"N'oublions pas que les petites villes assurent le back-office des métropoles"

Aurélien Hélias

Christophe Bouillon, député PS de Seine-Maritime, nouveau président de l'APVF

Les Petites villes font leur rentrée à Uzès (Gard) les 19 et 20 septembre. Président de l’association, le député (PS) Christophe Bouillon compte bien rappeler à l’Etat les exigences des maires sur la décentralisation, le statut de l’élu et la taxe d’habitation. Et évoque des assises où les maires des petites villes auront à cœur de débattre avec des chercheurs pour mieux prendre le pouls de ces territoires largement marqués à l’hiver dernier par le mouvement des gilets jaunes.

Quel est l’état d’esprit de votre association à six mois de la fin du mandat municipal ?

On a souhaité placer notre congrès sous le signe de l’anticipation à quelques mois des élections municipales, les maires étant tournés vers l’avenir pour aborder quatre transitions bien identifiées : numérique, démographique écologique, démocratique. Mais si beaucoup des défis liés à ces transitions peuvent être relevé grâce à la capacité d’innovation territoriale de nos communes, nous ne voulons surtout pas avoir un exercice où élus parlent aux seuls élus. Ils ont des choses à dire, ont conscience des mutations, mais il nous faut nous confronter à ceux qui apportent des grilles d’analyse, d’où notre invitation lancée à plusieurs chercheurs ou observateurs des territoires.

Comment le vaste mouvement de contestation des gilets jaunes doit-il être pris en compte dans les territoires ?

Le mouvement des gilets jaunes a constitué une forme de catharsis et a permis de rappeler qu’il n’y avait pas que de grandes métropoles. 26 millions de Français habitent les petites villes. Elles sont un peu le back-office de notre société, contribuant à faire fonctionner la machine des métropoles, ne l'oublions pas. La première réponse du gouvernement au mouvement a été plutôt sociale. Il faut maintenant une réponse territoriale : le texte Engagement et proximité, qui va plutôt dans le bon sens, doit plus loin dans discussion parlementaire car s’il y a bien des irritants dans la loi Notre, passer de la pommade ne suffira pas.

Nous avons aussi beaucoup d’attentes sur l’acte III de la décentralisation. Déjà, nous regrettons de voir ce texte annoncé pour courant 2020 seulement, soit après les municipales. Il est toujours dommage de ne pas connaitre les règles du jeu avant de rentrer dans la partie et les précédents des lois Maptam et Notre atterrissant en plein mandat municipal sont là pour nous le rappeler : elles ont affaibli nos collectivités et grevé un long moment leurs capacités d’action, notamment sur l’investissement. Reste que nous attendons beaucoup de ce texte en matière de clarification des compétences, des nécessaires libertés et moyens à donner aux collectivités à rebours des tentations de recentralisation.

Vous vous penchez également lors de vos assises sur le sort de la jeunesse dans les petites villes, ces « Invisibles de la République » comme les appelle Salomé Berlioux, qui intervient dans vos débats…

Effectivement, ces invisibles le sont au regard des questions de formation, de mobilité, de relégation d’accès à la culture, autant de défis que relève Salomé Berlioux. Tout ça se conjugue. La question des mobilités est encore plus forte pour les jeunes, et aider à obtenir permis de conduire n’est pas suffisant. Cela renvoie à une métropolisation non maîtrisée et au sentiment que ces territoires très urbains bénéficient des meilleures formations, des meilleurs services publics, profitent à leur avantage de la mise en concurrence des universités, tout cela au détriment des autres territoires, provoquant un sentiment de relégation.

En va-t-il de même pour les questions de santé publique à l’heure où un plan d’urgence est présenté par la ministre ?

Oui. Depuis des années, les dispositifs et les ministres se succèdent : Bertrand, Bachelot, Touraine, aujourd’hui Buzyn… Mais rien ne change, comme le montrent les travaux d’Emmanuel Vigneron, du fait d’un mot qui reste tabou : la régulation. L’ensemble des associations d’élus évoquent pourtant désormais clairement l’idée de réguler l’installation des médecins libéraux comme cela se fait déjà pour d’autres professionnels de santé et cette idée ne constitue plus un clivage droite gauche. Le sujet reste très présent et occupera les futures plateformes de projets pour les candidats aux élections locales.

Comment les maires vont selon vous prendre en compte l’aspiration exprimée à davantage de participation dans les politiques publiques ?

C’est dans les villes qui il y a le plus de participation, avec depuis les années 2000, des budgets, des conseils de quartiers, tous ces dispositifs permettant une participation plus grandes des citoyens. L’Etat peut s’en inspirer. Les communes font, et n’attendent pas de dispositifs clés en mains. Mais il reste des freins : elles ne peuvent faire souvent que du consultatif sur les référendums, y compris quand il s’agit de projets d’infrastructures sur leurs territoires ou qui les traversent. Il faut améliorer les choses de ce niveau-là.

Vous invitez à votre congrès Jérôme Fourquet, qui évoque la fragmentation de la société. Comment les maires peuvent-ils faire face aux demandes catégorielles multiples parfois contradictoires ?

Tous les jours, le maire arbitre et dégage de l’intérêt général. Par sa proximité, il reçoit des demandes permanganates, du sens de circulation des rues aux inscriptions à l’école en passant par les autorisations d’urbanisme. Il réussit cet exercice qui est pourtant de plus en plus compliqué car l’intérêt général ne plait pas à tout le monde. D’autant que les gens sont de moins en de moins en moins réceptifs à cette autorité et s’estiment de plus en plus victimes d’injustices, que le voisin a été privilégié, que c’est mieux ailleurs. C’est aussi en cela que la suppression de la taxe d’habitation, au-delà de la question essentielle du financement des collectivités, continue de nous inquiéter car faute de savoir ce qu'il finance, l'impôt est rejeté. On essayait depuis plusieurs années de spécialiser au mieux la fiscalité locale : plus on s’éloigne de cette idée et moins on sert le consentement à l’impôt et, ce faisant, la démocratie.

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