Emmanuel Macron répond aux questions de 600 maires normands à Bourgtheroulde (Eure) le 15 janvier 2019
© @Elysee
Pour le coup d’envoi du Grand Débat National, le Président de la République avait rendez-vous au gymnase de Grand Bourgtheroulde dans l’Eure avec près de 600 maires normands. Retours de terrain, coup de griffe, propositions : les élus locaux ont pendant près de sept heures interpellé Emmanuel Macron, qui leur a répondu quasiment point par point. Le chef de l’Etat a réaffirmé sa volonté de mener une politique « pragmatique » jusqu’à remettre sur la table des sujets épineux comme la loi Notre et les grandes intercommunalités ou les 80 km/heure.
Scène inédite dans notre Vème République, à 15h20, mardi 15 janvier, Emmanuel Macron a fait son entrée dans le gymnase de la ville de Grand Bourgtheroulde. Les épais tapis de sport bleus ont été poussés contre les murs, et entre les cages de handball des centaines de chaises ont été disposées. Debout près de 600 maires en écharpe accueillent le président de la République, qui après quelques propos liminaires, s’assoit au milieu d’eux pour laisser, comme convenu, la parole aux élus de terrain. Et si l’émotion était palpable chez les premiers maires appelés à s’exprimer devant le Président, les ministres et les caméras, les édiles n’ont pas longtemps mâché leurs mots, saisissant ici l’occasion offerte de dire au chef de l’État ce qu’ils ont sur le cœur.
Crise de confiance et mépris
C’est le cas de Guy Lefranc, maire LR d’Évreux, qui évoque une France malade et « dont l’état se serait aggravé ces derniers mois ». « Le lien entre la nation, que nous représentons, et l’État, que vous représentez, est rompu » analyse-t-il, « avec cette impression que l’on demande beaucoup au peuple sans que l’État ne prenne sa part d’effort ». « Pouvez-vous vous engager sur le fait d’imposer à l’État les mêmes règles que celles que l’on impose aux collectivités, notamment la limitation des dépenses de fonctionnement ? » questionne-t-il sous les applaudissements. La maire de Torigny-les-Villes, Anne-Marie Cousin, évoque quant à elle les cahiers de doléances et les inquiétudes fortes des premiers contributeurs sur l’éloignement des services publics, notamment en milieu rural. « Osez décentraliser les services qui relèvent du quotidien et supprimer les doublons ! Monsieur le Président, osez les territoires ! » conclut-elle.
Une demande relayée par Alain Lenormand, maire de La Ferrière-Bochard, qui raconte au Président « la délivrance ou le renouvellement d’une carte d’identité [qui] oblige nos concitoyens à parcourir, à plusieurs reprises, des dizaines de kilomètres, alors que des actions sont menées pour réduire les impacts climatiques ». Et le maire de proposer : « qu’un accès informatique soit dédié aux mairies pour le pré-enregistrement des documents nécessaires et d’orienter les cartes définitives vers les mairies de domiciliation. Ces améliorations utiles et sans frais supplémentaires éviteraient d’avoir des Français sans papiers […] qui ont le sentiment d’être oubliés par l’État. » Sophie de Gibon, maire Canteloup, 191 habitants dans la Manche, revient, elle, sur ce sentiment de « mépris » de l’exécutif à l’égard des élus locaux notamment lorsque le hashtag #BalanceTonMaire a fleuri sur Twitter lors de la polémique sur les hausses locales de taxe d’habitation. Et cette dernière de pointer ensuite pêle-mêle les collectivités XXL, les regroupements forcés et les transferts de compétences obligatoires. « Stop à tout ça » implore l’élue.
Rouvrir le débat sur la loi Notre et les administrations de l'Etat
Face aux maires, Emmanuel Macron a ensuite repris la parole. Notes manuscrite à la main, il a tenté de répondre à chaque interpellation en s’adressant à l’élu(e) qui l’avait interpellé. Sur certains sujets (dotations, ISF), Emmanuel Macron a tenté au maximum de faire preuve de pédagogie, défendant pas à pas sa politique, tout en promettant du « pragmatisme » et des « évaluations » des politiques menées pour ajuster le tir au besoin, comme avec la loi Notre. Un texte – voté en 2015 – pour lequel le Président reconnaît qu’il est effectivement nécessaire « d’aménager ce qui ne marche pas ». « Je suis prêt à rouvrir la loi Notree, pas pour tout détricoter mais pour améliorer les choses sur la base des évaluations qui ont été menées par le Parlement. Je remarque simplement que ça marche mieux quand c’est voulu et quand cela permet de vraiment faire des économies » pointe-t-il.
Puis il enchaîne sur une question « liée » à ses yeux celle de la décentralisation. Là encore, le chef de l’Etat avance l’idée d’une décentralisation pragmatique à définir « avec les maires », une décentralisation qui doit aller de pair avec « une déconcentration plus forte des services de l’État ». Et le chef de l’État de battre sa coulpe : « C’est vrai que ces derniers mois, nous n’avons pas pu suffisamment changer les choses sur ce point-là, il faut ramener des fonctionnaires sur le terrain au plus près des centres de décision ». Avec au passage une petite pique pour les administrations centrales – bêtes noires des maires – : « on a perdu des fonctionnaires de guichets à portée d’engueulades et capables de trouver des solutions, et on a gardé les fonctionnaires de circulaires », concède-t-il.
Les 80 km/heure sur l'établi d'un "dialogue territorial"
Autre « totem » qui en a pris un coup lors de ce premier grand débat : celui des 80 km/heure. Cette mesure « venue de Paris » et qui a en effet été perçue par beaucoup d’élus locaux comme l’essence d’une politique technocratique déconnectée des territoires a émergé lors de ce premier débat. Si Emmanuel Macron a commencé par défendre le fond de la mesure « qu’il y ait moins de morts sur les routes », il a aussi proposé de « construire un dialogue territorial afin de mettre en œuvre de manière plus intelligente des solutions mieux acceptées ». En avril dernier, le Sénat proposait lui de décentraliser la réduction de la vitesse.
« C’est une opportunité ! J’attends vos propositions » a lancé le chef de l’État aux maires normands réunis, les enjoignant ainsi à participer à cet exercice de démocratie participative inédit avec des élus. « D’ailleurs pour la carte d’identité, le passeport et la carte grise, a-t-il habilement ajouté, j’ai déjà pris l’idée proposée par Monsieur le maire ! »