Jean Petaux, politologue, professeur à Sciences-Po Bordeaux
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À l’issue du 1er tour de l’élection présidentielle, Jean Petaux, politologue à Sciences Po Bordeaux, analyse pour Le Courrier des maires la répartition géographique des votes Macron et Le Pen. Un constat : la France est coupée en deux. Une nouveauté : la fracture urbains-ruraux se superpose à cette géographie politique.
Jean Petaux est professeur à Sciences-Po Bordeaux. Il est l’auteur dans la collection « Territoires du politique » d’un livre d’entretiens avec Michel Sainte-Marie, ancien député-maire (PS) de Mérignac (éditions Le Bord de l’Eau).
Courrierdesmaires.fr : Quelle est la répartition géographique du vote Macron-Le Pen en France ?
Jean Petaux : On peut dessiner à grands traits une France coupée en deux. Si l’on choisit l’échelle départementale, vous avez une diagonale qui va du Cotentin à Perpignan. À l’ouest de cette diagonale, Emmanuel Macron est majoritaire dans la plupart des départements, à l’est c’est Marine Le Pen.
Cette « coupure » n’est pas nouvelle pour autant; elle existait déjà au temps de Jean-Marie Le Pen en 1995 et 2002. Mais ce que l’on voit avec les résultats de ce premier tour, c’est que le FN a amélioré son score dans des territoires où il était déjà bien implanté, tout en peinant à conquérir des « parts de marchés » dans des zones historiquement hostiles comme la Bretagne.
La fracture du pays en deux votes distincts est-elle si nette ?
Les deux grandes zones ne sont effectivement pas complètement homogènes. Ainsi à l’est de la diagonale, l’Ile-de-France reste très hostile au Front national, idem dans la métropole lyonnaise. En revanche le pourtour méditerranéen semble conquis par Marine Le Pen. A l’ouest cette fois-ci, vous avez aussi des « trous » dans la raquette du vote Macron, sur une ligne qui va de l’Aube jusqu’à la Charente-Maritime.
Ce qui est intéressant, c’est que la Charente-Maritime, département très modéré, et la Charente aussi, là où est né François Mitterrand, ont été séduits par le vote Le Pen ; c’est une percée pour la candidate du FN dans une région, la Nouvelle Aquitaine, qui lui est pourtant hostile.
A l’issue de ce premier tour, on voit aussi naître un vote urbain et un vote rural…
Oui, lorsque l’on prend les 20 plus grandes villes de France, Emmanuel Macron arrive en tête dans 10 d’entre elles ; Jean-Luc Mélenchon dans 8 ; François Fillon dans 1 (Nice) ; idem pour Marine Le Pen qui n’arrive en première position qu’à Toulon. Ville passée sous la bannière frontiste en 1995 déjà.
Les plus grandes villes -Paris, Lyon, Strasbourg, Nantes, Bordeaux, etc.- ont voté en faveur de Macron, en concurrence dans ces territoires avec Jean-Luc Mélenchon. A l’inverse, le vote rural est plutôt frontiste ou parfois mélenchoniste. Par exemple, deux départements voisins, le Lot-et-Garonne et la Dordogne, confrontés aux mêmes maux et à la même colère -« abandon » de l’Etat, fermeture des bureaux de poste, désertification médicale, etc.- ont réagi de manière différente. Le premier a voté Le Pen ; le second Mélenchon. Les raisons de ces votes sont à rechercher dans l’Histoire, en Dordogne avec un ancien vote communiste issu de la Résistance, dans le Lot-et-Garonne, une vieille tradition frontiste qui date de l’époque poujadiste.
Peut-on parler, comme Jacques Chirac en 1995, d’une « fracture sociale » qui se retrouve géographiquement dans le vote ?
Oui, mais elle est complexe. Vous avez déjà une fracture macro-géographique avec cette division en deux France (France de l’est et France de l’ouest) mais vous avez aussi à l’intérieur de celle-ci une nouvelle division entre la France urbaine et la France rurale.
Avant, vous aviez une certaine homogénéité du vote sur un même territoire, avec l’idée que l’arrière-pays votait comme la ville principale. Peut-être parce que ces villes étaient gonflées d’anciens ruraux… Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les urbains se sont coupés des ruraux, y compris dans leur comportement politique et leur manière de réagir.