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© R. Ying et T. Morlier-Wikimédia
Délais de convocation en urgence des conseils municipaux dérogatoires, ruptures de la gestion de crise, résultats biaisés du premier tour, démocratie représentative affaiblie… Certains parlementaires et des élus locaux ne cachent pas leurs inquiétudes vis-à-vis du « projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 », en discussion vendredi 20 mars à l’Assemblée nationale, puis au Sénat.
En temps de « guerre », l’unité nationale est de rigueur. Mais les nécessaires mesures de confinement visant à limiter la propagation du coronavirus Covid-19 sont-elles vraiment comparables à un effort de guerre ? Visiblement non pour plusieurs voix dissonantes. Depuis quelques jours et plus encore depuis mercredi, plusieurs représentants politiques nationaux comme locaux et universitaires pointent quelques contradictions du gouvernement et dénoncent une forme d’électoralisme à la petite semaine des principaux chefs de partis politique. Quitte à briser le consensus politique sur la gestion de la crise sanitaire.
La précipitation du gouvernement et de l’Association des maires de France (AMF) à vouloir organiser d’ici dimanche les conseils d’installation des 30 125 nouveaux exécutifs municipaux est ainsi questionnée. Dans les commentaires d’un article du Courrier des Maires ou sur les réseaux sociaux, les élus sont de plus en plus nombreux à s’inquiéter des risques encourus par les participants à ces rassemblements en pleine pandémie. « En état d’urgence sanitaire absolue, comment peut-on demander aux maires d’organiser les installations des différents conseils municipaux d’ici dimanche ? » s’offusque, par exemple, le maire Les Républicains, Arnaud Robinet, élu dimanche 15 mars malgré près de 70% d’abstention. « Confiner plus de 50 personnes ne pose-t-il pas de problème ? » questionne-t-il sur Twitter, voyant dans ces mesures dérogatoires au confinement général de la population une « véritable aberration. »
Il serait souhaitable de suspendre l'installation des exécutifs municipaux, le temps du confinement. A moins d'expérimenter des votes à distance mais je crains que cette possibilité ne soit valable dans toutes les communes. Par ailleurs, le problème est le même pour les interco ! https://t.co/nXDG4ecCdu
— Martial Foucault (@MartialFoucault) March 18, 2020
Près de Nantes, six élus d’opposition de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu appellent leurs homologues à boycotter cette première réunion d’installation. « Comment pouvons‐nous comprendre qu’on demande à la population d’appliquer un confinement alors qu’une trentaine d’élus vont se retrouver dans une même pièce ? » se demandent-ils dans une lettre ouverte publiée par Mediacités. En outre, ce deux poids deux mesures ne tient compte ni de la sociologie du personnel politique local – relativement âgé et donc particulièrement exposé au Covid-19 – ni des capacités logistiques réduites de certaines mairies. « Les petites communes n’ont parfois pas la place au sein de leur mairie, de veiller aux distances de sécurité de leurs élus. Que faut-il recommander ? » se questionne la sénatrice (LR) de Saône-et-Loire et médecin, Marie Mercier, dans un post Facebook repéré par La Lettre du Cadre.
Continuité dans la gestion de crise
Une seule solution existe selon Patrick Molinoz, maire de Venarey-Les-Laumes… et vice-président de l’AMF : reporter l’installation des conseils municipaux renouvelés dès le premier tour – records d’abstention aidant – et autoriser le « maintien des assemblées sortantes jusqu’au second tour des élections municipales » afin de permettre aux communes de se concentrer sur « l’accompagnement de nos concitoyens dans l’application et le respect des mesures sanitaires indispensables pour combattre l’épidémie » rapporte la Gazette des communes.
« Nous ne pouvons pas nous passer des maires pour gérer cette crise » affirme pour sa part le ministre Sébastien Lecornu sur le quotidien en ligne de l’AMF. « C’est une crise qui peut être longue, et nous avons besoin d’avoir des services publics locaux qui fonctionnent comme il se doit. Et il serait compliqué de demander à des maires qui ne se représentent pas ou qui ont été battus au premier tour d’assumer des responsabilités alors que d’autres ont candidaté et ont été élus pour le faire » se justifie le ministre en charge des relations avec les collectivités territoriales bien décidé à rassurer les édiles tout en faisant passer ses consignes.
Nous ne pouvons pas nous passer des maires pour lutter contre le #Covid19.
Avec @jgourault nous accompagnons les élus dans l'organisation de leurs premiers conseils municipaux afin qu'ils respectent toutes les mesures de prévention sanitaire.
➡️ https://t.co/bl9dTTnaYY— Sébastien Lecornu (@SebLecornu) March 18, 2020
Le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 prévoit aussi la mise en place de « conseils communautaires provisoires » dans l’attente du futur prochain second tour des municipales. Là aussi, le risque sanitaire « alors que le pic de l’épidémie est attendu à cette période » préoccupe Olivier Landel, DG de France Urbaine. Mais son courroux vient surtout de la période de crise qui devrait impliquer, explique-t-il, une stabilité des exécutifs communautaires. « Nos communes et intercommunalités sont pleinement mobilisées dans cette guerre que nous menons tous ensemble pour limiter les effets de la pandémie actuelle. Nos forces doivent donc être concentrées sur cet objectif commun (…) Cette mesure, totalement en décalage avec les nécessités du moment, provoquera plus de confusion au sein des intercommunalités qui gèrent la crise actuelle, avec l’ensemble des services publics sensibles dont elles ont la responsabilité : Eau et assainissement, Déchets ménagers, transports public… » se plaint Olivier Landel en commentaire de cet article.
La validité du premier tour en question
« Ce serait ingérable » confirme le député (LREM) Christophe Jerretie, qui ne parvient pas à cacher sa désapprobation. « Tous les pays européens décalent aujourd’hui leurs élections. On ne perd pas de temps à organiser des élections dans les périodes de crise politique, sanitaire, humaine ou quelle qu’elles soient. Pourquoi mobilise-t-on aujourd’hui des gens dans les ministères ou les services déconcentrés sur la séance d’installation des conseils municipaux ou communautaires, ou l’organisation d’un scrutin qui peut très bien attendre six mois de plus ? Les hauts-fonctionnaires ont autre chose à faire en pleine crise sanitaire. »
Pour le député Jerretie, le premier tour n’aurait pas dû avoir lieu. « Dès que nos concitoyens ont eu vent de la prise de parole du président de la République et compris l’aggravation de la situation sanitaire, jeudi 12 mars, des citoyens ont commencé à nous affirmer qu’ils ne prendraient pas part aux élections municipales. Puis les auxiliaires de vies comme le personnel hospitalier nous ont alerté de la démobilisation électorale des personnes âgées, à qui nous ne pouvions délibérément pas faire courir le risque de se rendre dans les bureaux de vote. »
Sans céder à la panique et malgré le piège tendu par les opposants politiques au président , @Elysee et @Matignon, nous aurions du annuler les #Municipales2020 pour enjeu sanitaire et humain. @MargauxDuguet @diradefo @nicolasberrod @boucherbrigit @MBeAllaire @guillaume_gui
— Christophe Jerretie (@cjerretie) March 14, 2020
L’arrêt du processus électoral apparaît comme un moindre mal pour celui qui prend son rôle de législateur à cœur, et combat à l’instar de constitutionnalistes tels Jean-Philippe Derosier ou Dominique Rousseau la « solution » de dissocier d’au moins plusieurs mois les deux tours de l’élection municipale. Affirmant « ne pas remettre en cause la gestion de la crise sanitaire et économique par le gouvernement », il a donc fait le choix de ne pas taire ses désaccords sur le volet électoral. « Dans une période où une partie de nos concitoyens critiquent déjà fortement notre belle démocratie représentative, pourquoi faire le mauvais choix de l’affaiblir ? Nous devrions plutôt nous atteler à la consolider, ce qui ne passe pas par le fait de décrédibiliser les futurs maires, ces élus censés être les plus proches de nos concitoyens. »
Anticiper un prochain mandat difficile
Au regard des chiffres de l’abstention biaisant les résultats du 1er tour, Christophe Jerretie redoute le pire pour le prochain mandat. « Dans le monde actuel, si on légitime pas de façon forte nos élus, ils seront très vite contestés. Lors de la crise des Gilets Jaunes, les gens sur les ronds-points nous rappelaient que nous n’étions élus que par environ 20% de la population. Qu’en sera-t-il avec ce ministre du Nord de la France, élu avec 60% des voix mais par seulement 10% de ses habitants vu les 75% d’abstention ? Que dira-t-on dans deux ans du maire de Tulle, dont l’élection à 64% au premier tour dissimule mal qu’il n’a récolté qu’environ 15% des voix des habitants ? » se demande l’élu de Naves et conseiller de Tulle Agglomération.
Pourtant, vu les modalités de discussion en « formation restreinte » du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, ces différents points risquent d’être tus à l’Assemblée nationale comme au Sénat.
Louis - 19/03/2020 14h:17
C'est aujourd'hui une habitude de voir que l'on va toujours d'un extrême à l'autre plutôt que d'aller au "plus juste", surtout compte tenu de la situation actuelle. Dans ma commune, la participation a été supérieure à 85%, supérieure aussi aux municipales de 2014. Le conseil aurait pu être complet, à une voix près... Est ce que pour autant il faudrait tout effacer quand on a demandé à la population de se déplacer à une élection légalement convoquée, et que les élus du premier tour ont une légitimité forte ? Je ne crois pas ! Je considère pour ma part que Monsieur Derosier s'en tient à une vision très "académique" de la législation, sans tenir compte des circonstances du moment. Il tait aussi, tout constitutionnaliste qu'il est, que le code électoral n'impose aucun quota de participation pour valider une élection.
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