Montreuil (93), panorama
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Troisième grande ville à avoir mis en place un budget participatif, Montreuil (Seine-Saint-Denis) vient d'annoncer, à l'issue d'une procédure de plus de 6 mois, les 35 lauréats de sa première édition. Retour sur une démarche rondement menée, mais aussi critiquée.
Pour penser son budget participatif, la nouvelle municipalité de gauche plurielle (FdG, EELV et PS) ne se cache pas d'avoir regardé du côté de sa voisine, Paris, lancée dans la démarche dès 2014.
Cependant, elle a choisi de mobiliser ses habitants sur la production de projets tandis que les Parisiens, la première année, se sont prononcés sur des projets municipaux. Montreuil a réservé 5 % de son budget annuel d'investissement à l'opération, soit au total 3 millions d'euros répartis sur six secteurs géographiques (de deux à trois quartiers chacun) et sur deux ans, fréquence entre deux éditions.
« Il semblait important que les habitants voient le résultat de leur travail avant d'être de nouveau sollicités. C'est une question de confiance », s'explique Tania Assouline, maire adjointe (PS) à la démocratie locale.
Une limite de 250 000 euros par projet… 287 projets déposés
Pour être retenus, les projets devaient :
- proposer une transformation de l'espace public ou d'un équipement de proximité,
- bénéficier gratuitement à tous les habitants,
- s’inscrire dans les compétences municipales,
- être réalisables dans les deux ans.
Ils devaient en outre relever du budget d'investissement de la ville et n'engager qu'un minimum de frais de fonctionnement. Enfin, une limite de 250 000 euros par projet était imposée pour que plusieurs projets puissent être adoptés dans chaque secteur.
Dans la phase d'appel à projets, au cours du mois de juin, explique Tania Assouline, « nous avons mis en place six ateliers d'accompagnement des projets, un dans chaque secteur. Mais l'expérience nous a montré qu'il aurait fallu renforcer ce soutien aux porteurs de projets ».
Malgré cela, le 30 juin, 287 projets avaient été déposés par des groupes d'habitants, comme des conseils de quartiers, des associations ou des centres de loisirs. Les services municipaux ont eu ensuite trois mois pour en analyser l'éligibilité. « Nous ne nous attendions pas à recevoir tant de projets, reconnaît l'élue. Nos services ont été un peu débordés. Il a pu y avoir quelques ratés... ».
13 et 14 novembre : le vote des habitants
129 projets ont passé le filtre de l'analyse technique, un nombre jugé élevé par la ville, notamment en comparaison avec Paris. Alors que chaque arrondissement parisien compte en moyenne plus d'habitants que Montreuil (104 000 habitants environ), une moyenne de 32 à 33 projets par arrondissement ont été soumis aux Parisiens en 2015, pour la seconde édition du budget participatif.
A Montreuil, les habitants à partir de 11 ans étaient appelés aux urnes électroniques du 13 au 14 novembre, pour sélectionner trois projets, classés par ordre de préférence, selon un système de pondération.
Résultat : 35 projets ont été désignés, pour un montant total estimé à 2 360 580 euros, soit bien moins que les 3 millions d'euros prévus initialement.
Explication ? Secteur par secteur, les projets ont été retenus par ordre d'arrivée dans les votes, jusqu'à se rapprocher le plus possible de la limite infranchissable des 500 000 euros. « L'argent non utilisé est placé dans une réserve pour pallier les aléas, rassure l'élue. Et s'il n'est pas dépensé, il sera reversé au prochain budget participatif ».
Participation relativement faible
Précisément, 1 387 Montreuillois se sont exprimées, via un module de vote sur internet ou l'une des six bornes électroniques mises à leur disposition dans la ville.
En détail, l'opération a reproduit la fracture Bas-Montreuil/Haut-Montreuil, au cœur de toutes les promesses électorales dans la ville depuis des décennies.
Les deux grands secteurs du Bas-Montreuil, proches de Paris et Vincennes et caractérisés par une présence de plus en plus importante de catégories sociologiques favorisées, représentent à eux seuls plus de 50% des votants. Et plus on s'enfonce à l'est, dans la banlieue, moins les habitants se sont sentis concernés par l'initiative de la mairie.
Plus largement, dans une commune réputée pour son important tissu associatif et d'habitants engagés, 1 387 participants sur une population totale d'environ 104 000 habitants paraît un résultat bien faible.
La représentante de la mairie relativise : « C'est, proportionnellement, autant qu'à Paris la première année et plus qu'à Grenoble, avec des moyens inférieurs ». En réalité, en 2014, pour sa première édition, la capitale avait enregistré un score de 1,82% de participation (vote sans condition d'âge), contre 1,33% pour Montreuil, tandis qu'à Grenoble (vote à partir de 16 ans), 0,62% de la population s'était mobilisée.
Elus et services co-construisent avec les habitants
Dernière phase du budget participatif, la mise en œuvre des projets, étalée sur deux ans, fera l'objet d'un double suivi, global à l'échelle de la commune avec des conseils de quartier et des aînés, et plus opérationnel dans les quartiers, avec tous les acteurs concernés.
« C'est une méthode nouvelle, insiste l'adjointe à la démocratie participative. Les services et les élus devront adopter une approche de co-construction avec les habitants ».
Cette approche, certains dans la ville auraient apprécié de la voir intervenir plus en amont du processus, à l'image de Jean-Marc Gerbeau, animateur-fondateur du conseil de quartier des Ruffin (Haut-Montreuil) et militant apolitique proche d'une petite frange de l'opposition (de gauche) à la majorité.
« Demander aux habitants ce qu'ils veulent faire en termes d'investissement de structure sur la ville, c'est une démarche intéressante mais qui se murit longuement pour ne pas tomber dans le saupoudrage de mesurettes », estime-t-il.
Dans le quartier République (Bas-Montreuil), par exemple, si l'on apprécie en soi l'idée d'une piétonisation partielle de la place centrale, certains habitants rappellent que ce projet, qui a été voté, vient s'imposer à la réflexion beaucoup plus approfondie sur le réaménagement global du quartier, actuellement en cours.
Elaboration trop hâtive pour être honnête ?
Autre critique, Jean-Marc Gerbeau regrette que les projets d'habitants d'un même quartier n'aient pas été étudiés au préalable dans l'optique de les agréger.
« Plutôt que de mettre en concurrence des projets sur un même quartier, on aurait pu remettre du collectif dans la démarche et aboutir à des projets plus construits, plus larges », regrette le militant. Dans son propre quartier, il anticipe par ailleurs, le fait que deux projets d'aménagement adoptés, chiffrés séparément, ne seront pas mis en œuvre en même temps, excluant toute possibilité de mutualisation des moyens et d'économies pour la commune.
De son point de vue, la démarche du budget participatif a été élaborée de manière beaucoup trop hâtive pour ne pas cacher d'abord une belle opération de communication. « Ici, c'est le “Parti communique” ! », ironise cette forte tête, avec un jeu de mots sur le parti communiste du maire, Patrice Bessac.
Les critiques sont réfutées à l'hôtel de ville où l'on dénonce une posture d'opposition systématique, dans un contexte politique clivé et tendu au sein des gauches depuis depuis des années. Tania Assouline, pour sa part, reconnaît que le dispositif du budget participatif n'est pas parfait mais elle insiste sur le caractère expérimental de la démarche, amenée à évoluer au fil du temps.