"Lutter contre les discriminations, pour lutter contre le repli sur soi"

Hugo Soutra

Julien Talpin

En déplacement à Mulhouse la semaine dernière, Emmanuel Macron a livré un premier discours sur la nécessaire lutte contre le « séparatisme islamiste. » Le président envisage d'y revenir dans les semaines et mois à venir, notamment sur les leviers locaux dont disposent les collectivités pour lutter contre ce phénomène. Alors que la bataille des municipales bat son plein, le politologue Julien Talpin, auteur de « Communautarisme ? » (PUF) prône un « changement de regard » des élus locaux sur le tissu associatif, mais aussi une montée en charge des politiques publiques de lutte contre les discriminations.

Courrier des maires : Le président de la République a utilisé le mot de « séparatisme islamiste » à la place de celui de « communautarisme » trop flou à ses yeux. Est-ce que cette modification sémantique vous semble intéressante ?

Julien Talpin : Oui  même s’il n’a pas donné énormément de précisions sur les raisons de ce choix. En effet, le problème avec la notion de « communautarisme », c'est que l’on ne sait pas véritablement à quelle communauté cela renvoie. D'une certaine façon, chacun peut être accusé d'avoir des relations d'entre soi, cela existe dans tous les groupes sociaux et cela n'est pas du tout l'apanage des minorités ethniques ou des musulmans.

La question est ensuite de savoir si le terme de « séparatisme islamiste » est pour autant plus pertinent. Je n’en suis pas complètement sûr, dans le sens où cela place la responsabilité du problème sur les musulmans eux-mêmes et cela conduit à minimiser les causes sociales et politiques des phénomènes en question, qu’Emmanuel Macron évoque très rapidement dans son discours.

Justement, que pensez des propositions faites par Emmanuel Macron à Mulhouse ?

J.T. : Il y a une sorte de contradiction qui traverse la conférence de presse du Président. D'un côté, il insiste beaucoup sur la question de l'influence extérieure et la plupart des mesures proposées sont justement relatives au rôle des imams étrangers, à l'enseignement de la langue arabe, le financement des mosquées, etc. Mais ce sont des choses qui sont relativement acceptées, y compris par une très grande majorité de musulmans. Au fond, tout le monde souhaite que les imams parlent français ou soient français !

De l’autre côté, il évoque aussi - à la toute fin de son discours - d'autres éléments cette fois-ci autour des manquements de la République. Ce sont ici des paroles très importantes sur la lutte contre les discriminations et sur le soutien aux associations d’éducation populaire et d ’insertion… mais malheureusement, sur ces points il n’a pas donné de pistes très précises.

Lire aussi l'interview de François Cornut-Gentille : « La France ne se donne pas les moyens d’accomplir le projet républicain »

Vous parlez de moyens financiers ? On sait en effet que les associations et les clubs de prévention ont beaucoup souffert ces dernières années… 

J.T. : Oui les associations d'éducation populaires et les clubs de prévention ont été extrêmement affaiblis par la baisse du nombre d'emplois aidés mais aussi par le fonctionnement même des politiques de financement des associations qui ciblent surtout les plus grosses associations, les plus professionnalisées, et ce alors que ce sont, au contraire, celles qui sont le plus proches du terrain qui peuvent le mieux incarner ce rôle d'intégration voulu par Emmanuel Macron. Mais au-delà des moyens, je pense qu’il y a un travail à faire, notamment par les élus locaux, pour changer de regard à l'égard de ce tissu associatif dans les quartiers populaires.

Derrière le terme d’islamiste, on met dans un même sac des acteurs aux visées et aux pratiques très différentes. D'un côté, on a ceux qui se revendiquent d'une forme de salafisme (assez minoritaires) et qui sont effectivement dans une posture de repli sur soi. D’un autre côté, on a par ailleurs des musulmans qui sont plutôt en concurrence, voire en conflit, avec les salafistes. Mais l’on a tendance à tous les assimiler derrière cette catégorie d'islamisme alors que les acteurs musulmans modérés sont probablement les meilleurs remparts face au repli sur soi.

Aussi, parmi les associations d'éducation populaire qui interviennent dans les quartiers et qui, à mon sens pourraient jouer un rôle très important d'intégration, on va nécessairement retrouver beaucoup de personnes de confession musulmane et qui portent peut-être un voile. Bien souvent, elles sont vues d’un mauvais œil, alors qu’elles peuvent être parfaitement républicaines et très à cheval sur la loi de 1905 sur la laïcité.

De la même façon, l’émergence de « listes communautaires » aux municipales a déchaîné les critiques… 

J.T. : Oui, encore une fois, on met tout le monde dans le même sac en y voyant une forme de séparatisme ! Ceux qui sont dans une logique salafiste de repli sur soi ne souhaitent pas participer au jeu électoral et invitent plutôt leurs coreligionnaires à ne pas y prendre part. A l’inverse de ceux qui s’engagent sur des listes pour défendre des propositions et faire entendre leurs voix. Avant de dire qu’ils font sécession, il est indispensable de regarder concrètement ce qu’ils proposent vraiment ! De plus sur ces listes, les profils sont en réalité assez diversifiés, car les initiateurs craignent justement d’être taxés de « communautarisme ». Donc oui, beaucoup sont musulmans ou issus de l’immigration mais ils représentent aussi les quartiers dans lesquels ils vivent. Alors qu’on se félicite de la multiplication des listes citoyennes aux élections municipales il n’y a pas de raison de traiter différemment celles qui sont issues de communes populaires.

Quel rôle les maires et les présidents de communauté de communes peuvent-ils jouer dans cette lutte contre le « séparatisme islamiste » ?

J.T. : Il y a tout d’abord la question du financement des associations avec la nécessité, je l’ai dit, d’enlever les soupçons qui pèsent sur certaines associations. C’est d’autant plus important que les financements fonctionnent souvent en « cascade » si la ville ne finance pas, l’État ne financera pas au titre de la politique de la ville, etc.

Et puis, il y a un autre levier, évoqué par Emmanuel Macron : « Quand la République n'est pas à la hauteur, d'autres prennent la place ». Il s’agit ici de la lutte contre les discriminations. Là encore, cela se joue au niveau national mais aussi au niveau local, avec par exemple des formations pour les agents, un travail auprès des entreprises locales ou encore l’organisation de « testing ». Ces politiques publiques sont souvent dotées localement de peu de moyens et ces dernières années, les fonds dédiés ont même été fléchés vers la lutte contre la radicalisation.

Je crois qu'il y a ici un changement de logiciel à opérer pour se dire que c’est une priorité et que c'est sans doute la meilleure façon de lutter contre le repli sur soi.

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