Le score du Front national s’explique par la démobilisation de l’électorat de gauche face à une surmobilisation des électeurs frontistes. Ceux-ci ne se recrutent pas parmi les plus précaires, explique la chercheuse Nonna Mayer, mais parmi ceux qui craignent de perdre ce qu’ils ont acquis.
LeCourrierdesmaires.fr : Dans les villes où le Front national a fait un score important, le taux d’abstention est moindre. Comme l’expliquer ?
Nonna Mayer : L’abstention a connu un record historique, avec 38,62% pour des élections municipales ((Il était de 33,46% après le premier tour en 2008)). Il a été plus marqué à gauche qu’à droite. Dans les sondages, le taux d’abstention des électeurs FN se situaient entre celui des électeurs de gauche et de droite. Mais les sondages ne sont pas un bon moyen de prédire l’abstention. Les sondés n’en parlent pas.
Tous les éléments sont réunis pour un vote sanction."
En fait, les élections se gagnent moins sur le passage de la gauche vers la droite, ou le contraire, que par la mobilisation différentielle entre les électorats. Or, cette fois-ci, les électeurs FN étaient supermobilisés, les électeurs de gauche superdémobilisés. La politique de François Hollande, qui a battu tous les records d’impopularité, la pression fiscale ou encore le pacte avec le Medef mécontentent l’électorat de gauche, qui a voté avec ses pieds en s’abstenant. Tous les éléments sont réunis pour un vote sanction.
Peut-on établir un lien entre précarité et vote FN ?
N. Mayer : Le lien est plus complexe. Le taux de précarité est véritablement corrélé avec l’abstention, le retrait de la vie politique. Une grande enquête que nous avons menée en 2012 sur la précarité montre que c’est ce qui en constitue le premier effet. Ceux qui votent FN ne sont pas les plus précaires.
Le vote se déplace vers des communes plus éloignées, à distance du centre-ville, sans service public. Cela renvoie au débat sur le périurbain."
Dans les années 90, le FN réalisait de bons scores dans les banlieues rouges, où la précarité était forte. Depuis, le vote se déplace vers des communes plus éloignées, à distance du centre-ville, sans service public. Cela renvoie au débat sur le périurbain. Depuis 2002, de plus en plus de communes rurales sont concernées. Ce ne sont pas les communes les plus précaires. Ceux qui votent FN sont les non-précaires, ceux qui ont peur de perdre leur qualification, leur petit capital. Ils en veulent aux immigrés, aux "profiteurs", aux "assistés". C’est un vote très hétérogène que l’on retrouve dans de nombreuses catégories de la population. Chez les petits commerçants, les artisans, les ouvriers, les petits employés, depuis 2002 chez les femmes dans le prolétariat de services.
Va-t-on vers la fin du clivage gauche-droite ?
N. Mayer : C’est ce que clame Marine Le Pen. En fait, on en parle depuis dix, quinze ans. Mais il ne faut pas enterrer trop vite le clivage gauche-droite. Ce qui fait progresser le vote FN est l’évolution des mentalités. Une demande plus forte d’autorité, le rejet croissant des immigrés, des autres. La bipolarisation reste, car l’on ne constate pas cette évolution chez les électeurs de gauche. Il y a toujours de 30 à 40 points d’écart entre droite et gauche sur l’immigration, l’islam, la peine de mort. On assiste avant tout à une droitisation de la droite.