en santé mentale. En six ans, c'est-à-dire depuis qu'il y a un programme pour les développer, plus de cent conseils sont nés. Entre vingt et trente autres sont actuellement en gestation. C'est un mode d'organisation et de gouvernance locale des questions de santé mentale, qui nous paraît parfaitement pertinent.
Ce que nous souhaitions aussi, c'était que la loi ouvre la possibilité de créer des « conseils locaux en santé publique », un peu sur le modèle du conseil local en santé mentale, c'est-à-dire un conseil dans lequel les élus locaux auraient une place.
Nous plaidons pour que les collectivités locales deviennent véritablement des acteurs en contrat avec les ARS des politiques de santé. La ministre nous a dit que ce serait dans la loi ; il faut que ça y soit. Car les collectivités font de plus en plus pour les questions de santé à la fois sur les problématiques d'offre – soutien à l'installation de maisons de santé pluridisciplinaires, de centre de santé –, sur la question de la prévention par de multiples biais et sur les déterminants((Les déterminants de santé, en santé publique, sont tous les facteurs qui influencent l'état de santé : facteurs économiques, sociaux, culturels, environnementaux, biologiques et politiques.)) de la santé.
Dans le contexte budgétaire actuel, si l'on veut simplement que les villes continuent à faire ce qu'elles font dans le champ de la santé, des déterminants et de la prévention, il faut qu'elles soient un minimum considérées.”
Lors de la présentation du projet à la presse, le 10 mars, la ministre a parlé de plateforme territoriale pilotée par les ARS avec les collectivités territoriales. Cela répond-il à vos attentes ?
L. E. G. On ne sait strictement rien du contenu de cette mesure. On est sur une idée très générale. Mais on sent bien que l'on est en retrait par rapport au « service territorial de santé au public » qui a disparu du texte. Les collectivités territoriales, je le rappelle, n'étaient citées qu'une fois dans les deux précédents projets de loi à propos de la formation sanitaire et sociale.
Dans le contexte budgétaire actuel, si l'on veut simplement que les villes continuent à faire ce qu'elles font dans le champ de la santé, des déterminants et de la prévention, il faut qu'elles soient un minimum considérées. On va leur demander de faire plus, d'assumer pour partie les 10 milliards d'économie demandés au système de santé. Je crois que la ministre a compris. Je crois...
Vous évoquez le « service territorial de santé au public » qui a disparu de la nouvelle version au profit des « communautés professionnelles territoriales de santé ». Quel était son rôle ?
L. E. G. Dans la stratégie nationale de santé qui a été présentée à l'automne 2013 – donc qui commence à avoir de l'âge –, il y avait une ambition, un souffle. Sa traduction dans la première version de la loi était de mon point de vue minimaliste. Mais les oppositions et la guérilla depuis 6 mois font que l'on en est à une version encore plus réduite de communautés entre professionnels dédiées à la prise en charge des maladies chroniques. C'est important mais pas suffisant.
Aujourd'hui, les ARS viennent nous voir, nous élus, pour réfléchir à ce que nous pourrions faire ensemble pour améliorer la santé, agir sur les déterminants, agir sur les organisations. En fait, il s'agit de faire de la santé publique, dans le cadre d'un contrat entre l'ARS et les collectivités locales, les professionnels et les usagers.
Le « service territorial de santé au public », répondait à ce besoin, avec une gouvernance partagée. C'était simplement une sorte d'élargissement du contrat local de santé inscrit dans la loi HPST. Cela nous paraissait avoir du sens, de l'ambition et être susceptible de faire évoluer le système de santé.
Les petites villes pour des « zones prioritaires de santé »
Malgré des « orientations intéressantes », le projet de loi Santé suscite le scepticisme de l’Association des petites villes de France qui appelle à un « renforcement des engagements en matière de réduction des déserts médicaux, d’encouragement de la complémentarité des soins et de dialogue territorial entre les professionnels de la santé, les élus locaux et les usagers ».
L’association souligne dans un communiqué du 16 mars « le rôle essentiel des établissements de proximité et soutient le développement de mesures supplémentaires pour diminuer fortement les inégalités territoriales d’accès aux soins ». Et de proposer « l’instauration de zones prioritaires de santé qui doivent permettre, à l’échelle d’un territoire, de renforcer l’offre de soins par des dispositifs de nature conventionnelle, sociale, fiscale, et de financement des activités de santé et socio-médicales ».
Autre suggestion : améliorer le « dialogue territorial » en matière de santé publique via une concertation renforcée entre collectivités et agences régionales de santé ; et des conférences territoriales de l’action publique (CTAP) servant de creuset au renforcement de l’offre territoriale de soins.