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Professeure de science politique à l'université de Lyon-2, Sandrine Lévêque relativise les progressions enregistrées les 15 mars et 28 juin en matière de féminisation du personnel politique. Ses travaux concernant la loi sur la parité en politique et son application au niveau local mettent au jour la sélection sexuée qui continue de s’opérer dans la vie politique, et les multiples embûches se posant sur le chemin des élues souhaitant embrasser une carrière politique.
Le Courrier des maires : Que vous inspire ce cru 2020 des élections municipales sur le plan de la féminisation du personnel politique local ?
Sandrine Lévêque : Il y a incontestablement des progrès, scrutin après scrutin. Des élues comme Anne Hidalgo, Johanna Rolland ou Nathalie Appéré doivent encore faire face à une forme de sexisme ordinaire, mais elles n’en restent pas moins considérées comme pleinement légitimes en tant que maires. Bien ancrées et installées, elles ont été réélues assez facilement pour un second mandat.
Sur le plan quantitatif, les femmes maires sont un peu plus nombreuses que lors du précédent mandat, leur part passant de 16 à 20%. Elles gouverneront notamment cinq des dix plus grandes villes françaises dont Paris, Marseille, Nantes, Lille ou Strasbourg. Mais le projecteur mis sur les très grandes villes ne doit pas cacher la réalité dans le reste du pays : 80% des maires restent des hommes. Un phénomène dont on se rend bien compte lorsqu’on déambule dans les travées du Congrès des maires...
La vie politique locale est-elle devenue plus accessible, moins violente, pour les femmes ?
Oui et non. Parmi les candidats, il y avait 23% de femmes, et nous comptons donc aujourd’hui 20% de femmes maires. La conquête du pouvoir n’est donc pas l’étape la plus compliquée pour les femmes politiques. Pour elles, il est plus compliqué de parvenir à décrocher l’investiture dans les villes moyennes et grandes notamment, de se présenter aux élections que de les gagner. J’y vois un parallèle flagrant avec la phase de sélection lors des élections législatives, où les circonscriptions les plus difficiles à remporter sont réservées aux femmes par la plupart des partis politiques.
Le phénomène « Me too » a beau être passé par là, la vie politique, les meetings, les plateaux TV demeurent fortement exposées au sexisme. Le traitement journalistique diffère souvent entre les maires de sexe féminin et masculin. Les femmes candidates comme Anne Hidalgo ou Martine Aubry, qui seraient « hystérique » ou « caractérielle », sont souvent ramenées à leurs personnalités, à des caractéristiques de genre voire à leur style vestimentaire… Au-delà de la responsabilité des partis politiques, ce climat complique encore certainement l’accès des femmes au champ politique.
Fallait-il s’attendre à ce qu’aussi peu de femmes parviennent réellement à bousculer la hiérarchie politique ?
Lorsque vous vous intéressez à l’historique des lois sur la parité, vous ne pouviez guère vous attendre à autre chose. La réglementation n’a eu de cesse d’être améliorée, son champ étendu, avec de nouvelles contraintes introduites ces dernières années, le tout dans un relatif consensus, sans qu’aucun adversaire ne s’y oppose. Et pour cause : elles ne remettent pas vraiment en cause les lois d’airain de l’oligarchie…
En matière de parité comme de la faible représentation des classes populaires, des personnes issues de l’immigration ou des homosexuels, l’inertie du jeu politique demeure élections après élections de façon assez étonnante. La classe politique française reste une classe politique masculine, bourgeoise, blanche, un peu âgée, etc. Les partis politiques profitent souvent de la parité, d’ailleurs, pour faire d'une pierre deux coups : la double représentation se fait essentiellement par les femmes, LGBT ou issues de l’immigration qui cumulent alors les stigmates sexistes, racistes, sexuels ou sociaux.
Comment permettre un réel partage du pouvoir entre les femmes et les hommes ?
La limitation du cumul des mandats commence à apporter la preuve de son efficacité. Dès lors que la loi oblige à sortir les sortants, vous faites automatiquement plus de place aux femmes politiques. Étendre cette réglementation au cumul des mandats dans le temps assurerait un renouvellement encore plus rapide et régulier du jeu politique français. Au-delà de ce dispositif, un important travail reste toutefois à mener sur la socialisation politique de la jeunesse. Pourquoi à diplôme égal, les femmes se sentent-elles toujours moins compétentes politiquement que les hommes ? Il faut rendre l’engagement politique pensable aux filles et pas seulement aux garçons.
Faut-il renforcer les lois sur la parité ?
Il me semble qu’on peut toujours renforcer les lois sur la parité, faire en sorte que les exécutifs locaux soient obligatoirement constitués d’un homme et d’une femme par exemple ou flécher de façon plus équitable les délégations. Encore faut-il que cela fasse réellement progresser la parité sur le terrain… Je crains qu’il y ait toujours des mécanismes obscurs bloquant l’accès des femmes aux postes de pouvoir et préservant l’entre-soi masculin.
Les ressorts de cette sous-féminisation de la vie politique sont profonds, comme nous l’avons analysé dans un article de « Politika ». Prenons la distribution inégalitaires et pour le moins caricaturale des délégations municipales : les femmes héritent, en règle générale, des fonctions sur lesquelles on les pense les plus compétentes. S’occuper des personnes âgées, de la petite enfance ou des affaires scolaires est considéré comme « naturel » pour une femme politique, du fait de l’intériorisation des places et du rôle des femmes dans la société. Certaines d’entre elles voient d’ailleurs cela comme quelque chose de rassurant. Mais, pendant ce temps, le leadership des hommes sur les dossiers de fond, lourds, a été préservé, finalement.
Est-il plus compliqué de mener une carrière politique pour les femmes ?
Les lois sur la parité comme l’évolution des consciences ont promu des « profanes » en politique, mais ces femmes connaissant pour la plupart une carrière plus laborieuse que les élus de sexe masculin. Il est plus difficile, déjà, de se rendre incontournables sur ces dossiers de moindre importance. Mais cela va bien plus loin : elles n’ont pas toutes les ressources politiques pour s’imposer durablement. Les faiseurs de la parité sont d’abord allés chercher des « femmes de médecin » ou « femmes de footballeurs », ne menaçant pas de leur ravir leurs postes. Et lorsque elles ont le culot d’envisager de faire carrière, comme Safia Otokoré à Auxerre, elles s’exposent alors à de violentes attaques sur le fait qu’elles soient opportunistes ou couchent avec la terre entière…
Ce constat vaut aussi bien au niveau local que national. Dans les gouvernements nommés sous Emmanuel Macron, François Hollande et Nicolas Sarkozy, la plupart des femmes ministres avaient peu de capital politique propre. Brune Poirson ou Marlène Schiappa n’ont pas véritablement le même réseau et donc poids politique que Benjamin Griveaux ou Christophe Castaner. Cela valait également pour Fadela Amara en 2007, qui doit alors sa carrière politique à Nicolas Sarkozy et ne jouit pas d’une même liberté que Michèle Alliot-Marie rendue indéboulonnable du fait de ces réseaux malgré le fait qu’elle traînait plusieurs casseroles.