Nicolas Kada, professeur de droit public à l’Université de Grenoble-Alpes
Depuis l’annonce par le gouvernement de futurs pactes entres l’Etat et les « 319 » plus grandes collectivités en vue de maîtriser la hausse de leurs dépenses de fonctionnement, les associations d’élus montent au créneau. Certaines dénoncent un « retour du contrôle a priori » de la collectivité, voire « la mort de la décentralisation ». Professeur de droit public à l’Université de Grenoble-Alpes, Nicolas Kada analyse pour le Courrier des maires les enjeux de ces pactes, dans l’air du temps en France comme en Europe.
Courrierdesmaires.fr : Les associations d’élus évoquent le « retour du contrôle a priori », partagez-vous cette analyse ?
Nicolas Kada : Avant 1982, l’Etat exerçait effectivement un contrôle a priori sur les collectivités, ce qu’on appelait aussi la tutelle ; les collectivités ne pouvaient pas agir sans que l’état ne valide en amont et ne donne finalement son accord. Après 82, nous avons basculé dans le système actuel, qui est celui du contrôle de légalité. C’est un contrôle a posteriori. La collectivité prend une décision, une délibération ou un arrêté municipal, cet acte a des effets dès qu’il est transmis en préfecture, et ce n’est que si les services de la préfecture considèrent qu’il n’est pas légal qu’elles vont déclencher une procédure de contrôle de légalité et demander à la collectivité de retirer son acte ou éventuellement saisir le juge administratif.
Il y a une tendance générale, depuis 2010, à un retour de l’Etat dans certaines procédures. Par exemple le rôle du préfet dans la définition des périmètres des intercommunalités ou en matière de fiscalité, la substitution de dotations en lieu et place de ressources propres des collectivités. Donc ces contrats participent aussi de ce mouvement et peuvent en effet apparaître comme une nouvelle forme de contrôle a priori, même si ce n’est pas le même qu’avant 1982.
Pourquoi ce retour de l’Etat ? Une résurgence jacobine ?
Oui, l’Etat a du mal à faire confiance aux collectivités, et cela date de la Révolution française… Ensuite, certaines collectivités ont aussi peut être abusé s'agissant de leurs dépenses, nécessitant une intervention de l’Etat. Enfin, il y a en France une sorte de demande sociale qui veut que l’Etat soit toujours présent.
C’est aussi un moyen pour l’Etat de montrer qu’il existe encore. Car il a tellement délégué de compétences aux collectivités, que pour continuer à exister, et à être légitime, il doit renforcer ce qu’il lui reste, c’est-à-dire son rôle de contrôle.
Plus largement, en termes de décentralisation, l’Etat hésite. Sous la mandature précédente, un même Parlement a pris des décisions contraires sur la clause générale de compétences en seulement quelques mois d’intervalle ! En fait, l’Etat n’a pas une vision très claire de la place qu’il veut réellement accorder aux collectivités.
« Punir » avec un malus les collectivités qui ne tiendraient pas leurs engagements de maîtrise des dépenses serait-il légal ?
C’est audacieux politiquement, mais oui, c’est légal. C’est justement tout l’intérêt de retirer des ressources fiscales propres aux collectivités locales et de leur donner à la place des dotations, cela permet à l’Etat d’avoir les cartes en main.
Quel regard portez-vous sur ces pactes financiers Etat-collectivités ?
Ils ne sont pas une surprise car on observe en France et aussi en Europe, une tendance à la contractualisation dans la gestion des affaires publiques. Mais c’est nouveau dans le champ des collectivités, car jusqu’ici en France, on avait une vision égalitaire de la décentralisation. Lorsque l’on accordait un avantage, une compétence ou une ressource à un type de collectivité, on l’accordait à toutes les collectivités de ce type-là, de manière uniforme. Ici il y a donc la notion de « cas par cas ».
On constate en revanche, depuis quelques années, un mouvement de différenciation sur le plan institutionnel. Aujourd’hui, toutes les collectivités ne sont pas toutes organisées de la même façon, la métropole de Lyon, ce n’est pas celle de Grenoble, etc.
Donc, ces pactes apparaissent comme une suite logique de ces mouvements en cours, mais il faut aussi en mesurer les limites voire les dangers. Et en l’espèce, on risque d’aboutir avec cette notion de « cas par cas » à une rupture d’égalité. Un sujet qui peut être une source d’inquiétude pour les Français. Mais, il est vrai aussi que la relation entre la décentralisation et le principe d‘égalité est très compliquée puisque la décentralisation c’est accorder des libertés localement, et c’est donc accepter par définition des atteintes au principe d’égalité.