Marchés publics - Procédure adaptée : le seuil des 4 000 euros rétabli

Bernard Poujade

Sujets relatifs :

Par cette décision du 10 février 2010, le Conseil d’Etat annule le décret du 19 décembre 2008 modifiant les seuils pour l’utilisation des procédures de concurrence non formalisée.

Les circonstances du litige

M. Perez, avocat de son métier, a, par lettre du 18 février 2009 reçue le 20 février 2009, demandé au Premier ministre l’abrogation du décret du 19 décembre 2008 modifiant l’article 28 du Code des marchés publics et procédant au relèvement du seuil de 4 000 à 20 000 euros. Le Premier ministre ayant omis de notifier à M. Perez un accusé de réception indiquant les voies et délais de recours contre une éventuelle décision explicite ou implicite de rejet, le délai de recours n’a pas commencé à courir et le recours formé le 22 juin 2009 devant le Conseil d’Etat par M. Perez n’était pas tardif.

Les dispositions en litige

Le 4e alinéa de l’article 28 du Code des marchés publics dans sa rédaction antérieure à celle du décret attaqué était ainsi libellé : « (…) Le pouvoir adjudicateur peut décider que le marché sera passé sans publicité ni concurrence préalable si les circonstances le justifient, ou si son montant estimé est inférieur à 4 000 euros HT(…) ». L’article 1er du décret du 19 décembre 2008 l’a modifié ainsi : « les mots « 4 000 euros HT » sont remplacés par les mots « 20 000 euros HT ».

L’intérêt à agir du requérant

M. Perez justifie, en sa qualité d’avocat ayant vocation à passer des marchés de prestation de service avec des collectivités territoriales ou de conseil de ces mêmes collectivités, d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation de la disposition attaquée en tant qu’elle modifie l’article 28 du Code des marchés publics dès lors que l’article 30 du même code relatif notamment aux marchés de prestations juridiques prévoit que les marchés relevant de cet article peuvent être passés selon une procédure adaptée dans les conditions prévues par l’article 28.

Les textes applicables et la solution

Les marchés passés en application du Code des marchés publics sont soumis aux principes qui découlent de l’exigence d’égal accès à la commande publique et qui sont rappelés par le II de l’article 1er du Code des marchés publics dans sa rédaction issue du décret du 1er août 2006 selon lequel : « Les marchés publics et les accords-cadres (…) respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures (…) » ; ces principes ne font pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire puisse permettre au pouvoir adjudicateur de décider que le marché sera passé sans publicité, voire sans mise en concurrence, dans les seuls cas où il apparaît que de telles formalités sont impossibles ou manifestement inutiles notamment en raison de l’objet du marché, de son montant ou du degré de concurrence dans le secteur considéré.

Par suite, en relevant de 4 000 à 20 000 euros, de manière générale, le montant en deçà duquel tous les marchés entrant dans le champ de l’article 28 du Code des marchés publics sont dispensés de toute publicité et mise en concurrence, le pouvoir réglementaire a méconnu les principes d’égalité d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.

La modulation des effets de l’annulation

L’annulation d’un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n’être jamais intervenu ; toutefois, l’annulation rétroactive de l’article 1er du décret du 19 décembre 2008 en tant qu’il prévoit le relèvement du seuil des marchés susceptibles d’être passés sur le fondement de l’article 28 du Code des marchés publics porterait, eu égard au nombre de contrats en cause et à leur nature, une atteinte manifestement excessive à la sécurité juridique. Dès lors, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de ne prononcer l’annulation des dispositions du décret attaqué qu’à compter du 1er mai 2010 sous réserve des actions engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement.

Commentaire

Cette décision, qui s’applique à compter du 1er mai 2010, équivaut à un retour en arrière. On peut se demander si, comme certains l’ont écrit, le seuil de 20 000 euros s’accordait mal avec les réalités locales, notamment communales (AJDA 15 février 2010 p. 239). Pour un montant aussi faible, le recours a des procédures formalisées s’imposait-il avec autant d’évidence compte tenu du coût des procédures par rapport à l’enjeu du marché, de l’inadaptation à certains types de prestations, des seuils d’un même montant retenus à l’étranger ? Pour sa part, la Haute assemblée a considéré qu’aucune justification sérieuse n’était apportée pour un relèvement dans tous les secteurs du montant en deçà duquel tous les marchés entrant dans le champ de l’article 28 du Code des marchés publics sont dispensés de toute publicité et mise en concurrence. Elle considère dans ces conditions que le pouvoir réglementaire a méconnu les principes d’égalité d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.

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