Liens faibles, liens forts… un autre regard sur « la ségrégation urbaine »

Martine Kis

La focalisation sur les quartiers de la politique de la ville fait que la ségrégation urbaine est vue comme uniformément négative, selon le sociologue Marco Oberti, auteur d’un ouvrage sur ce sujet. Or, la réalité est souvent plus nuancée. Et, s’il faut renoncer à vouloir envoyer les classes moyennes dans ces quartiers, il serait par contre utile de mieux analyser le fonctionnement des quartiers « moyens-mélangés » qui, loin du regard des critiques, réalisent un certain idéal de mixité sociale.

Parler de « ségrégation urbaine » revient, le plus souvent, à se focaliser sur les classes les plus pauvres et les plus riches de la société, constate Marco Oberti, co-auteur, avec Edmond Préteceille, de « La ségrégation urbaine », lors d’une présentation de son ouvrage, le 26 janvier.

Pourtant, une observation attentive, basée sur différentes méthodes de mesures de la ségrégation, présente un paysage beaucoup plus contrasté qu’il n’y paraît.

« Je suis agacé par l’affirmation selon laquelle la ségrégation est la plus forte dans les quartiers les plus populaires. Non ! Elle l’est dans les quartiers des classes supérieures », insiste-t-il.

Constat principal de sa thèse : regarder ailleurs que dans les quartiers de la politique de la ville, en particulier dans les quartiers de l’est parisien et de la première couronne, révèle que « s’y passent des choses riches, et pas seulement des difficultés de cohabitation ».

Voir les conflits, les solidarités, les effets de domination ou d’évitement

Marco Oberti prend ses distances également par rapport à une vision, très française selon lui, qui veut que « la ségrégation soit intrinsèquement mauvaise pour la cohésion, l’égalité, la solidarité ».

Le sociologue insiste sur le fait que pour décrire la réalité il faut s’appuyer sur des outils quantitatifs qui permettent de voir les conflits, les solidarités, les effets de domination ou d’évitement propres à un quartier. Procéder ainsi permet de « nuancer l’idée que la ségrégation n’a que des effets néfastes, surtout dans les quartiers où elle est forte ».

Elle permet, en certains lieux, de développer des réseaux, des solidarités, de l’entraide. Ce qui va à l’encontre d’un point de vue normatif, selon lequel il convient de « combattre la ségrégation absolument ».

Pas d’angélisme cependant. La ségrégation produit des effets délétères. Encore conviendrait-il de comprendre pourquoi certains contextes amplifient ces effets.

Quartiers banals

Les deux décennies de la politique de la ville ont été pensées sur le registre de la contrainte, de la création d’une mixité par le retour d’une classe moyenne. Il est clair que cette voie est un échec, avec des effets pervers.

Il faut faire le deuil d’une politique qui veut convaincre la classe moyenne », assure l’auteur.

Alors que le regard se focalise sur ces quartiers, Marco Oberti se dit « surpris » que l’on ne regarde pas les très nombreux espaces de vie ou la diversité se vit tranquillement.

Où les collèges et les commerces connaissent la fréquentation d’une population « moyenne, mélangée », dans des quartiers « banals », avec des collèges « corrects ». Aucune étude sur les mécanismes qui permettent une telle cohabitation, pas de recherche de valorisation de ces quartiers, regrette l’auteur.

Les quartiers « moyens-mélangés », où les choses se passent bien, ne sont pas l’exception. Simplement, ils ne sont que très rarement étudiés alors que dans une ville comme la métropole parisienne ils représentent 40% de la population.

Toujours dans la métropole, les quartiers où les immigrés sont majoritaires ne regroupent qu’une minorité des immigrés. Les études sur la ségrégation se focalisent donc sur les quartiers les plus exclusifs et contrastés au détriment des quartiers « moyens mélangés » qui permettraient de comprendre les logiques de mobilité sociale et résidentielle.

Force des « liens faibles »

La recherche italienne fournit une piste de compréhension de ces phénomènes : celle de la force des « liens faibles », qui font que « la volonté collective de produire du bien pour tous l’emporte sur la production individuelle ».

Plus précisément, il s’agit des liens les plus utiles pour l’intégration, ceux qui permettent de relier à des personnes plus éloignées et intégrées dans d’autres réseaux. Ils s’opposent aux liens forts qui dépendent du groupe d’appartenance et des relations intimes et quotidiennes, les liens des pairs. Or, la ségrégation est propice au pouvoir de certains groupes qui contrôlent le territoire.

Ainsi, les études sur les résultats au brevet des collèges montrent clairement que collectivement la société gagnerait à ce que les collèges soient mixtes socialement. « Fréquenter un collège un peu mixte ou mixte supérieur augmente significativement la chance d’un garçon de milieu défavorisé à avoir une mention Bien ou Très bien. Alors que les enfants des milieux supérieurs n’y perdraient rien », assure Marco Oberti.

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