Train express régional
© Flickr/yisris
Dévoilé le 15 février, le rapport de l'ancien président d'Air-France-KLM est clair : pour sauvegarder et assurer le bon fonctionnement des lignes de TER du quotidien en milieu urbain et périurbain et le réseau existant de lignes à grande vitesse, il faut y investir massivement... en abandonnant les lignes de proximité les moins fréquentées reliant les petites villes en milieu rural, trop coûteuses. Une mesure radicale qui fait craindre un aménagement du territoire réduit à peu de chagrin.
On annonçait un rapport explosif et on l’a eu. Rendu public et présenté le 15 février, le rapport de Jean-Cyrille Spinetta sur l’avenir du réseau ferroviaire français n’est pas avare de propositions chocs, surtout concernant l’avenir de l’entreprise SNCF et le statut de ses salariés : transformation de SNCF Mobilités (entité qui fait rouler les trains) et SNCF Réseau (responsable des rails) en deux sociétés anonymes (SA), ouverture à la concurrence (imposée de fait par la réglementation européenne pour 2021) avec le transfert lié des personnels, fin programmée du statut de cheminot, fret ferroviaire filialisé. Autant de petites révolutions qui en éclipseraient presque l’avenir… des lignes de chemin de fer.
Et là, le tri que souhaite effecteur l’ancien patron d’Air France-KLM est assez clair : pas de nouvelle ouverture de ligne TGV mais un investissement massif dans l’entretien des lignes à grande vitesse existantes, pour en assurer le bon fonctionnement et un nombre de dessertes plus réguliers ; la régénération des trains du quotidien pour les trajets interurbains domicile-travail ; et enfin l’abandon pur et simple de plusieurs lignes de proximité au rapport coût-voyageur jugé insuffisant et « plombant » pour l’équilibre financier de l’ensemble du réseau.
Moins de 50 voyageurs sur trois quarts des 200 lignes les moins fréquentées
Les chiffres se veulent être autant d’arguments-massues : le coût de ces « petites lignes », celle classées de 7 à 9 sur la classification de l’Union Internationale des Chemins de fer UIC, ((1 étant la plus fréquentée, 9 la plus délaissée des voyageurs)) serait de 1,7 milliard d’euros par an pour 2% des voyageurs et « chaque kilomètre parcouru par un voyageur coûte ainsi 1€ à la collectivité. Sur les 10,5 milliards d’euros de contributions publiques annuelles au système ferroviaire français, 17 % sont consacrés à la partie la moins circulée du réseau. […] L’Etat et les régions consacrent plus de 2 milliards par an à des lignes qui ne supportent que 2% des trafics », enquille-t-il. Et d’ajouter que « le remplissage des trains est extrêmement faible : parmi les 200 lignes classées en catégorie UIC 7 à 9 avec voyageurs, seul un quart compte plus de 50 voyageurs par train. La moyenne est inférieure à 30 voyageurs par train ».
C’est donc l’économie « considérable » qui pourrait être effectuée sur ces lignes peu utilisées en termes de volumes de voyageurs qui est visée : « pour l’infrastructure, de l’ordre de 500 millions d’euros par rapport à la situation actuelle. […] Pour l’exploitation des trains, le transfert sur route d’un service ferroviaire de voyageur en zone peu dense permet une économie de 70 à 80% selon le niveau de service retenu pour les autocars, soit 700 à 800 M€, auxquels il faudrait encore ajouter les économies sur le renouvellement des matériels roulants ». Résultat : « l’économie liée à la fermeture des petites lignes pour le système s’élèverait donc a minima à 1,2 milliard d’euros annuels ».
De nombreuses petites villes desservies seulement par le car ?
On l’aura compris, Jean-Cyrille Spinetta milite pour le remplacement d’un maximum de ces lignes de proximité par des autocars Macron : « il existe de nombreuses lignes qui sont très faiblement circulées, pour lesquelles la route offre des alternatives pertinentes »… Coutances, Bergerac, Le Puy-en-Velay, Mont-de-Marsan, Epinal, Bourges, Carhaix, Valençay, Gap, Verdun, Cambrai… Autant de petites et moyennes villes qui potentiellement auraient vocation à n’être plus desservies exclusivement que par la route, via des lignes de bus. Et encore : le haut-fonctionnaire admet à demi-mot que certaines ne seraient pas suffisamment rentables y compris par autocar, évoquant ces lignes qui « nécessitent des investissements très importants pour être pérennisées, notamment lorsque des ouvrages d’art doivent être rénovés »... sans pour autant qu'une alternative existe.
[caption id="attachment_73897" align="alignleft" width="584"] Les lignes de train les moins fréquentées de France (UIC 7 à 9)[/caption]
Comment le tri s’effectuerait-il ? Dans son esprit, SNCF Réseau réaliserait, avant l’élaboration des prochains Contrat de plan Etat région (CPER) « un état des lieux de la partie la moins utilisée du réseau présentant, ligne par ligne, l’état de l’infrastructure, le besoin de rénovation et le bilan socioéconomique des investissements ». La partie du réseau la moins sollicité des voyageurs serait tout bonnement supprimée et la majeure partie des sommes économisées serait fléchée vers « des services plus utiles à la collectivité : rénovation du réseau hors « petites lignes », modernisation des grands nœuds ferroviaires, renforcement des fréquences sur les lignes les plus fréquentées ».
Les régions au régime sec
Et pas question pour Jean-Cyrille Spinetta de voir les régions prendre le relais de l’Etat pour assurer, moyennant subventions publiques, le sauvetage de certaines de ces lignes : « outre le fait qu’il ne pourrait pas se faire sans compensation », le transfert aux régions « ne semble pas favorable à une réorientation des dépenses : il ne ferait que renforcer la responsabilité des régions et conduirait à sanctuariser ces lignes. Au contraire, l’Etat doit envoyer un signal clair, en ne consacrant plus aucun crédit aux lignes dont l’intérêt socio-économique n’est pas démontré. Dans le cadre des CPER 2015-2020, l’Etat a prévu de consacrer environ 800 M€ à des investissements sur les lignes UIC 7-9. Certains de ces investissements sont sans doute justifiés, mais une grande partie ne l’est très probablement pas », lance-t-il. Et de préconiser un redéploiement des crédits aujourd’hui affectés par l’Etat aux investissements ferroviaires dans le cadre des CPER vers la partie la plus circulée du réseau.
Et le haut fonctionnaire de vouloir s’assurer que l’exécutif et SNCF réseau aurait les mains plus libres qu’aujourd’hui s’ils suivaient ces préconisations de fermeture de lignes. Jugeant la procédure juridique actuelle encadrant la fermeture d’une ligne « extrêmement longue et complexe » - à ce jour, SNCF Réseau soumet le projet de fermeture à la région concernée qui dispose de trois mois pour faire connaître son avis -, Jean-Cyrille Spinetta souhaite qu’une procédure « simplifiée », avec un état des lieux effectué par SNCF réseau se substitue à la consultation auprès de la région et à l’avis du ministre chargé des Transports. « La région concernée, ou toute autre partie prenante, pourrait alors reprendre la ligne », consent-il… mais « sans contrepartie financière ».
Investir dans les nœuds ferroviaires et LGV existants
Les économies dégagées serviraient à investir « massivement » sur les lignes « à forte densité de circulation, un enjeu majeur ». Soit deux catégories de lignes :
- Celles gravitant autour d’« une vingtaine de nœuds ferroviaires, dont les gares parisiennes, et les nœuds ferroviaires de Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux… », à savoir les trains du quotidien, utilisée pour les trajets domicile-transports, autour des grandes métropoles et dont le réseau vieillissant et insuffisant est sursollicité ;
- L’ensemble des lignes à grande vitesse existantes « les plus circulées pour des voyageurs longue distance et pour le fret à haute valeur ajoutée ou européen », à savoir les « radiales » reliant Paris à Bordeaux, Rouen et Le Havre, Lyon et Marseille ; la « transversale sud » Bordeaux-Toulouse-Marseille jusqu’à Vintimille, la transversale entre Nantes et Dijon, « ainsi que Le Mans-Nantes, et enfin des itinéraires européens comme le débouché du Lyon Turin entre Modane et Ambérieu Lyon et l’artère Nord-Est avec sa continuité entre Metz et Dijon ».
Pas question donc poursuivre l’expansion du réseau à grande vitesse mais plutôt de subvenir à la demande conséquente sur les lignes existantes et de regénrer les plus anciennes à l’image de Paris-Tours ou Paris-Lyon.
"Vision parisianocentrée" contestée
Sans surprise, le schéma proposé par Jean-Cyrille Spinetta a suscité le courroux de nombreux acteurs attachés à la notion d’aménagement du territoire. « Le transport ferroviaire ne peut se réduire, dans une vision parisianocentrée, à du transport de masse à l’image des RER franciliens. Il a également un rôle d’irrigation des territoires, en complémentarité avec les autres modes de transport, a régi l’association Régions de France. Il ne saurait être question pour l’Etat de se défausser de ses responsabilités sur le devenir de ces lignes qui ne sont plus entretenues depuis des années. Elles s’opposent à leur fermeture par l’Etat et leur transfert unilatéral aux Régions », poursuit-elle.
Tout en se disant sur la même ligne s’agissant de la priorité à donner « à la régénération du réseau », le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat Hervé Maurey juge qu’ « il ne serait pas acceptable que la réforme du système ferroviaire se fasse au détriment des territoires. La desserte ferroviaire ne saurait se limiter aux transports en zone urbaine et périurbaine et aux liaisons entre les principales métropoles françaises. Le transport ferroviaire doit concourir à l’aménagement du territoire ».
Même les préconisations sur le TGV interpellent
Même la politique d’investissement dans les lignes TGV existantes ne fait pas l’unanimité. Alors que le sénateur souhaite « le maintien des dessertes TGV moins rentables ou déficitaires, mais répondant aux besoins d’aménagement du territoire », Régions de France partage cette inquiétude sur l’avenir des lignes LGV, « même si le rapport ne préconise pas une suppression massive. Au regard des financements qu’elles ont apportés à la réalisation des lignes TGV au même titre que les départements et les communes, elles s’opposent à toute modification unilatérale des grilles de desserte, qui pourrait mettre en difficulté des territoires entiers ».
Pour un contrat d’intermodalité entre région et métropole
Peut mieux faire. C’est en résumé la noté donnée par Jean-Cyrille Spinetta s’agissant de la gouvernance au niveau local des mobilités, et particulièrement celles ferroviaires. « La loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles a confié à la région le rôle de chef de file sur les modalités de l'action commune relative à l'intermodalité et à la complémentarité entre les modes de transports, notamment à l'aménagement des gares. Toutefois, en pratique, cette coordination semble toujours difficile. Ainsi les Plans de Déplacement Urbain (PDU), pilotés par la métropole, n’impliquent généralement pas assez les régions », juge l’ancien patron d’Air France.
C’est donc le partenariat avec les très grandes agglomérations qui ferait défaut. Et le rapporteur de préconiser « un dispositif supplémentaire de coordination, par exemple sous la forme d’un contrat d’intermodalité entre la région et la métropole. Ce contrat devrait être préparé par le diagnostic du fonctionnement de l’intermodalité autour des gares de la métropole et par l’évaluation des investissements et des développements de dessertes envisagés par les partenaires ».
Sagesse - 19/02/2018 22h:07
Le remplacement des petites lignes par des autocars de services publics ( et non par des cars Macron), plus adaptés à la fréquentation inférieure à 30 voyageurs, bien plus économiques ( le km autocar est au moins 3 à 4 fois moins cher que le km train) et aussi écologiques est pertinent.
Répondre au commentaire | Signaler un abus