Municipales 2014 : "Pour les candidats, l’impasse ou l’euphémisation du fait intercommunal n’est plus possible"

Xavier Brivet
Municipales 2014 :

Bernard Dolez

© B. D.

Abaissement du scrutin de liste dans les communes pour les municipales de 2014, fléchage des conseillers communautaires, élections départementales de 2015 et redécoupage des cantons…, Bernard Dolez, directeur du Master 2 "Administration du politique" à Paris-1 Panthéon-Sorbonne, analyse l’impact des nouvelles règles électorales sur les scrutins locaux, les collectivités et leurs groupements. Selon lui, la réforme du 17 mai 2013 entrainera principalement une politisation du scrutin municipal et du fonctionnement des EPCI. Entretien

Le Courrier des maires : Vous estimez que la réforme des scrutins locaux du 17 mai 2013 va transformer le jeu politique à l’occasion des municipales de mars prochain. Pour quelles raisons ?

Bernard Dolez. ((Bernard Dolez dirige à Paris 1 le M2 (formation continue) "Administration du politique", d'abord destiné aux collaborateurs parlementaires et aux membres des cabinets des exécutifs locaux.)) L’abaissement de 3 500 à 1 000 habitants du seuil d’application du scrutin de liste lors des municipales de mars 2014 va effectivement changer les règles du jeu, à moyen ou long terme.

Il va entraîner une politisation du scrutin dans environ 6 600 communes comprises dans cette tranche de 1 000-3 500 habitants, dont les partis politiques se désintéressaient jusqu’à présent en raison du scrutin plurinominal.

Le scrutin de liste pourrait désormais conduire leurs fédérations départementales à délivrer des investitures dans les communes de 1 000 habitants et plus. Les listes bloquées, sans panachages, entraineront une rigidité accrue du scrutin, en imposant aux candidats de se positionner, implicitement ou explicitement, sur l’échiquier politique.

J’attire aussi votre attention sur un point : 30 000 à 35 000 grands électeurs sénatoriaux (sur un corps électoral de 150 000 grands électeurs) sont précisément issus de ces communes de 1.000 à 3.500 habitants où le mode de scrutin municipal a été modifié. Le corps électoral du Sénat se politisera davantage et sera d’autant plus sensible aux mouvements d’opinion qui se manifestent à l’occasion des élections municipales.

Dans les communes de 1 000 habitants et plus, les listes bloquées, sans panachages, entraineront une rigidité accrue du scrutin, en imposant aux candidats de se positionner, implicitement ou explicitement, sur l’échiquier politique."

Quelles seront les conséquences de l’élection par fléchage des conseillers communautaires ?

B. Dolez. Les parlementaires ont voté une réforme qui entérine le principe d’une élection des élus communautaires au suffrage universel… en corsetant les modalités d’organisation du scrutin afin que rien ne change. C’est une solution censée favoriser le statu quo.

Cependant, la réforme favorisera l’émergence du thème de l’intercommunalité dans la campagne. Le principe « 1 bulletin, 2 listes" rappellera clairement aux électeurs qu’ils voteront pour une équipe municipale ET une équipe intercommunale.

Pour les candidats, l’impasse ou l’euphémisation du fait intercommunal ne sera plus possible. Ils devront donc forcément se positionner sur les grands enjeux communautaires, quitte à sur-jouer leurs divergences.

La « politisation » des scrutins intercommunaux est-elle à craindre ?

B. Dolez. C’est surtout la politisation des intercommunalités qui est en marche. On ne pourra pas défendre des visions opposées des politiques communautaires pendant la campagne électorale et administrer ensemble l’EPCI au lendemain du scrutin, comme si de rien n’était.

Le temps où tous les maires des communes membres, quel que soit leur couleur politique, se partageaient la présidence et les vice-présidences est probablement révolu. L’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct devrait entrainer progressivement la fin des exécutifs bipartisans.

Pensez-vous dès lors inéluctable d’élire en 2020 les élus intercommunaux au suffrage universel ?

B. Dolez. Pas forcément.

Aujourd’hui, tout est réuni (achèvement de la carte intercommunale, renforcement des compétences des groupements, fléchage, etc.) pour qu’un« big bang » institutionnel se produise, à savoir que les EPCI deviennent le 4e échelon territorial."

Le jour est proche où la qualité de collectivité territoriale leur sera reconnue. La métropole lyonnaise aura bientôt ce statut et on peut y voir le signal d’une réforme plus vaste. Si une réforme de ce type s’engageait, la question du dépérissement de l’échelon communal serait alors posée. Juridiquement, la solution existe déjà avec la « commune nouvelle », prévue par la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, qui permet en quelque sorte à un EPCI d’absorber ses communes membres.

Le modèle PLM est alors transposé, les communes devenant l’équivalent de ce que sont les mairies d’arrondissement à Paris, Lyon et Marseille. Aujourd’hui, ce processus ne peut-être que volontaire. Mais, avec l’achèvement de la carte intercommunale et l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, il n’est pas inenvisageable qu’à terme ce modèle soit imposé aux communes. Ce serait alors la mort – sans le dire – de nos 36.000 communes.

La réduction du nombre des cantons dans la perspective des élections départementales de 2015 va selon vous « déterritorialiser » les élus. Pourquoi ?

B. Dolez. Le nombre de cantons sera divisé par deux (on passera de 4000 à 2000) et leur taille sera désormais identique au sein d’un même département, alors qu’aujourd’hui les écarts démographiques entre cantons vont de 1 à 10 dans plus de la moitié des départements. 2.000 cantons pour 65 millions d’habitants : il suffit de faire le compte.

Les nouveaux cantons auront en moyenne plus de 30.000 habitants, après le redécoupage qui entrera en vigueur en 2015. Le lien du futur conseiller départemental avec son canton et ses électeurs va donc considérablement se distendre. Les racines électorales des conseillers sortants seront coupées."

Beaucoup d’entre eux ne retrouveront que 15 à 20 % de leurs anciens électeurs dans des cantons XXL. La prime au sortant, traditionnellement forte lors des élections cantonales, n’en sera que plus faible.

L’étalement du calendrier des scrutins locaux en 2014 et 2015 est-il dangereux pour le gouvernement ?

B. Dolez. En émiettant le calendrier (municipales en 2014, départementales et régionales en 2015, sans oublier les européennes et les sénatoriales), le gouvernement et sa majorité seront confrontés à une succession d’échéances électorales délicates, qui pourraient se transformer en autant d’occasion de « vote sanction ».

Ce séquençage risque fort également de renforcer l’abstention, déjà importante à l’occasion des scrutins régionaux de 2010 (52,7 %) et départementaux de 2011 (55,6 %), alors qu’un couplage avec les municipales, où la participation est traditionnellement plus forte, aurait pu favoriser la mobilisation du corps électoral. Or, l’abstention profite rarement aux candidats de la majorité. L’étalement dans le temps des scrutins locaux risque donc de se traduire par un véritable chemin de croix pour le gouvernement et sa majorité.

BIBLIOGRAPHIE  de Bernard Dolez

• "Le vote des villes. Les élections municipales de mars 2001", codirection avec Annie Laurent, Presses de Sciences Po, coll. Chroniques électorales, 2002, 352 p.

• "Métropoles en construction. Territoires, politiques et processus", codirection avec Didier Paris, L'Harmattan, coll. Logiques politiques, 2004, 294 p.

• "L'urne de Pandore. L'élection au suffrage universel direct des conseils communautaires avec le système PLM", dans "La France intercommunale", P.-Y. Monjal (dir.), L'Harmattan, 2013.

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