Les sénateurs souhaitent remanier les lignes aériennes intérieures pour mieux les sauver

Hugo Soutra
Les sénateurs souhaitent remanier les lignes aériennes intérieures pour mieux les sauver

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© Flickr-CC-C.Pelletier

En dépit de la pression écologiste croissante, le Sénat vole au secours du transport aérien, et plus particulièrement des liaisons régionales. Au nom de l'aménagement du territoire et du développement économique, ils jugent les lignes Paris-Quimper ou Paris-Aurillac "vitales" et multiplient les propositions pour qu'elles ne soient pas interdites à moyen ou long-terme.

Dernière sommation, avant que l’opinion publique ne condamne définitivement les lignes aériennes intérieures à leur triste sort. Les sénateurs membres de la mission d’information sur les transports aériens et l’aménagement du territoire ont assuré de leur soutien plein et entier, jeudi 3 octobre, ce secteur largement déficitaire, ne devant sa survie qu’aux subventions publiques… en lui recommandant, toutefois, de ne pas trop tarder à se moderniser.

« Nous avons bien conscience de l’ampleur du bashing anti-aérien et de la popularité de Greta Thunberg. Notre rapport montre néanmoins que l’avion reste pertinent et indispensable dans certains territoires français. Ne jetons pas les transports aériens avec l’eau du bain, alors que nous n’avons jamais autant parlé des inégalités territoriales que pendant cette crise des Gilets jaunes. Quand bien même cela ne doit pas nous empêcher de l’encadrer… » a résumé « en même temps » son président, le sénateur de Seine-Saint-Denis et ancien maire (UDI) du Bourget, Vincent Capo-Canellas.

Interdire les liaisons internes et les remplacer par le train ?

En tenant cette position d’équilibriste, les sénateurs savent marcher sur un fil pour le moins étroit. Leurs 70 auditions ont débuté peu après que leurs collègues insoumis de l’Assemblée nationale déposent une proposition de loi visant à remplacer les lignes intérieures par le train. Pour Josiane Costes, rapporteuse de la mission d’information, cette question comme celle du coût du maintien de ces liaisons n’ont pas lieu d’être : « si on interdit les transports aériens dans certains territoires enclavés où les dessertes ferroviaires ont déjà été dégradées, autant fermer directement ces territoires. Soit on aménage les territoires, soit on les abandonne définitivement, et forçons leurs habitants à se concentrer dans les métropoles voisines au risque de venir dégrader encore davantage les conditions de vie et de travail des urbains » menace, à peine caricaturale, l’élue (RDSE) du Cantal. « Le rail ou la route ne sont pas toujours substituables au transport aérien. Un million de Français vivent à 45 minutes d’une entrée d’autoroute, d’une gare TGV ou d’un aérodrome. Et dix millions de nos concitoyens n’ont accès qu’à un seul de ces modes de déplacements » tient-elle à rappeler.

« Dans les régions riches, la croissance économique dope le trafic aérien. Mais, dans les zones isolées, ce sont les activités aéroportuaires qui stimulent le développement économique. Lors de nos déplacements à Aurillac, Rodez et Quimper, plusieurs entrepreneurs nous ont confirmé que l’aérien était porteur d’externalités positives pour l’économie locale» développe Josiane Costes. Avant d’illustrer : « en cas de suppression des liaisons directes Quimper-Paris ou Aurillac-Paris, les usines Armor-Lux et Piganiol nous ont bien fait comprendre qu’ils auront plus de difficultés à attirer des clients et recruter des cadres de haut-niveau. Et qu’ils envisageraient alors de quitter ces territoires… »

Développement économique Vs. protection de l'environnement

Ce chantage à l’emploi local suffira-t-il à sauver les lignes intérieures en faisant fi de la pression écologique ambiante ? Conscients que leur rapport « n’épuise pas le sujet », les membres de la mission d’information l’espère. Ils comptent tout particulièrement sur le nouveau secrétaire d’Etat aux Transports, ancien pilote de ligne et fonctionnaire à la DGAC, Jean-Baptiste Djebbari, pour rénover les règles encadrant les liaisons intérieures et ainsi mieux les préserver.

Vincent Capo-Canellas, Josiane Costes et leurs homologues s’inquiètent en particulier de l’annonce d’une prochaine « contribution carbone de l’aérien », faite par le gouvernement au terme du second « Conseil de défense écologique » du 9 juillet 2019. S’ils ont bien noté que les lignes d’aménagement du territoire (LAT) devraient être exonérées d’une telle éco-contribution sur les billets d’avions, ils insistent pour que cette « sage décision » prenne en compte les alternatives à l’avion et l’aménagement du territoire afin d’être élargie à d’autres lignes intérieures, encore. « Un vol Paris-Lyon, qui peut se faire pour à peine une heure de plus en train, ne devrait pas bénéficier d’un tel abattement et devrait être imposé comme n’importe quel vol. Par contre, une liaison Paris-Nice où la différence entre avion et train monte à quatre heures, l’abattement devrait être de 100% » illustre la sénatrice du Cantal. Selon elle, cette manne devrait qui plus est être orientée vers la recherche, « afin d’accélérer le développement d’aéronefs décarbonnés, qui nous permettraient de concilier le trafic aérien avec nos objectifs de développement durable. »

Continuer à subventionner, et commencer à réguler

Les membres de la mission d’information ne se sont pas faits uniquement les lobbystes des compagnies aériennes aveuglément subventionnées par les pouvoirs publics. Ils ont tout de même consenti à proposer, en parallèle, une meilleure régulation du secteur. Question d’acceptabilité sociale, sans doute. « C’est vrai que le sujet de la rationalisation des activités des 550 aérodromes français mérite d’être posée » a convenu Josiane Costes. « Les conseils régionaux n’ont pas seulement vocation à combler leurs déficits. Nous encourageons ceux ne s’étant pas encore saisis du sujet à s’impliquer davantage, sur le modèle de la Bretagne, de la Nouvelle-Aquitaine ou de l’Occitanie. Ils doivent assurer une bonne desserte des aérodromes, mais aussi optimiser leur gestion dans le cadre de stratégies régionales aéroportuaires. »

Et concrètement ? Les sénateurs n’en diront pas plus durant la conférence de presse, de peur de froisser certains collègues ou élus locaux influents. Mais, pour ne prendre que la région de la rapporteuse, Auvergne-Rhône-Alpes, est-il sain que les collectivités territoriales déboursent des millions d’euros aveuglément pour ne pas fermer les aérodromes à Grenoble et Chambéry, quand l’aéroport Lyon-Saint-Exupéry – situé à moins d’une heure – voit sa fréquentation augmenter d’année en année ? Lorsqu’elle est confiée au privé, la gestion d’aéroports attractifs et rentables  ne pourrait-elle pas être adossée à celle de « petits aéroports » déficitaires ?

« Notre système de DSP et de subventions a mal vieilli et n’est plus optimal » reconnaît Vincent Capo-Canellas, pour qui les pouvoirs publics devraient renforcer les contrôles sur leurs opérateurs. « Nous avons besoin de lisibilité. Les délégataires à qui l’on confie la gestion d’aéroports doivent faire œuvre de plus de transparence sur leurs comptes d’exploitation. Ils devraient également nous fournir des bilans annuels avec les taux de remplissage des différents vols, afin que nous puissions calculer ce que leur rapportent ou coûtent chaque billet. » « Pourquoi ne pas assouplir les critères des appels d’offre, lorsque les collectivités passent les marchés, pour faire naître et renforcer la concurrence ? » suggère Josiane Costes. Si même les sénateurs le disent, c’est bien que les choses doivent être amenées à évoluer : les acteurs privés vivant sur le dos des lignes intérieures n’ont d’autres choix que de se réformer, ou mourir.

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