Mutualisation et commande publique

Bernard Poujade
Mutualisation et commande publique

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© Phovoir

Une convention d’entente entre collectivités territoriales échappe aux règles de la commande publique.

Par cette décision remarquée du 3 février 2012, « Commune de Veyrier-du-Lac » (n° 353737), le Conseil d’Etat fait échapper certaines conventions pour exploiter un service public aux règles de la commande publique.

Le litige

La commune de Veyrier-du-Lac a signé le 21 mai 2011 avec la communauté d’agglomération (CA) d’Annecy, dont elle n’est pas membre, une convention ayant pour objet d’instaurer une entente entre elles dans les conditions définies par les articles L.5221-1 et L.5221-2 du CGCT, visant à confier à la CA, dont la population excède 140 000 habitants, l’exploitation du service public de distribution d’eau potable sur le territoire de la commune, qui compte environ 2 200 habitants. Par ordonnance du 12 octobre 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, saisi d’une demande de la société Lyonnaise des eaux France sur le fondement de l’article L.551-13 du Code de justice administrative (CJA), a annulé cette convention au motif qu’elle était constitutive d’une délégation de service public, conclue en méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence inhérentes à la passation de telles conventions.

Le fondement de la saisine du juge

En vertu de l’article L.551-13 du CJA, relatif au référé contractuel, le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, ne peut être saisi, après qu’il a été signé, que de l’un des contrats mentionnés aux articles L.551-1 et L.551-5 du même code. Et ce, pour manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique (prix ou droit d’exploitation), ou la délégation d’un service public.

Le fondement invoqué pour la convention

Aux termes de l’article L.5221-1 du CGCT, deux ou plusieurs conseils municipaux, organes délibérants d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou de syndicats mixtes peuvent provoquer entre eux, par l’entremise de leurs maires ou présidents, une entente sur les objets d’utilité communale ou intercommunale compris dans leurs attributions et qui intéressent à la fois leurs communes, leurs EPCI ou leurs syndicats mixtes respectifs. Ils peuvent passer entre eux des conventions à l’effet d’entreprendre ou de conserver à frais communs des ouvrages ou des institutions d’utilité commune.

La solution de droit

Une commune peut accomplir les missions de service public qui lui incombent par ses propres moyens ou en coopération avec d’autres personnes publiques, selon les modalités prévues par le législateur ; elle peut ainsi conclure, hors règles de la commande publique, sur le fondement de l’article L.5221-1 du CGCT, une convention constitutive d’une entente pour exercer en coopération avec des communes, EPCI ou syndicats mixtes, de mêmes missions, notamment par la mutualisation de moyens dédiés à l’exploitation d’un service public. A la condition que cette entente ne permette pas une intervention à des fins lucratives de l’une de ces personnes publiques, agissant tel un opérateur sur un marché concurrentiel.

L’application au cas d’espèce

La convention litigieuse a pour objet de faire prendre en charge par la communauté d’agglomération le service public de distribution d’eau de la commune qui va bénéficier des installations plus performantes de la communauté d’agglomération. Le tarif de l’eau fixé par la convention pour les usagers de la commune n’aboutit pas à provoquer de transferts financiers indirects entre collectivités autres que ceux résultant strictement de la compensation de charges d’investissement et d’exploitation du service mutualisé. La communauté d’agglomération ne peut être regardée comme agissant tel un opérateur sur un marché concurrentiel ; la convention conclue dans le cadre de relations qui ne sont pas celles du marché, n’était pas soumise aux règles de la commande publique et était hors du champ du référé contractuel.

Commentaire

La décision a un intérêt majeur car elle permet aux collectivités territoriales de pratiquer la mutualisation de moyens en échappant aux règles de la commande publique.

Normalement, lorsqu’une collectivité décide de confier la gestion d’un service public à un tiers, elle doit conclure à cette fin soit une délégation de service public, soit un marché, si la rémunération du cocontractant n’est pas substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service (CE 6 avril 2007, Cne d’Aix-en-Provence Rec. p. 155), sauf s’il s’agit de contrats « in house », en application de la jurisprudence Teckal de la CJCE (et CJCE 11 mai 2006, Carbotermo ; CJCE 19 avril 2007, ASEMFO).

Cette évolution a été consacrée par une autre décision de la Cour (Coditel Brabant, 13/11/2008), qui a permis de valider les mécanismes de coopération intercommunale se traduisant par la création d’une structure commune. Enfin, par un arrêt Commission c/ Allemagne (CJUE, 6/06/2009) rendu récemment à propos d’un contrat destiné à assurer la mutualisation de déchets de plusieurs communes.

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