Stephan_Giraud
Deux chercheurs américains sont partis du constat que que nous ne sommes pas les « homos economicus » rationnels que l’on veut bien croire. En réalité, des mécanismes cognitifs entrent en ligne de compte en permanence dans nos décisions, bousculant au passage les politiques publiques telles qu’elles avaient été pensées initialement. Stéphan Giraud est chef de projet sciences comportementales au sein de la direction interministérielle de la transformation publique. Avec son équipe, il accompagne les administrations centrales - et quelques collectivités - à prendre en compte ces comportements pour rendre leurs actions plus efficaces, en mettant en place de mesures « coup de pouce », le "nudge" en anglais, sur le mode incitatif.
Courrierdesmaires.fr : Pouvez-vous nous décrire ce qu’est le nudge ?
Stéphan Giraud : Le « nudge » est un concept qui a été théorisé Outre-Atlantique par deux chercheurs, dont un économiste qui a reçu par la suite un prix Nobel d’Économie, Richard Thaler et Cass Sunstein (« Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision ») Nudge peut se traduire littéralement par « coup de coude », mais chez nous, nous dirions plutôt coup de pouce ou incitation douce. Il s’agit donc d’une intervention pour le bienfait théorique des individus et qui n’est pas une intervention de type classique, à savoir la loi ou l’incitation financière. Il s’agit plus ici de jouer plus sur les leviers comportementaux, car nous sommes des êtres complexes, et contrairement à des idées reçues, nous ne pesons pas en permanence nos intérêts pour faire les choix les plus optimaux au quotidien… Nous sommes influencés par des considérations, des mécaniques comportementales et cognitives qu’il faut intégrer quand on fait de l’action publique.
Et comment cette méthode peut-elle aider les acteurs publics ?
L’un des exemples les plus connus est celui de l’épargne-retraite, il a été traité par l’un des pères du nudge… Aux Etats-Unis, la retraite fonctionne sur un système de capitalisation dont le pari est de considérer que les individus rationnels vont faire en sorte d’épargner pour plus tard. Mais pour un tas de raisons, pas seulement d’ordre économique, ce n’est évidemment pas le cas… Richard Thaler a donc mis en place un test dans une grande entreprise avec un plan incitatif d’épargne jouant plus sur les choix par défaut, et cela a fonctionné [ndlr : les employés pouvaient s’engager ou non et surtout avaient la possibilité de renoncer à tout moment du dispositif d’épargne : 78% des employés ont signé, et le taux d’épargne retraite est passé de 3,5 à 13,6% en quarante mois].
Bien sûr, il y a certaines politiques publiques où les questions comportementales sont vraiment structurantes. Ce sont surtout les problématiques liées à la santé, à l’écologie et à la sécurité… mais ce n’est pas exclusif, puisque nous avons eu à traiter des cas dans le cadre de la fiscalité! Il ne faut pas se priver de cette solution, mais il ne faut pas non plus la surinvestir et imaginer car qu’elle peut remplacer les lois, les impôts, etc. Mais oui, c’est certain l’on peut vraiment enrichir l’action publique par ce biais.
Vous accompagnez actuellement les administrations centrales, mais le nudge peut-il concerner aussi les collectivités locales ?
Bien sûr ! Ce n’est pas une question de périmètre de l’action publique, mais plus une question de thématiques. Nous avons déjà été amenés à travailler avec des collectivités territoriales sur des questions de réductions de la facture énergétique en essayant de trouver avec elles d’autres solutions que la pédagogie ou la sanction pour faire évoluer les comportements quotidiens, nous avons également accompagné une collectivité sur la question du maintien de l’autonomie des personnes âgées !
Après, pour mettre en place de genre d’incitation, il faut néanmoins quelques prérequis, notamment être en amont dans une démarche scientifique d’intégration de données issues des sciences comportementales dans les politiques publiques, et en aval, être dans une démarche de test de ce qui a été fait et de son efficacité. L’avantage pour l’État et les collectivités, c’est que nous sommes ici dans un mode d’action complémentaire et incitatif qui est souvent bien moins lourd financièrement que les méthodes d’action classique…
Une collectivité locale qui voudrait se lancer doit-elle nécessairement « monter » une équipe « nudge » ?
C’est vrai que l’idéal est de s’appuyer sur des personnes qui ont des compétences en matières de sciences comportementales et en ethnographie pour aller voir ce qui se passe en réel sur le terrain… Mais il y a néanmoins des idées qui sont reproductibles et qu’une collectivité peut tout à fait tester sans repartir de zéro et sans monter une « machine industrielle ». C’est vrai notamment avec les nudges environnementaux pour promouvoir des gestes écologiques. Ce qui compte, c’est surtout de rester dans une démarche de mesure des actions mises en place, et d’expérimentation. Je sais que les mots « sciences comportementales » « méthode scientifique » peuvent faire peur, mais dans des domaines limités, les collectivités peuvent s’inspirer de ce qui a déjà été éprouvé ailleurs de manière intelligente !
Que répondre à ceux qui estiment que le nudge peut être une manipulation ?
D’une certaine manière, l’Autorité publique est déjà prescriptive, car quand on fait une loi, on impose des choses aux gens.
Mais là, c’est vrai qu’avec le nudge on bouge un peu les lignes, car on va sur les mécanismes de décision et donc sur de l’intime, sur l’individu et cela mérite notre attention. Ce sont en effet des techniques qu’utilise le marketing et nous, acteurs publics, n’avons pas vocation à aller sur ce terrain.
Aussi, quand on se lance dans ce genre de choses, il faut aller sur des sujets où il y a consensus sur la problématique (environnement ou santé) avec des difficultés plus concentrées sur le « passage à l’acte » des citoyens. Il ne s’agit pas de s’aventurer dans le domaine des convictions ou essayer de faire le bonheur des gens malgré eux…
hélène - 30/04/2021 15h:56
Utilisé depuis quelques années avec succès en santé publique, hygiène urbaine, prévention routière, le nudging est encore un phénomène émergent et expérimental en entreprise et mérite en effet d’y être développé également, notamment dans le domaine de l’Hygiène et de la Sécurité et Santé au travail. En effet, le Nudge Management répond à plusieurs problématiques de gestion des Ressources Humaines dans l’entreprise
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